Déclaration de Gérard Collomb, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur lors de l'ouverture des débats en séance à l’Assemblée Nationale autour du projet de loi pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, à l'Assemblée Nationale le 16 avril 2018
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la Commission des Lois,
Madame la Rapporteure,
Mesdames et Messieurs les députés,
La loi dont nous allons commencer ce soir l’examen vise – et votre Commission des lois a eu raison d’en amender le titre pour mieux en définir le contenu - trois objectifs majeurs : une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif, une intégration réussie.
Trois termes qui se doivent d’être complémentaires pour construire dans l’avenir une société plus harmonieuse, une société apaisée.
Une immigration maitrisée d’abord !
L’Europe vient de connaitre une crise migratoire comme elle n’en n’avait plus vécu depuis la fin de la Première Guerre mondiale.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
En 2010 le nombre de migrants était de 103.000, il a bondi à 291.000 en 2014 pour dépasser les 1.8 million de personnes en 2015.
Cette crise, nous le savons, a bousculé nos structures de protection, contribué à faire monter les craintes, fait basculer un grand nombre des pays de notre continent dans un populisme agressif et xénophobe.
Il n’est que de regarder le résultat des dernières élections.
Avec une Allemagne qui compte désormais 92 députés d’extrême droite au Bundestag, avec une Autriche où le FPÖ obtient près d’un tiers des sièges devenant ainsi un partenaire incontournable de la coalition au pouvoir, avec une Italie où le mouvement 5 étoiles arrive en tête avec 32% des voix et où la Ligue du nord, avec 17%, dépasse Forza Italia.
Et que dire des dernières élections en Hongrie où le Parti de Viktor Orban vient d’obtenir les 2/3 des sièges et où il est suivi par Jobbik, un mouvement qui développe des thèses plus xénophobes et plus ultra-nationalistes encore.
D’une certaine manière seule l’élection d’Emmanuel Macron s’est inscrite à contre-courant.
Et pourtant la France se trouve elle aussi confrontée au même phénomène migratoire même si c’est avec un temps de retard par rapport au reste l’Europe.
En 2017, avec des arrivées qui se sont réduites de moitié, l’Europe semble avoir franchi le pic migratoire. C’est là, on le sait, le résultat des accords passés avec la Turquie, qui ont permis une très nette réduction des flux vers la Grèce ou les Balkans. C’est là, le résultat d’une diminution forte des arrivées en Italie depuis la Libye (-34% d’arrivées, une tendance qui se poursuit sur les premiers mois de 2018). Seule la Méditerranée occidentale (Maroc, Espagne) voit le franchissement des frontières augmenter : en 2 ans, on est en effet passé de 7.000 à 23.000 entrées irrégulières. Mais alors que la demande d’asile diminue en Europe, elle continue à croître en France. En 2010, on comptait 52 000 demandes d’asile dans notre pays.
L’an dernier, nous avons atteint les 100.000 demandes après trois années consécutives d’augmentation: +29% en 2015, +6% en 2016, +17% en 2017.
Résultat, malgré une augmentation continue des places créées au sein de notre Dispositif National d’Accueil qui est passé de 44.000 places en 2012 à 80.000 aujourd’hui, celui-ci ne peut héberger qu’à peine 60% des demandeurs. D’où un transfert vers le système d’hébergement d’urgence qui, bien qu’il ait lui-même connu une montée en puissance (on est passé de 62.000 places en 2012 à 138.000 en 2017 dont 42.000 chambres d’hôtel), est désormais également saturé. Et encore je ne mentionne même pas le Plan Grand Froid qui nous ont permis d’atteindre 150.000 places. Ce qui n’a pas empêché une multiplication de campements sauvages dans les rues de nos agglomérations.
Mesdames et Messieurs les députés,
Quelle que soit la sensibilité des uns et des autres sur le sujet évoqué ce soir, un premier constat s’impose : on ne saurait continuer très longtemps dans cette voie qui est à la fois indigne des traditions d’accueil de la France, et de plus en plus difficile à vivre pour un certain nombre de nos concitoyens.
Il y a donc urgence à réagir face à une situation qui se dégrade d’année en année. Pour ce faire, c’est d’abord en amont qu’il convient de porter l’effort. Car c’est à partir de là que nous pourrons continuer à accorder l’asile dans des conditions dignes à celles et ceux qui sont en besoin de protection. Le Président de la République et le Gouvernement ne se situent pas dans une autre voie lorsqu’ils mènent une action forte sur le plan international. Au Levant, il s’agit d’éviter qu’à nouveau des populations soient poussées à l’exode comme elles l’avaient été au moment où l’Etat Islamique tentait d’installer le Califat.
Et c’est le sens des décisions adoptées par le Gouvernement pour que des civils ne soient pas pris pour cible.
En Libye, nous oeuvrons avec le délégué général des Nations Unies pour que se reconstitue là aussi un Etat à même de mettre fin aux agissements de réseaux qui ont fait des migrants de simples marchandises, avec ces scènes insupportables qu’on a pu voir de femmes et d’hommes battus, torturés, violés, parfois réduits en esclavage. En Afrique sub-saharienne, c’est la même volonté qui guide la France. Là aussi, si nous luttons pour rétablir les conditions de la sécurité, c’est pour permettre que s’établissent les conditions du développement économique sans lequel rien n’est possible. Oui, c’est en amont que beaucoup se joue.
Car comme l’a dit avec force le Président de la République à Ouagadougou, en s’adressant à la jeunesse africaine : « c’est à vous qu’il appartient de construire votre avenir sur votre continent. Plutôt que de vous laisser duper par les chimères de passeurs qui n’ont qu’un but : s’enrichir et qui chaque jour, sans scrupules, conduisent nombre d’entre vous à la mort, dans le désert, dans les camps, ou en Méditerranée ».
Le premier devoir de l’Europe c’est donc bien d’aider l’Afrique à construire son propre avenir économique. Et on sait combien sont grandes les potentialités de ce continent.
Il faut aider à construire la rive sud de la Méditerranée.
Il faut aussi que l’Europe sache trouver des solutions communes en matière d’asile et d’immigration.
Et cela passe par des législations de plus en plus convergentes. C’est ce qu’elle a commencé à faire en tentant de mettre en place un régime d’asile européen commun. Et c’est ce à quoi entend contribuer la France avec cette loi, dont la plupart des dispositions tendent à se rapprocher du droit et des pratiques en vigueur chez nos partenaires les plus proches.
Le premier objectif, vous le connaissez, est de raccourcir les délais d’instruction du droit d’asile, à 6 mois en moyenne. Sa réalisation permettra à la fois de gagner en efficacité mais aussi, je le dis, en humanité. Parce que ce qui crée des situations inextricables, insupportables sur le plan humain, c’est notre incapacité à trancher dans des délais raisonnables. Quand on rencontre des familles qui sont depuis 15 ans à l’hôtel, qui peut se dire satisfait d’une telle situation, qui peut penser que des enfants peuvent grandir, se former dans de telles conditions ? Quand une personne qui a fui les théâtres de guerre doit attendre parfois plus de deux ans dans la précarité, avant de savoir si elle pourra construire ici sa vie, qui peut prétendre que la France est à la hauteur de ses valeurs ?
Décider en 6 mois en moyenne, c’est donc offrir les possibilités d’une insertion rapide dans la société à ceux qui obtiendront l’asile. C’est aussi donner à ceux qui en seront déboutés, les conditions d’un retour digne au pays. Car en 6 mois, ils n’auront pas perdu les liens avec leur famille, leurs repères, leurs amis, et nos politiques de retour doivent d’ailleurs viser à leur permettre de se construire une nouvelle vie.
Ramener, comme nous le souhaitons, le délai de décision à 6 mois suppose la mise en place d’un certain nombre de mesures opérationnelles. Nous les avons prises ou nous sommes en train de les prendre. Elles passent d’abord par l’augmentation des moyens humains. Et vous avez voté pour 2018, la création de 150 ETP dans les services étrangers des préfectures, de 15 ETP à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), de 15 ETP à l’OFfice Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), de 51 à la Cours Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Ces effectifs nouveaux nous permettront d’accélérer les procédures. D’ores et déjà d’ailleurs nous sommes en train de le faire. J’ai eu l’occasion de le souligner devant votre Commission : la durée moyenne d’instruction du droit d’asile était de 14 mois fin 2016, elle est aujourd’hui de 11 mois.
Quant au délai pour le premier accueil, il s’est considérablement réduit passant de 21 jours il y a un an à 13 aujourd’hui [et nous sommes même] à moins de 3 jours dans certaines régions. Il y a les moyens humains à mettre en place, il y a aussi des changements organisationnels à opérer. C’est par exemple l’objet des Centres d’Accueil et d’Examen des Situations (CAES) qui permettent à la fois d’accueillir et de procéder à une première évaluation administrative.
Madame la Rapporteure, vous avez souhaité que l’existence de ces centres soient désormais inscrite dans la loi. Et bien, dès cette année, le Gouvernement a créé un CAES dans chacune des 13 grandes régions de notre pays. Enfin, pour raccourcir les délais, il y avait, comme l’a souhaité le Président de la République, la nécessité de repenser un certain nombre de nos procédures. C’est ce que va permettre cette loi.
Dernier point enfin // le caractère suspensif du recours devant la CNDA sera aménagé dans 3 cas bien précis : pays d’origine sur, deuxième décision de rejet par l’OFPRA, ou bien demandeurs qui présentent une menace grave pour l’ordre public.
Nous voulons réduire les délais. Encore convient-il que les décisions prises puissent être exécutées. Ce qui n’est pas le cas le plus général aujourd’hui. En 2017, 85.000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prononcées. Mais seulement 15 000 éloignements ont été réalisés. Cette situation-là n’est bonne pour personne, et d’abord pas pour celles et ceux qui restés en France, sont condamnées à vivre dans une semi-clandestinité. C’est pourquoi, cette loi prend un certain nombre de mesures permettant de rendre effectives les OQTF prononcées.
En ce début de débat, je ne veux, Mesdames et Messieurs les députés, rien passer sous silence.
Deux points ont fait l’objet de discussions entre nous et sur lesquels nous sommes arrivés à un équilibre lors de la Commission des Lois.
Mesdames et Messieurs les députés, c’est parce que nous aurons réalisé tout ceci, que nous aurons mis en place les conditions d’une immigration maitrisée, que nous pourrons être totalement fidèles à cette tradition d’asile portée dès 1793 par les Constituants, fidèles à cet engagement de la convention de Genève de garantir « protection pour toute personne craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de son appartenance à un groupe social, ou de ses opinions politiques ».
Et bien c’est ce à quoi tend ce texte qui, dans ses dispositions, se veut particulièrement attentif à toutes les personnes vulnérables. C’est pourquoi il comprend une série de mesures.
Et je tiens à préciser que cette mesure ne vise évidemment pas la problématique devenue si prégnante des mineurs non accompagnés pour laquelle une négociation est en cours entre l’association des Départements de France et le Premier Ministre. Demain la France accueillera, dans les conditions que je viens de préciser, parce que c’est son honneur, parce qu’en agissant ainsi, elle sera dans la fidélité de sa tradition humaniste. Nous pensons aussi que nous devrons savoir attirer les compétences comme sait le faire par exemple un pays comme le Canada.
C’est pourquoi nous étendrons le passeport talents, nous faciliterons le séjour des étudiants et des chercheurs notamment pour ceux inscrits dans un programme de recherche multilatéral type Erasmus. C’est pourquoi nous créerons une carte de séjour temporaire d’1 an renouvelable 1 an, pour les jeunes au pair. Nous améliorerons les conditions de séjour dans notre pays des étrangers travaillant en Europe dans un groupe international ayant des établissements en France.
Enfin, nous mettrons bien évidemment en oeuvre, comme s’y était engagé le Premier ministre, les mesures prévues dans le rapport du député Aurélien Taché et qui visent à une meilleure intégration de tous ceux que nous accueillons : doublement des heures de cours de langue, différenciation des modes d’apprentissage selon le niveau de connaissance, mesures d’insertion professionnelle, droit au travail au bout de 6 mois.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, la teneur de notre projet tel qu’il a été adopté par votre Commission des Lois. Il y a ce texte, mais au-delà même de ce texte, il y a tout ce que nous devons réussir pour donner à ceux qui ont vocation à s’installer dans notre pays les conditions d’une pleine réussite.
C’est un de vos collègues qui, venu en France comme réfugié / à l’époque des boat people, me disait récemment : « accorder l’asile, ce n’est pas simplement prendre une responsabilité pour quelques mois ou quelques années, c’est savoir accompagner celui qu’on aura accueilli, lui accorder d’acquérir une formation, de trouver un travail, lui donner la possibilité de vivre dans un quartier, dans une cité harmonieuse et non le laisser cantonné aux marges de notre société, c’est lui permettre la chance d’une rencontre heureuse avec la culture de la nation qui l’accueille, c’est lui apprendre à en partager les valeurs, non dans le reniement de sa culture d’origine mais dans un enrichissement réciproque entre une culture passée et la culture d’un pays dans lequel on a choisi désormais de vivre sa vie. »
Mesdames et Messieurs les Députés,
Oui, ce député a raison. Le texte que nous examinons est d’importance. Les problématiques que nous traitons sont complexes, sensibles, parce qu’elles sont des problématiques qui nous touchent au plus profond de notre humanité. Il faut donc les traiter avec beaucoup de retenue. Mais il faut aussi savoir les incorporer dans une vision de notre société qui soit durable, sur le long terme ; Car c’est à la soutenabilité d’une politique que l’on peut juger de sa pertinence. C’est pourquoi sur ces questions plus que sur tout autre encore, il faut agir avec un grand sens des responsabilités.
On a parfois critiqué cette loi. Mais si on veut changer une société, il faut d’abord avoir le courage de la regarder en face, avec ses failles, ses vulnérabilités car c’est comme cela que l’on pourra la faire aller de l’avant.
Mesdames et Messieurs,
C’est Jaurès, qui dans son célèbre discours à la jeunesse disait :
« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. Oui, il faut partir du réel pour aller à l’idéal. » Eh bien si nous voulons que dans dix ans la France soit celle que nous souhaitons, une France unie, solidaire, fraternelle, dans toute la diversité des composantes de la nation, alors oui, sachons partir des réalités. Car c’est comme cela que nous pourrons construire une société meilleure.
Mesdames et Messieurs les Députés,
C’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à dépasser tous les problèmes qui sont les siens, et en particulier celui que nous évoquons aujourd’hui,
C’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à inventer un avenir digne de notre passé que je vous présente avec confiance ce texte, un texte travaillé avec la Commission, un texte travaillé avec tous les Députés qui l’ont voulu, un texte qui permettra de dépasser les doutes, les craintes et d’unir pleinement la société française.
Je vous remercie de votre attention.