Allocution de M. Gérard Collomb, Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur, à l'occasion de l'ouverture des États Généraux de la sécurité locale – Gazette des Communes au Pavillon Kléber (Paris 16ème), le 9 novembre 2017.
- Seul le prononcé fait foi -
Mesdames et Messieurs les Maires,
Monsieur le Directeur de la Gazette des Communes, M. Guillaume Doyen
Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d’ouvrir ce matin les seconds États généraux de la Sécurité locale.
Je tiens à remercier Guillaume Doyen, Directeur de la Gazette des communes pour son invitation.
Je veux saluer l’ensemble des partenaires de cet événement et en particulier le Forum français de la sécurité urbaine que, comme ancien Maire de Lyon, je connais bien.
Je vous remercie vous, élus, directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, de votre présence nombreuse. Je l’interprète comme le signe de l’intérêt croissant des acteurs locaux pour cette question majeure qu’est la sécurité.
Mesdames et Messieurs,
Si je tenais à m’exprimer devant vous, c’est parce que j’ai la conviction qu’assurer la protection des Français passe par une coopération étroite entre État et collectivités territoriales, entre État et acteurs locaux.
Mon expérience de Maire de Lyon m’a en effet appris que ce sont les élus, les conseils de quartiers, les associations qui, par leurs actions de terrain, possèdent la connaissance la plus fine de l’état de la délinquance.
Pour l’État, pour les forces de sécurité, il est donc indispensable de travailler avec vous.
C’est précisément dans cet état d’esprit que je suis parmi vous ce matin. Pour dialoguer. Pour trouver ensemble les voies d’une action commune.
Nous avons en effet une responsabilité partagée qui doit nous conduire à faire bloc pour assurer ce qui se trouve au fondement de tout progrès économique, social, humain : la tranquillité publique.
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Entendons-nous bien.
Je n’affirme pas ici qu’il faille remettre en cause le modèle français de sécurité qui, reposant sur deux forces nationales, confère au seul État le rôle de garant du « monopole de la violence légitime », pour reprendre une terminologie wébérienne.
Ce modèle a fait ses preuves quand il a fallu traquer les auteurs d’attentats. Il a fait ses preuves quand il a fallu récemment rétablir l’ordre public suite aux épisodes cycloniques de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
A contrario, les exemples de polices très décentralisées ont montré leurs limites face aux attaques de masse : que l’on songe aux attentats de Barcelone et de Cambrils, que l’on pense à la fusillade de Las Vegas aux États-Unis.
Ce que je tiens à souligner toutefois, c'est que nous devons faire bouger le curseur.
Ne pas concevoir la sécurité comme une simple émanation de l’État.
Mais bien, pour utiliser un terme cher au Forum français de sécurité urbaine, comme une coproduction d’un panel de plus en plus large d’acteurs.
C’est cette coproduction que je tiens à évoquer ce matin.
En concentrant mon propos sur deux thématiques, définies par le Président de la République comme des priorités du quinquennat :
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La lutte contre le terrorisme et la prévention de la radicalisation, d’abord.
Les attentats qui ont hélas frappé notre pays ces derniers mois, nous apprennent deux choses fondamentales.
Premièrement, la menace demeure extrêmement forte.
Je rappelle que depuis le début de l’année, outre les attentats de Marseille et des Champs-Élysées, 8 tentatives d’attentats ont eu lieu, auxquelles il convient d'ajouter 13 attentats déjoués par nos services.
Deuxièmement, cette menace a changé de nature.
Hier, les attaques étaient commanditées depuis les zones que contrôlait Daech en Syrie ou en Irak.
Aujourd’hui, alors que cette organisation enregistre des pertes majeures, on assiste au développement d’un terrorisme endogène, oeuvre d’individus isolés ou agissant en petits groupes qui, dans nos villes, dans nos quartiers, se radicalisent le plus souvent sur Internet, avant finalement de passer à l’acte.
Car si nos services de renseignement, nos policiers, nos gendarmes, repèrent et suivent un certain nombre d’individus, ils ne peuvent être présents dans le détail de chaque quartier, dans l’intimité de chaque immeuble.
C’est pour cela que nous avons plus que jamais besoin des acteurs locaux.
Qui mieux en effet qu’un élu peut déceler un changement d’ambiance dans sa commune, dans son quartier ?
Qui mieux qu’un travailleur social suivant au quotidien un individu peut mesurer chez lui une évolution soudaine de comportement ?
Qui mieux qu’un citoyen peut repérer des conduites étranges dans son voisinage, dans son entourage ?
Tous vigilants ! Tel doit être, comme l’a souligné à plusieurs reprises le Président de la République, notre mot d’ordre face à la menace terroriste.
Il ne s’agit pas d’entrer dans un état de surveillance généralisée.
Mais de sensibiliser tous les acteurs qui, par leurs fonctions, par leurs professions, se trouvent en première ligne pour déceler ces « signaux faibles » permettant de détecter la radicalisation d’un individu.
Vous agissez déjà avec détermination, et j’ai à l’esprit beaucoup d’initiatives qui, de Bordeaux à Sarcelles, visent à accompagner les familles qui suspectent, chez leurs enfants, un phénomène de radicalisation.
Vous pouvez, depuis la loi promulguée le 31 octobre, agir encore davantage, par exemple en signalant aux préfets des lieux de culte où seraient diffusées des idées proches des mouvances terroristes, en vue de leur fermeture administrative.
Je veux ici vous assurer que l’État continuera à vous accompagner dans cette lutte contre la radicalisation.
Au travers de ses compétences propres : il est par exemple évident que les personnels de l’Education nationale, les chefs d’établissement doivent être mobilisés plus qu’ils ne le sont déjà.
En vous soutenant financièrement : ainsi, le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) sera abondé en 2018 de 73 millions d’euros, afin de soutenir les projets innovants que vous pourrez porter.
Il faut donc prévenir les attentats, en agissant à la source.
Là encore, l’État prend ses responsabilités.
Et si nous avons prévu dans la loi que j’évoquais, la possibilité d’établir des zones de protection à l’occasion de grands événements comme le marché de Noël de Strasbourg, comme la fête des Lumières de Lyon, c’est précisément pour garantir ce haut niveau de sécurité.
Mais là encore, les collectivités locales ont un rôle décisif à jouer, notamment en matière de prévention situationnelle.
J’étais il y a quelques semaines à Nice où le Maire organisait un grand forum international réunissant les villes de l’arc méditerranéen touchées par les attentats. À Nice, la municipalité a pleinement tiré les leçons du tragique attentat du 14 juillet 2016 en sécurisant la Promenade des anglais grâce à des équipements anti-intrusion à la fois esthétiques et fonctionnels.
Le Commissaire européenne à la sécurité Julien King, qui était présent lors de ce forum, a annoncé que la Commission européenne développerait des fonds pour aider les villes à sécuriser les espaces marqués par d’importants flux de personnes ou accueillant de grands événements.
Les villes et les communes de France doivent s’en saisir.
Oui, je vous invite à présenter auprès des institutions européennes des projets de sécurisation de vos places, de vos allées.
Si la sécurité a un coût, elle ne doit pas avoir de prix.
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Le second thème que je souhaite aborder, c’est la sécurité du quotidien.
Vous, élus et acteurs locaux, êtes les premiers concernés par ce sujet.
Car si la protection des Français est une compétence régalienne, je sais par expérience que, quand l’insécurité progresse dans une ville, c’est vers l’État que le citoyen se tourne, mais c’est aussi son Maire qu’il apostrophe.
Or, même si, en France, la délinquance se stabilise, même si souvent elle régresse – et je pense en particulier à la baisse du nombre de vols à main armés - -24% en un an, il n’en reste pas moins qu’elle demeure encore trop importante.
Ces dix derniers mois, on dénombre ainsi en France 73 000 vols violents, 198 000 cambriolages, 130 000 vols de véhicules et 186 000 coups et blessures volontaires.
Il y a les chiffres.
Et puis il y a cette réalité qui vous est décrite au quotidien par vos concitoyens.
Le quartier dans lequel on se sent menacé.
Des adolescents qui dysfonctionnent.
La peur de jeunes filles d’être interpellées voire menacées.
Cette réalité, elle provient bien sûr du fait que, pendant une période on avait réduit le nombre de policiers – 12 500 postes supprimés entre 2007 et 2012.
Elle est aussi liée au fait que, durant ces mêmes années, on avait privilégié une police d’intervention sur une police de maintien de l’ordre. Eh bien l’objectif que ce gouvernement s’est fixé avec la police de sécurité du quotidien, c’est de remédier à cela.
C’est de remettre des policiers, des gendarmes, sur la voie publique. Car il s’agit du seul moyen de dissuader les délinquants et de rassurer les populations.
Pour ce faire, ce gouvernement agit sur le plan quantitatif. Et vous savez que 10 000 postes de policiers et de gendarmes.
Il s’agit d’un engagement fort, à l’heure où les dépenses publiques baisseront de 15 milliards d’euros dès l’année prochaine.
Il y a ensuite les aspects qualitatifs.
Là aussi, nous voulons porter une réponse forte.
En repensant le cadre d’exercice des missions de police.
En inventant, avec la mise en place de la Police de Sécurité du Quotidien, la police de demain.
Vous le savez mieux que personne : il est des quartiers ou des patrouilles ponctuelles peuvent suffire.
Au contraire il en est d’autres où une présence permanente est nécessaire, de jour comme de nuit. Tout cela demande de pouvoir ajuster en permanence les effectifs aux contextes locaux.
Pour y parvenir, notre volonté est de donner davantage de pouvoir aux acteurs de terrain en déconcentrant certaines décisions aux directeurs départementaux, et même aux commissaires et aux chefs de groupement.
Déconcentrer. Et pourquoi pas, instaurer une dose de décentralisation !
Car si les Maires savent nouer un lien étroit avec les dirigeants locaux des forces de sécurité, alors ils pourront être en capacité de peser sur leurs décisions.
Il y a d’abord l'articulation entre les 150 000 policiers nationaux et les 21 000 policiers municipaux, les 9000 agents de sécurité sur la voie publique (ASVP), et les 870 garde-champêtres.
Bien des avancées ont récemment eu lieu sur ce sujet.
Et je pourrais citer de nombreuses villes où police nationale et police municipale coopèrent en bonne intelligence, sans que l’une soit devenue la supplétive de l’autre.
C’est le cas à Lyon où, la police municipale, qui est désormais armée, prête main-forte à la police nationale dans certains quartiers politique de la ville.
C’est aussi le cas à La Rochelle, où la police municipale est mobilisée la nuit, en renfort des policiers nationaux.
Comme le mentionne l’intitulé d’une de vos tables rondes, l’enjeu aujourd’hui est de valoriser ces expériences, de diffuser ces bonnes pratiques.
Vous pouvez compter sur moi, sur le Ministère de l’Intérieur, pour y contribuer.
Il y a ensuite la question de la répartition des tâches entre police nationale, police municipale et acteurs de la sécurité privée.
En ce domaine, les marges de progrès demeurent importantes.
Est-ce par exemple normal que des transferts de détenus mobilisent de nombreux policiers nationaux formés pour enquêter, sécuriser la voie publique, pour interpeller ?
Est-ce normal qu’il en soi de même pour certaines gardes statiques ?
Pour réfléchir à ces questions, j’ai décidé de lancer dans les semaines à venir une mission parlementaire autour du continuum de sécurité.
Avec une volonté : ne rien s’interdire, étudier l’ensemble des pistes possibles.
Je crois beaucoup à la transition numérique initiée par le Président de la République.
Pour une raison simple : c’est que, dans le domaine de la sécurité comme dans bien d’autres domaines, elle va permettre de dégager du temps utile. Prenons par exemple les tablettes NEO, qui équiperont l’ensemble de nos forces (115 000 tablettes au total) d’ici la fin de l’année 2019.
Elles permettront, lors d’une interpellation, de consulter directement certains fichiers là où, aujourd’hui, il faut souvent multiplier les appels radio, quand ce n’est pas retourner au commissariat.
Autre exemple : les systèmes de vidéoprotection qui sont déployés dans deux tiers des villes de plus de 15 000 habitants et que l’État va continuer à soutenir financièrement.
Mon expérience m’a montré qu’ils constituent un moyen très utile pour éviter des tournées de repérage, des patrouilles inutiles, pour rendre le travail de la police plus efficace.
Voilà un apport très concret de la Police de Sécurité du Quotidien : moins de policiers et de gendarmes au téléphone ou occupés à des trajets inutiles, mais davantage de policiers et de gendarmes sur la voie publique.
Aujourd’hui que nous disent-ils ?
Ils nous disent être empêchés d’agir par des cadres procéduraux trop rigides.
Ils nous disent être bloqués dans leurs bureaux pour remplir des papiers dont ils jugent qu’ils ne servent à rien.
Ils nous disent aussi être découragés parce que, faute de réponse pénale adaptée, les délinquants qu’ils interpellent sont trop souvent relâchés, et qu’on les retrouve — pour reprendre la thématique d’une de vos tables rondes — dans les halls d’immeubles, là où précisément ils avaient été arrêtés.
La volonté du gouvernement est de répondre méthodiquement à chacun de ces dysfonctionnements.
C’est pourquoi dès le premier semestre 2018, nous mettrons en œuvre, avec ma collègue Garde des Sceaux, une grande réforme de la procédure pénale.
Celle-ci prévoira le développement de circuits-courts de sanction, comme la forfaitisation de certaines infractions, ce qui sera à la fois moins chronophage pour les policiers et plus dissuasif pour les délinquants.
Elle engagera aussi la simplification des cadres d’enquête afin d’alléger le fardeau administratif qui pèse sur nos forces, mais ne satisfait ni les enquêteurs ni les magistrats.
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Sur-mesure, partenariale, connectée, plus efficace : voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques grands axes qui structureront cette Police de Sécurité du Quotidien.
Je veux, si vous me le permettrez, mentionner encore deux points décisifs.
Un chiffre : alors que l’enveloppe consacrée à l’achat d’armes, de protections, de véhicules, s’établit en moyenne à 100 millions euros pour les dernières années, elle sera portée dès 2018 à 150 millions d’euros, et nous nous engageons à la pérenniser à ce haut niveau pour les trois années suivantes.
Second point : cette nouvelle manière de penser la police, nous voulons l’imaginer avec vous, avec l’ensemble des acteurs locaux.
Vous le savez, j’ai lancé la concertation autour de ce projet à La Rochelle.
J’aurais pu le faire depuis la Place Beauvau, avec les grands dirigeants de nos forces de sécurité, avec des experts, avec des universitaires. Mais j'ai choisi La Rochelle.
Pourquoi ? Parce que je voulais souligner que cette Police de Sécurité du Quotidien, nous voulons la construire, nous voulons la faire grandir, à partir du terrain.
C’est pour cela que j’ai adressé un questionnaire à nos 250 000 forces de sécurité.
C’est pour cela aussi que j’attends de l’ensemble des acteurs locaux, des grandes associations d’élus, qu’elles contribuent à ce grand débat, en faisant remonter leurs propositions sur le rôle des collectivités dans les politiques de sécurité publique.
Il y a bien sûr le cadre de la loi du 5 mars 2007, qui prévoit que le Maire réunit et préside les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.
Mais, on le sait, celle-ci n’est pas appliquée de la même manière sur le territoire national.
Alors, n’hésitez pas à exprimer vos attentes sur ce beau projet.
N’hésitez pas à exprimer quelle est votre vision de la doctrine opérationnelle qui sera expérimentée prochainement dans une quinzaine de territoires.
Soyez-en sûr : je serai très attentif aux propositions que vous formulerez.
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Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques thèmes que je tenais à aborder en ouverture de ces seconds États Généraux de la Sécurité locale.
J’ai volontairement privilégié dans ce propos les actions de court et de moyen terme, parce qu’elles sont au cœur des missions du Ministère de l’Intérieur et parce qu’elles occuperont l’essentiel de vos débats aujourd’hui.
Mais, vous le savez, faire baisser durablement délinquance passera nécessairement par des mesures de long terme.
Par des politiques de développement économique, permettant à chaque Français de trouver un emploi.
Par des programmes ambitieux mixité sociale, pour faire en sorte que notre société ne se divise pas, ne se fracture pas.
C’est aussi tout cela que les collectivités locales portent, c’est aussi tout cela que vous devez continuer à porter !
Des perspectives positives. Des réalisations mobilisatrices. Un projet de société.
Oui, c’est en sachant, dans tous nos territoires, créer le mouvement, enclencher des dynamiques, que nous pourrons garantir durablement la tranquillité publique.
Bons États généraux à tous !
Je vous remercie.