« Dis moi qui tu es, je te dirai qui t’a tué »

Florent Gathérias © MI/SG/Dicom/F.Boillot
24 septembre 2015

L’OCRVP compte dans ses rangs trois psychologues, Emma Oliveira, Christophe Baroche, et Florent Gathérias à leur tête, regroupés au sein de l’unité d’analyse comportementale psychocriminologique. Ils sont chargés d’apporter aux enquêteurs un éclairage particulier sur les affaires criminelles dont l’office a la charge. Florent Gathérias revient sur une affaire criminelle de 2011, afin d’expliquer la façon dont la psychologie peut constituer une aide à l’enquête.


En juin 2011, un garçon de 13 ans rentre à vélo d’une fête chez ses amis. La nuit tombée et sous la pluie, il attache son vélo à 100 mètres de chez son père chez qui il doit passer la nuit. Cette nuit-là le jeune homme disparaît. Quelques temps plus tard, un promeneur découvre par hasard un morceau de corps dans une rivière proche. Très vite, les services de police l’identifient comme une partie du garçon et orientent leurs investigations sur la zone. D’autres morceaux sont retrouvés enterrés dans une digue. C’est à ce moment de l’enquête que le juge saisi de l’affaire nomme comme expert Florent Gathérias, psychocriminologue à l’OCRVP, afin qu’il établisse une première expertise psychocriminologique de ce crime.

La personnalité du meurtrier

Florent Gathérias se rend alors sur les lieux, prend des photos et étudie le dossier, afin de dresser une liste d’hypothèses sur la personnalité d’éventuels suspects.
« Deux grandes hypothèses doivent être affinées pour les meurtriers d’enfants : la piste d’un proche ou celle d’un inconnu, explique le psychologue. Vu la façon dont l’enfant est mort, le crâne défoncé, puis le corps découpé, il semble moins plausible que ce soit un proche. Quand il y a une relation affective, il est plus facile d’aller enterrer un cadavre que de le découper. Dans l’hypothèse du meurtrier inconnu, la préméditation semblait peu probable du fait de la soirée passée par la victime, et du caractère violent du meurtre. Une rencontre de hasard avec des motivations d’ordre sexuel ou encore de violence pure est en revanche totalement possible. » Une agression de type " sadique " est statistiquement plus rare mais non-écartable.

La piste du père est exploitée : sa personnalité, le contexte de la disparition et l’analyse des auditions ne permettent cependant pas de l’impliquer, selon le psychocriminologue, et ce en dépit de ses problèmes d’alcool. En revanche, le caractère de la jeune victime est parlant : un enfant au contact agréable, allant au-devant des autres, qui répondra facilement s’il est interpellé. Relativement grand, il est en mesure de réagir en cas d’agression… sauf par surprise.

Florent Gathérias transmet au juge son rapport d’analyse psychocriminologique qui intègre alors la procédure judiciaire. «  J’établis l’hypothèse de la rencontre fortuite avec un inconnu, indique-t-il, qui me semble la plus cohérente. Je souligne le paradoxe entre ce qui a causé la mort, qui traduit de la violence, voire un état pathologique peut-être sous l’emprise de toxiques, et la façon dont le corps a été découpé et dissimulé, qui sont des actes plus froids et demandant de la patience. Ces deux états différents peuvent venir d’une personne dans deux états différents, ou plus probablement de deux personnes. »

Rebondissements après l’analyse médico-légale

L’examen médico-légal détermine le fait que le choc sur la tête serait dû à un coup de marteau. Suite à cette expertise, le juge chargé de l’enquête saisit à nouveau le psychocriminologue pour approfondir son rapport. Florent Gathérias va distinguer précisément deux personnalités : d’un côté quelqu’un capable d’agir dans la violence et dans la rage, avec un marteau ; et de l’autre une personne plus organisée, réfléchie, et capable d’un contact direct avec le corps. «  Quelqu’un de plus posé, avec des connaissances anatomiques humaines ou animales  » précise Florent. Le champ des personnalités plausibles étant alors restreint, le psychologue décide de s’intéresser à l’auteur du meurtre en travaillant sur ses antécédents possibles. «  Il est peu probable que le meurtrier ait des antécédents psychiatriques, mais plutôt des antécédents violents. Une telle charge d’agressivité ne peut arriver uniquement à ce moment-là, la personne est sûrement connue des services de police pour des actes de violence. » Florent Gathérias rédige un profil de l’auteur du meurtre, diffusé auprès des magistrats et de l’ensemble des services de police de la région.

L’arrestation d’un homme relance l’enquête

Environ un an après, un homme est arrêté dans la même ville pour des actes de violence et des menaces avec un marteau. Les enquêteurs font vite le lien avec le meurtre du jeune garçon, le profil établi ayant permis d’éveiller leur vigilance. Le marteau est comparable à celui qui avait tué l’enfant : l’homme est alors placé en garde à vue. De plus, dans son environnement proche, les enquêteurs identifient un individu correspondant au profil du complice éventuel établi par Florent Gathérias.

© MI/SG/Dicom/F.Boillot

Les enquêteurs font une nouvelle fois appel au psychologue. Il préparera avec eux la garde à vue, et les conseillera pendant les 48 heures. «  Durant l’audition, nous sommes face à un paumé, un marginal qu’il ne faut pas brusquer. Mais il faut que les policiers profitent de leur statut d’autorité pour amener cet homme à se confier. Mon rôle est d’essayer de permettre aux enquêteurs de garder cet état d’esprit, indépendamment de ce qu’ils peuvent ressentir ». Être autoritaire et bienveillant à la fois n’est pas évident lorsqu’on enquête sur le meurtre d’un enfant, mais les conseils du psy portent leurs fruits, et peu à peu l’homme lâche des éléments, jusqu’à l’aveu : ce soir d’été 2011, éméché, il voit passer l’enfant dans la rue, a voulu lui voler son portable et lui a mis un coup de marteau fatal. Il a ensuite transporté le corps dans une poubelle à l’aide d’un ami. Un dénouement " banal " qui reste marquant pour Florent : «  Le scénario est d’une bêtise extraordinaire, une violence extrême pour une idiotie…  »

L’homme ne donnera pas plus d’informations sur le découpage et la dissimulation du corps, ni sur son complice qu’il évoque seulement. Il finira même par revenir sur ses aveux, mais les indications sont suffisantes pour l’incriminer. «  Quand un auteur de violences aux personnes se fait prendre, il a généralement envie d’être soulagé de ce qu’il a commis et débarrassé de la pression policière. L’aveu est un moment d’apaisement. Mais après coup, il se rétracte souvent par peur des conséquences  », explique le psychocriminologue.

Un marginal aux troubles de la personnalité

L’homme ne sera pas considéré comme fou et toute préméditation est totalement écartée. C’est l’état alcoolisé dans lequel il était, et son incapacité à gérer sa propre violence qui l’ont amené à faire ce geste meurtrier. Cette sordide affaire ressemble à de nombreux cas que les psychologues de l’OCRVP ont à traiter : une situation qui dérape et un acte qui devient meurtrier. «  Nous sommes souvent confrontés à des troubles de la personnalité de ce genre, qui ne sont pas entrés dans une réelle pathologie. Car les personnes vraiment malades psychologiquement n’ont pas tendance à se protéger, on les trouve la plupart du temps plus rapidement  ». Aujourd’hui en prison, l’auteur présumé des faits attend son jugement. Florent Gathérias devrait être présent aux Assises pour évoquer ses rapports d’expertises et d’audition.

Floriane Boillot

Pourquoi des psys à la PJ ?

Force est de reconnaître que la psychocriminologie au service des enquêtes criminelles n’est pas encore une tradition française. « Il y a bien eu quelques expérimentations au sein de la police judiciaire, mais elles n’ont guère été concluantes, confie Florent Gathérias, psychocriminologue à l’OCRVP. Le problème est que le rôle des psychologues au sein de la structure n’avait pas été défini de manière rigoureuse. C’est pourquoi, quand je suis arrivé en 2009 à l’OCRVP, notre priorité, avec l’ancien chef de l’office Fréderic Malon, a été de bien définir le cadre d’emploi et surtout le cadre juridique de la psychocriminologie ».

Le rôle des psychologues dans les enquêtes criminelles est aujourd’hui encore très mal connu. L’influence des séries américaines sur le grand public, « voire même sur certains policiers », souligne Florent Gathérias, a contribué à forger une vision relativement erronée de leur travail. « On nous voit comme des profileurs, alors que cela ne représente qu’une infime partie de notre travail. Et puis qu’est-ce que le profilage ? C’est en fait une technique simple qui schématiquement consiste à comparer des indices récupérés sur une scène de crime à des tableaux statistiques classant les auteurs de crime. Le travail d’analyse psychocriminologique va bien au-delà ».

L’ORCVP a quant à lui fait le choix de dépasser le cadre étroit de l’analyse comportementale telle qu’on la conçoit dans les pays anglo-saxons, préférant s’appuyer sur des psychologues cliniciens, formés en criminologie et possédant comme Florent Gathérias, une solide expérience en la matière. « Nous n’avons pas voulu simplement adapter des méthodes développées ailleurs, nous nous appuyons en plus sur les outils d’analyse de la psychologie appliqués à la criminologie, au-delà du profilage traditionnel, insuffisant s’il n’est pas accompagné d’une analyse psychologique de la dynamique humaine des différents protagonistes. Nous ne sommes pas en mesure de solutionner seuls une enquête, mais nous apportons aux enquêteurs des éléments qui leur permettent de comprendre les comportements et les motivations d’auteurs de crime, et de disposer ainsi d’un profil de personnalité ».

Ces psychologues sont autant des praticiens que des chercheurs. « Nous avons adapté et développé des techniques d’audition de témoins et de victimes pour recueillir davantage d’informations que lors des auditions habituelles, notamment en extrayant de chaque témoignage ce qui est influencé par la personnalité propre de celui qui dépose. Dans le cas des crimes en série, notamment sexuels, cette approche est précieuse pour les enquêteurs. De même dans les rapprochements de meurtres, la scène de crime ne permet pas de dégager une identité particulière d’un criminel, seules les traces relevant de sa représentation mentale des actes, avant ou pendant le crime, déterminent une signature qui lui est propre ».
Les psychocriminologues sont également en mesure de procéder à une analyse de la scène de crime ainsi qu’à une analyse victimologique : « Pour comprendre un auteur de crime, il est important de comprendre qui est sa victime ».

Frank Canton