Coordination et coopération internationales sont essentielles pour retracer la piste des fugitifs qui n’hésitent pas à passer les frontières. À l’OCLCO, le "groupe relation internationale fugitif" traite les demandes d’Interpol et d’Europol.
L’exemple le plus spectaculaire de coopération internationale est sans doute celui de Luka Rocco Magnotta. Ce meurtrier et dépeceur canadien est visé le 30 mai 2012 par un avis de recherche canadien puis international. Les policiers français retrouvent sa trace à Paris et il est finalement arrêté le 4 juin 2012 à Berlin. À l’échelle européenne, le réseau ENFAST, pour « European Network of Fugitive Active Search Teams », regroupe depuis 2010 tous les services de police spécialisés dans la recherche de fugitifs en Europe, en collaboration avec Europol. Ils sont en contact quotidien et se rencontrent deux fois par an pour un échange d’information immédiat et opérationnel.
Le réseau a créé la page web www.eumostwanted.eu, qui liste les fugitifs les plus recherchés d’Europe. Ce casting patibulaire, accessible au grand public, a pour but de faire participer la population aux recherches, certains pays offrant une récompense allant jusqu’à un million d’euros. Homicide volontaire, enlèvement, séquestration arbitraire, prise d’otage, participation à une organisation criminelle, coups et blessures graves, vol commis en bande organisée ou avec arme... chaque fiche divulgue des détails sur le pedigree des malfaiteurs, et certains cumulent les charges.
À l’OCLCO, c’est le « groupe relation internationale fugitif » (GRI), qui gère les demandes d’arrestations étrangères sur des personnes susceptibles d’être localisées en France. Au sein de l’espace Schengen, les pays délivrent des mandats d’arrêt européens, et pour les autres pays ce sont des demandes d’arrestation provisoires.
« Nous recevons un formulaire qui représente le mandat européen, dans lequel sont précisés l’autorité délivrante, l’identité du fugitif, les faits, la peine qu’il encourt et s’il a été condamné », explique Sylvie H. L’individu recherché est ensuite passé au crible dans tous les fichiers de police, puis en fonction de sa localisation, le dossier est envoyé à la DIPJ concernée, ou traité à la BNRF. « Pour pouvoir interpeller le fugitif, il est nécessaire que l’infraction existe dans le droit français, et que la peine soit applicable en France. Par exemple s’il est condamné à la peine de mort, on ne va pas pouvoir appliquer la demande d’arrestation.»
Plus de quatre mandats sont reçus chaque jour par Sylvie, comme celui-ci : la Lituanie transmet un mandat de recherche concernant l’un de ses ressortissants, qui encourt 15 ans de prison pour meurtre : il a asséné de nombreux coups de couteau à son colocataire. Sylvie H. crée le dossier de cet individu, cochant la case « meurtre » pour définir l’infraction concernée, puis recherche des informations sur chaque fichier policier : le fichier des personnes recherchées, le fichier national des détenus, les différents fichiers de traitement des antécédents judiciaire, le fichier des brigades spécialisées, le fichier national des étrangers, etc ; ainsi que sur Internet. « Je cherche aussi tous les fichiers des alias, s’il en a (les identités qu’il est susceptible d’utiliser), car il peut avoir par exemple un titre de séjour sous une autre identité », précise Sylvie.
À ce jour (septembre 2018), 1082 dossiers ont été traités par le GRI fugitif en 2018 : 923 mandats d’arrêt européen reçus et 116 demandes d’arrestations provisoires. 40 % de ces fugitifs étrangers ont déjà été arrêtés par les PJ et la BNRF.
Hantise de la prison ? Affaire en cours à terminer ? Si les raisons de s’évader sont variées, l’énergie à déployer pour la réussir est considérable. « Une cavale, c’est usant mentalement et physiquement. Il faut des appuis matériels, financiers, ne pas voir ses proches, rester caché, être toujours sur ses gardes... avoir peur dès que l’on voit une voiture de police... », indiquent les enquêteurs. Pour tenter une cavale, les fugitifs le savent, il faut se faire le plus discret possible. Et pour cela, il y a des moyens basiques : changer de téléphone, d’identité, de carte bancaire, et ne pas apparaître. Mais pour une cavale digne de celle de David Gras (cf. page suivante), l’individu doit absolument couper tout contact, et qui plus est, être riche ! « Aujourd’hui, les gros bandits connaissent nos techniques d’enquête, la téléphonie a ses limites et les membres de la famille sont aguerris. Mais les proches peuvent encore faire des erreurs ! »
D’où la nécessité, pour le fugitif, de briefer son entourage ! « Le voyou un peu aguerri va donner des consignes à sa famille, explique Jean-Claude, enquêteur à la BNRF depuis sa création. Faire deux fois le tour du rond-point pour vérifier si l’on est suivi, utiliser un scooter plutôt qu’une voiture, prendre tel métro ou tel bus... »
Autant de conseils qui viendront alimenter un sentiment de paranoïa, et inéluctablement pousser à l’erreur. En effet, s’il est rare que la faute vienne du fugitif, elle vient souvent de la compagne ou d’un ami, qui va prononcer un nom interdit ou omettre de changer de téléphone tous les deux jours, par exemple ! « Et encore, le fait de changer de téléphone régulièrement, ça nous laisse penser que cette personne est intéressante, poursuit Jean-Claude.
De même pour les « coups de sécurité » : faire semblant de partir de chez soi, d’aller au centre commercial mais de rentrer... cela nous met la puce à l’oreille. »