Les trois forces d’intervention du ministère de l’Intérieur, GIGN, RAID et BRI, travaillent sur l’anticipation opérationnelle pour améliorer leurs interventions. Cartographie, réalisation de dossiers d’objectifs, partage d’informations renseignées, les outils et les interfaces numériques vont bouleverser le travail des policiers et des gendarmes d’élite.
« Opposer notre anticipation à la surprise de l’événement ». La devise de la cellule audit et dossiers d’objectifs (CADO) du GIGN parle d’elle-même. « Notre rôle est d’établir des dossiers d’objectifs pour apporter une aide à la décision aux autorités et aux hommes des groupes d’intervention, leur permettre de mieux analyser et comprendre un site, un bâtiment, une situation, dès les premiers instants de la crise », explique Christophe, responsable de cette cellule. Les trois membres de la CADO, à l’instar de leurs homologues de la cellule « recherche et développement » du RAID et de la section « soutien opérationnel » de la BRI, réalisent des états des lieux de sites jugés sensibles pour les cartographier le plus précisément possible.
À Paris, les dossiers d’aide à l’intervention sont réalisés par la BRI pour les centres commerciaux, les salles de spectacles, les hôpitaux, les centres sportifs... « Après une visite du site, nous récupérons un plan simple des lieux auprès du responsable sécurité, explique Pascal, chef de la section soutien opérationnel de la BRI. Nous réalisons ensuite un « baptême terrain », soit un quadrillage précis du plan, permettant de fournir un maximum d’éléments. Les plans sont transmis sur les tablettes des colonnes d’assaut pour renseigner les hommes au plus près de la crise mais aussi aux autorités pour leur faire remonter le plan de situation. » La BRI s’appuie, entre autres, sur le travail de cartographie de la direction opérationnelle des services techniques et logistiques (DOSTL) de la préfecture de Police, réalisé en lien avec la mairie de Paris, qui a notamment cartographié les écoles parisiennes.
De la même manière, le GIGN travaille sur les sites d’importance vitale sur lesquels le groupe est susceptible d’intervenir : palais nationaux, Assemblée nationale, Sénat, prisons, centrales nucléaires, aéroports, trains... Le défi pour les membres de la CADO est alors d’anticiper les sollicitations des membres des groupes d’intervention : « Les questions sont récurrentes : Où l’hélicoptère peut-il se poser en cas de crise ? Par où entrer ? Quels sont les accès ? Les issues de secours ? Nous avons donc développé une application sur laquelle nous intégrons dans un plan des photographies et différentes données comme les accès non conventionnels pour cheminer à l’intérieur. Une fois la crise enclenchée, nous transmettons par un VPN (virtual private network) les dossiers et les éléments sur un serveur sécurisé, sur lequel les hommes de l’intervention viennent y récupérer les informations qui leur sont nécessaires ».
Un travail de l’ombre d’autant plus important lorsque l’alerte survient sur un site totalement inconnu de l’une des unités. Commence alors une guerre du temps, une course contre la montre pour documenter et fournir le plus d’informations possible aux « gars de l’inter », via les tablettes ou les smartphones.
S’agrègent à la cartographie tous les éléments importants au bon déroulement de l’intervention : contacts sur place, vues satellites, emplacement de la vidéo-protection, une minutie qui peut aller jusqu’à détailler le sens d’ouverture d’une porte...
Au RAID, ce travail d’anticipation est, depuis plus de dix ans, l’apanage de la cellule dédiée aux « dossiers d’aide à l’intervention ». Pour compléter cet outil, le RAID, via son entité « recherche et développement », travaille depuis plusieurs années avec Airbus sur une application permettant le partage d’informations renseignées. « Dès que l’alerte est déclenchée, on récupère un plan du site, via les outils présents sur Internet, on l’importe sur notre réseau et on le partage : sur une smart-borne au PC du RAID, sur les tablettes pour le chef du RAID et les officiers de renseignement, et sur les smartphones pour les officiers et les chefs d’équipes présents sur l’intervention, souligne Loïc, responsable de la cellule recherche et développement au RAID. Cette technologie permet un partage immédiat, des échanges en temps réel, une géolocalisation de tous les intervenants. Chaque acteur de la crise, pompiers, Samu, policiers ou gendarmes, préfecture... peut ainsi se mettre à niveau immédiatement sur le dispositif en place. »
Pour développer un tel outil, Patrice, du service innovation et marketing d’Airbus, a dû apprécier les contraintes opérationnelles du RAID pour répondre au plus près à l’expression de besoins. « J’ai participé à plusieurs exercices pour améliorer l’application, explique-t-il. J’ai créé ainsi des options adaptées aux réalités du terrain comme la possibilité de réaliser un dessin directement sur smartphone ou tablette ou encore la géolocalisation des membres du RAID sur le théâtre d’intervention. » De même, le GIGN a développé un outil numérique qui lui est propre, de type messagerie de réseaux sociaux, sur lequel il est possible de réaliser des tchats, des envois de vidéos et de photos, ainsi qu’une géolocalisation en temps réel sur les lieux de la crise.
Les forces d’intervention du ministère de l’Intérieur se penchent actuellement sur la réalisation de plans en trois dimensions. Cette technologie permettra, pour la colonne d’assaut par exemple, de mieux appréhender les angles de danger au moment de pénétrer sur un site. Alors que le RAID et le GIGN travaillent depuis 2010 sur cette problématique, un nouveau projet associant les trois forces est actuellement en cours de développement.
Le Big Data est un processus de collecte, de traitement et d’exploitation de données massives et hétérogènes (une donnée hétérogène est issue de systèmes de bases de données qui ne sont pas directement compatibles et n’utilisent pas tous le même système d’exploitation).
Quelle peut-être l’utilisation professionnelle de ces « méga données » au sein du ministère de l’Intérieur ?
Elles peuvent permettre d’optimiser l’action des forces de l’ordre dans un objectif d’efficacité, de meilleure productivité et de cohérence. L’exploitation des bases de données correctement renseignées est un levier d’investigation utile, pour l’analyse criminelle par exemple. L’historique des incendies permet ainsi d’identifier des récurrences de mises à feu. C’est le regroupement et le croisement d’informations issues de sources très différentes qui fiabilisent les données. Le renseignement criminel se base sur les statistiques des actes passés pour évaluer les probabilitésde récidives en un lieu et à un moment donnés. L’essentiel n’est pas tant de collecter de la donnée mais de lui donner du sens, d’arriver à en extraire de la valeur et de contextualiser les informations pour en tirer parti efficacement.
L’application informatique SELFim, conçue par la DSIC, est un outil d’aide à la détection des tentatives de fraude au certificat d’immatriculation de véhicules à destination des six centres d’expertise et de ressources titres (CERT) « service immatriculation des véhicules » (SIV) du territoire. Il permet de cibler les dossiers suspects et de les sortir de la chaîne de traitement. Pour y parvenir, SELFim utilise la data science, soit le traitement de données et de méthodes algorithmiques, de statistiques et de mathématiques, en appui du savoir-faire des experts en fraude documentaire. Ils ont identifié 35 typologies de fraudes dans le domaine ainsi que leur mode opératoire, allant des faux certificats de ventes aux voitures volées ou au blanchiment de voitures non conformes.
Philippe Deschamps, sous-directeur des applications à la DSIC, explique son fonctionnement : « Plus d’un million d’opérations sont faites chaque mois sur les immatriculations de véhicules, nous procurant ainsi une « montagne »
de données. Chaque jour, les usagers effectuent leurs demandes en ligne, qui tombent sur le SIV.
Ces données sont ensuite quotidiennement exportées, dupliquées et passent dans SELFim, qui les filtre. Si la demande n’accroche pas un des filtres concernant l’une des 35 typologies de fraude, le dossier poursuit son cheminement. Si la demande est accrochée par un filtre, une interface alerte la cellule fraude du CERT concerné sur un cas de suspicion, qui peut alors prioriser la gestion des dossiers. »
Parmi les types de fraudes, priorité a été donnée à la détection de la fraude concernant les véhicules déclarés détruits, maquillés à l’étranger puis importés en France pour être revendus. « Ce cas de fraude était connu des référents fraude mais il n’était pas modélisé. Le travail en binôme entre le « data-scientist » de la DSIC et l’expert en fraude transforme une intuition d’expert en algorithme, apportant une aide indéniable à l’agent du CERT. »
Pour gérer et organiser l’emploi du temps des 8 500 sapeurs-pompiers professionnels et des 600 réservistes qui composent la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), un système d’information de gestion du temps, SIGTAO, est utilisé depuis janvier 2016. Il permet à tous les pompiers de Paris de gérer leur emploi de temps, journalier comme mensuel, et de faire part de leurs demandes de service comme des demandes de repos et de congés.
Au-delà de l’intérêt individuel pour gérer les 140 jours de garde de chaque sapeur-pompier de la brigade, « cette application permet une gestion en temps réel des effectifs, souligne le lieutenant-colonel Jean-Luc Rubod de la BSPP. Chaque responsable a ainsi la possibilité de gérer ses équipes en adéquation avec le besoin opérationnel. Nous avons une vision à l’homme près à l’instant T. Nous pouvons ainsi rappeler des renforts en cas de crise, d’accident important ou d’attentat. Si nous observons des troubles urbains dans telle zone, nous privilégierons le rappel de personnels dans les centres de secours les plus proches. »
L’application a été raccordée au logiciel RH de la BSPP et à chacun des véhicules d’intervention, offrant ainsi une géolocalisation en direct. « Cet outil facilite grandement le quotidien. Il a reçu l’adhésion de tous. Nous observons en moyenne près de 8 000 connexions quotidiennes sur l’application. Les nouveaux engagés sont jeunes et baignent dans ces technologies, la BSPP a donc été rattrapée par la modernité ! »
Au sein de l’institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale (IRCGN), la division criminalistique et identification humaine est chargée, sur demande de la Justice, d’effectuer des autopsies et des expertises pour apporter un diagnostic sur les causes de la mort d’une personne. Bien que la médecine légale soit une science pratiquée depuis au moins trois siècles, l’intégration récente d’outils technologiques et d’appareils de pointe apporte une plus-value indéniable à la discipline.
Le docteur Christelle P., médecin-légiste et adjointe au chef du département de médecine-légale-odontologie de la division criminalistique et identification humaine de l’IRCGN, évoque les dernières avancées : « Nous utilisons un scanner 3D, permettant d’identifier dans le corps des éléments invisibles lors de l’autopsie et de savoir précisément où aller chercher un projectile. Nous développons aussi actuellement un scanner injecté, qui consiste à injecter dans le corps un produit de contraste pour mettre en évidence des anomalies, mais aussi de visualiser des lésions internes qui vont guider le légiste au cours de l’autopsie et des prélèvements. »
Les images obtenues par les deux outils permettent de réaliser une reconstruction scanno-graphique du corps, soit une image virtuelle en trois dimensions. « Ces reconstructions sont directement visibles en salle d’autopsie sur un écran. » L’affichage instantané, via un réseau wi-fi, des photographies prises par les enquêteurs, et dont la qualité doit être vérifiée par le médecin légiste, est également possible.
En septembre 2017, le service a été doté d’un système audiovisuel unique en France. Chaque table d’autopsie est équipée d’une caméra fixe, qui filme en vue de dessus le corps et tous les gestes réalisés par le légiste. Une caméra mobile au grossissement x 20 est également placée dans la salle, permettant de zoomer sur des éléments d’intérêt.
« Nous nous équipons d’un micro pour avoir un enregistrement audio et vidéo. Cela me permet de communiquer avec un secrétaire, qui s’installe dans une salle voisine pour effectuer la prise de notes de ce que je lui dicte, car sa présence n’est pas du tout obligatoire en salle d’autopsie. La Justice peut demander une contre-expertise en cas de questionnements complémentaires ou sur une affaire sensible, on peut alors présenter le film de l’autopsie et la bande-son pour constater que les prélèvements et la procédure ont été correctement réalisés. C’est un outil de transparence et de lisibilité. »