Le numérique, instrument de transformation de l’État

Le numérique, instrument de transformation de l’État
17 mai 2018

Le plan préfecture nouvelle génération (PPNG), l’explosion des réseaux sociaux ou encore l’apparition d’une brigade numérique de la Gendarmerie nationale, ont transformé la relation entre le ministère et les usagers. Les services se modernisent, s’adaptent aux nouveaux enjeux numériques, notamment avec la prochaine création d’un délégué à la protection des données ou l’application AliceM, certifiant d’une identité dans une transaction privée.


« Gain de temps et sécurité renforcée »

Trois questions à Michel Bergue, administrateur général et directeur de projet en charge de la coordination du plan préfectures nouvelle génération (PPNG) auprès du Secrétaire général, alors que PPNG s’achèvera d’ici quelques semaines.

Civique : Quels sont les titres dorénavant délivrés par des démarches en ligne ?

Michel Bergue : Les préfectures délivrent traditionnellement les titres pour les étrangers, les cartes d’identité, les passeports, les permis de conduire et les certificats d’immatriculation. Désormais toutes les transmissions se font de manière numérisée, hormis pour les étrangers. Pour les passeports et les cartes d’identité, des titres « fondateurs » car nécessitant le plus haut degré d’identification de la personne, il est encore obligatoire d’avoir recours à un face-à-face avec un agent de mairie pour garantir son identité et vérifier que le demandeur n’est pas purement « virtuel ».

En revanche, pour les certificats d’immatriculation, représentant près de 30 millions d’opérations par an, ou pour les permis de conduire, tout est fait de manière totalement dématérialisée, l’usager n’ayant plus besoin de se déplacer. Il peut faire sa demande 24 heures/24 de chez lui et reçoit ensuite son titre à son domicile. Evidemment, pour ceux qui ont des difficultés à se servir d’Internet ou d’un ordinateur, la préfecture joue toujours un rôle d’accueil de proximité du public mais ne traite plus le dossier. Sur les 300 espaces numériques qui ont été mis en place dans les préfectures et les sous-préfectures, sur tout le territoire, un médiateur peut les aider, les accompagner dans leurs démarches, avec du matériel mis à disposition.

Civique : Qu’y gagne l’usager ?

Michel Bergue : Le gain essentiel pour l’usager est d’éviter les déplacements, les files d’attente en préfecture. C’est un gain de temps indéniable car certains usagers devaient poser une demi-journée de congés ou de RTT, voire revenir plusieurs fois si le dossier était incomplet ou s’ils étaient dans une situation particulière. Ils en sont dispensés aujourd’hui.

Toutes ces télé-procédures sont entièrement gratuites pour l’usager, la seule dépense concerne le paiement des taxes propres à chaque type de titre. Collectivement, les usagers y gagnent des titres plus sécurisés, et moins de risque d’être victimes de fraude.

Civique : Avec le numérique et les démarches en ligne qui se démocratisent, cela n’engendre-t-il pas un nouveau rapport entre l’usager et les services de l’État ?

Michel Bergue : La relation avec l’usager a sensiblement été modifiée. Dans les espaces numériques, l’agent n’est plus face à l’usager comme auparavant avec les guichets, mais à côté de lui pour l’accompagner, pour lui faciliter l’accomplissement de sa démarche. Contrairement à d’autres administrations, nous avons fait le choix de passer très vite au tout numérique, c’est une des particularités du PPNG. Nous avons réalisé ces changements en un temps extrêmement court.

Des messages ont été communiqués au public par des campagnes de communication, notamment sur les radios et Internet, mais ils n’ont pas forcément été entendus par tous, et certains ont continué au début à venir tout de même en préfecture. Nous avons eu des reproches. Il y a une perte de contact physique mais nous considérons que c’est l’évolution des mœurs et des temps qui le veut ainsi. L’essentiel des usagers apprécie de réaliser ainsi ses démarches. Pour les autres, ils peuvent venir se faire aider aux points numériques.

Le ministère a créé un comité national des usagers avec des associations représentant des populations très diverses, des personnes handicapées à celles marginalisées, mais aussi des associations familiales... pour améliorer la relation entre l’administration et l’usager. Des propositions en ressortiront pour prendre en compte les différentes situations, et notamment les cas particuliers, car quand on traite plusieurs millions d’opérations et qu’on a vocation à couvrir la quasi-totalité de la population, il y a toujours des situations particulières. Cette évolution vers le numérique était devenue nécessaire, un peu comme dans les décennies d’après-guerre où nous avons assisté au développement du téléphone.

Point numérique

Vers une identité numérique sécurisée

La révolution numérique se poursuit au ministère de l’Intérieur qui, conjointement avec le Secrétariat d’État en charge du numérique, s’est vu confié par le Premier ministre la mission de proposer des solutions d’identification numérique sécurisées pour la rentrée 2019. Pour ce faire, une direction de programme interministériel de l’identité numérique a été mise en place en janvier dernier auprès du secrétaire général du ministère. Dans ce cadre, le lancement de l’application ALICEM, prévu à l’automne, permettra à toute personne de disposer d’une identité numérique sécurisée, « à condition, précise Charles-Henri Menseau, chef de la filière innovations à l’agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qu’elle soit possesseur d’un téléphone mobile Android doté d’un lecteur sans contact et titulaire d’un passeport biométrique ou d’un titre de séjour des étrangers, titres sécurisés comportant un puce sécurisée ».

« La production de documents prouvant l’identité d’une personne constitue l’une des missions traditionnelles du ministère de l’Intérieur, rappelle Julien Anthonioz-Blanc, responsable des projets et du développement des applications à la direction de la modernisation et de l’action territoriale (DMAT). Il nous revenait de transposer cette mission dans le domaine numérique, au regard de l’évolution des nouveaux moyens de communication. La majorité des démarches publiques et privées sont aujourd’hui dématérialisées et nombre de transactions commerciales et bancaires s’effectuent via Internet. En conséquence, il devenait indispensable d’offrir aux usagers un moyen sécurisé de prouver leur identité dans cet espace numérique ».

« Le projet ne date pas d’hier, souligne Charles-Henri Menseau, le ministère planche sur cette question de l’identité numérique depuis une bonne quinzaine d’années. Il y a trois ans, l’ANTS a eu l’idée de partir des titres sécurisés intégrant une puce. Ces documents possèdent en effet des composants intelligents qui ne se réduisent pas à de simples espaces de stockage. Ils ont la capacité d’assurer leur authenticité et de prouver l’identité des personnes. »

Techniquement, la solution retenue fait du document papier le socle de l’identité numérique. « Une fois l’application chargée, il s’agira de procéder à une lecture de la puce du document avec le téléphone. L’application récupérera un certain nombre de données qui seront ensuite vérifiées. La vérification portera notamment sur l’authenticité et l’intégrité du document ainsi que sur la validité en cours de ce dernier. Une reconnaissance faciale poussée via un selfie sera ensuite effectuée. Une fois ces démarches complétées, le serveur central d’ALICEM situé au ministère validera la création de l’identité numérique. »

Cette identité numérique est ensuite stockée dans le téléphone. « Les données d’état-civil seront chiffrées et disponibles uniquement dans le téléphone. L’utilisateur pourra alors les utiliser pour effectuer ses démarches en ligne auprès de fournisseurs de services administratifs publics comme les impôts ou la CAF, ou privés comme les banques et les assurances. » Intérieur oblige, le système a été conçu pour répondre aux exigences de sécurité les plus élevées.

« Le moyen de prouver son identité est pluri-factoriel, nécessitant un smartphone avec l’application téléchargée, un code sécurité lié à cette application et un titre sécurisé. Nous serons donc les seuls en France à produire une identité numérique qui puisse prétendre au niveau de fiabilité élevé tel que l’a défini le règlement européen eIDAS (Electronic Identifiation Authentication and trust Services) », conclut Julien Anthonioz-Blanc.