Traque, mode d’emploi

Traque, mode d’emploi
14 mars 2019

Cerner l’environnement du fugitif, s’attacher à sa personnalité et entrer dans sa vie au point de pouvoir anticiper ses déplacements, puis au moment opportun, mettre la main dessus. Les méthodes des policiers de la brigade ont trois mots d’ordre : la rigueur, la ténacité et l’inventivité.


« S’intéresser à son passé, pour comprendre le présent et anticiper le futur », c’est la clé de la recherche selon Vincent, chef de l’un des trois groupes d’enquêteurs de la BNRF. Et tous les moyens - légaux - sont bons !

Étude du dossier pénal, analyse de la téléphonie, des flux financiers, géo-localisation, recherche sur Internet et sur tous les fichiers à disposition de la police... « Nous accumulons un maximum d’indices sur la personne, son entourage et les lieux qu’elle fréquente.

C’est un travail classique de recherche, la seule différence par rapport aux autres services de police est que nous avons le temps et c’est notre spécialité », indique le commissaire Christophe Foissey, chef de la BNRF. 80 % du travail se fait depuis les bureaux de la BNRF à Nanterre, et lorsque suffisamment d’éléments sont rassemblés, les enquêteurs accomplissent un travail de terrain : filature, surveillance et diverses vérifications. « Cela permet de rationaliser les sorties, et de limiter notre présence en quartier hostile. »

Détecter le changement

Chaque matin, casque sur les oreilles, les policiers s’arment de patience pour écouter les conversations des nombreuses lignes téléphoniques suivies. Les écoutes téléphoniques, comme les autres « techniques d’enquêtes », sont encadrées par l’article 74-2 du code de procédure pénale.

L’autorisation d’écoute est délivrée par l’autorité judiciaire, après un rapport de justification d’écoute rédigé par les policiers. Contrairement aux enquêtes pour trafic de stupéfiants par exemple, où les policiers se focalisent seulement sur les conversations relatives au délit, en matière d’écoute sur les « fugitifs », la totalité des dialogues est passée au crible. Sur les écoutes d’une proche d’un individu recherché par exemple, « nous savons ce qu’elle a fait dans la journée, ce qu’elle va manger le soir, ses états d’âme, ses peines de cœur, toute sa vie... raconte Anthony, enquêteur à la BNRF depuis deux ans. On fait partie de la vie privée des gens, mais ils ne le savent pas ! » Si écouter est relativement simple, analyser la téléphonie n’est pas inné ! « Ça s’apprend avec des stages et surtout beaucoup de pratique, avertit Vincent, chaque cas de fugitif est presque unique. Le fonctionnaire doit faire preuve d’instinct, d’intelligence et de créativité.»

Chaque policier, depuis la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), suit ses propres lignes, se familiarise avec les différentes voix, les habitudes, les déplacements, et établit une sorte d’emploi du temps des personnes surveillées. « Les gens qui ont une vie tranquille font toujours la même chose... continue Anthony. On les écoute d’une oreille, on sait qu’ils vont dire des choses banales, le cerveau s’habitue, et dès qu’il y a un mot qu’on n’a pas l’habitude d’entendre, on est aux aguets ! » Et c’est là que tout se joue.

Un prénom qui ressort ? Une immatriculation ? Une nouvelle façon de parler ? Une heure de rendez-vous ? « Nous essayons de détecter le changement, explique Vincent. Lors d’une enquête où l’on travaillait sur la compagne d’un fugitif depuis trois mois, on savait à quel rythme elle vivait, quels étaient ses problèmes de santé, et qu’elle n’avait pas retrouvé d’autre compagnon. Puis on apprend qu’elle a un rendez-vous chez l’esthéticienne, donc potentiellement un rendez-vous galant par la suite, ce qui va nous amener à la suivre.»

Les enquêteurs cherchent aussi à identifier les « tocs » des fugitifs ou de leurs proches. Il s’agit des « téléphones occultes », des lignes ouvertes avec un nom d’emprunt auprès d’un opérateur téléphonique, simplement au guichet d’un débit de tabac et qui ne nécessitent pas de pièce d’identité. « La ligne est ensuite utilisée seulement pour contacter une autre personne, qui utilise également un toc, explique Alexandre, à la BNRF depuis cinq ans. Quand on arrive à obtenir ces lignes-là, c’est intéressant, car ils ne pensent pas forcément qu’ils sont écoutés. »

Un travail de longue haleine

L’analyse des factures détaillées (type de communication, durée, cellule déclenchée), corrélée aux écoutes, dévoile de précieux indices qui contribuent à faire avancer l’enquête sur des adresses et le quotidien de la personne. La géo-localisation est également associée, que ce soit par des balises posées sur des véhicules ou par le suivi des téléphones. Les enquêteurs suivent sur une carte la position des téléphones. Quant aux informateurs, ils sont parfois loin d’avoir un rôle prépondérant. En effet, le témoignage humain étant soumis aux mensonges et à l’altération volontaire ou involontaire de la vérité, il doit être traité avec prudence. « On ne travaille pas avec des indic’ sur tous les dossiers, précise Vincent, le recueil de renseignement peut s’avérer utile mais aussi nous emmener dans des directions totalement fausses et nous faire travailler pour rien. Et puis il y a le côté redevable : pourquoi nous le dénonce-t-on ? Je me méfie du témoignage humain. »

Merci pour ce moment

Du travail d’enquête au raccompagnement du fugitif à la maison d’arrêt, les policiers de la BNRF suivent les dossiers de A à Z. Cette implication est d’ailleurs l’un des attraits de ce service.

« Nous présentons l’individu au magistrat, il nous délivre le mandat de dépôt, et on va le remettre directement au surveillant », atteste Alexandre, qui remarque que souvent, le fugitif se montre soulagé et même reconnaissant ! « Quelques-uns nous ont dit : de toutes façons je comptais me rendre dans peu de temps, ajoute Anthony. Nous, on ne leur met pas de pression pour avouer quelque chose, on les interpelle et on les met à disposition de la justice. Ils essaient de savoir comment on les a retrouvés... beaucoup se disent que c’est le jeu. »