Deuxièmes Assises de la filière des industries de sécurité

Deuxièmes Assises de la filière des industries de sécurité
24 septembre 2018

Allocution de M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’Intérieur à l’occasion des deuxièmes Assises de la filière des industries de sécurité - Hôtel Potocki, Paris 8ème le lundi 24 septembre 2018.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la région Paris-Île-de-France,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les chefs d’entreprise,
Monsieur Thierry Delville, délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cyber menaces,
Madame Claire Landais, secrétaire générale à la défense et à la sécurité nationale,
Mesdames et Messieurs,

J’interviens lors de cette deuxième édition des Assises de la filière des industries de sécurité, et lors de la première je n’étais pas ministre.

Et pourtant j’ai déjà – si vous me permettez l’expression – l’impression d’être un « habitué » de ce rendez-vous.

Car lors de la première qui se déroulait il y a deux ans ici-même, j’étais déjà intervenu, mais c’était alors en tant que Président de la Métropole de Lyon pour présenter l’écosystème que nous étions en train de développer dans l’espace Rhône-Alpes.

Je ne me doutais pas que, quelques mois plus tard, je serai nommé Ministre de l’Intérieur et que je serai amené aussi à m’exprimer à nouveau devant vous. Si mes fonctions ont changé, mes convictions n’ont pas varié. Je pense qu’il est crucial pour la France, pour la protection de nos compatriotes, que la filière des industries de sécurité puisse s’organiser, se renforcer, mener toutes les réflexions prospectives nécessaires pour penser l’avenir.

Vous le savez mieux que quiconque : la sécurité est de plus en plus une co-production.

Qui dépend bien sûr de la capacité des États à exercer la plénitude de leurs fonctions régaliennes, à former en nombre suffisant des femmes et des hommes disposant du monopole de la violence légitime.

Qui dépend aussi, dans des proportions de plus importantes, du secteur privé.

D’une part parce que les sociétés de sécurité privée peuvent apporter un concours précieux aux forces nationales, aux polices municipales.

Et les députés Fauvergue et Thourot m’ont remis au début du mois un rapport formulant des propositions pour étendre la latitude d’action des agents de sécurité privée tout en améliorant - préalable indispensable - leur formation.

Le secteur privé joue un rôle déterminant ensuite parce que les services, les produits qu’il développe, permettent à nos forces de l’ordre d’agir efficacement.

C’est une bonne chose de recruter – et nous le faisons dans des proportions inédites, 10 000 postes.

C’est une meilleure chose encore si les policiers, les gendarmes, sont équipés en protections, en armes, en munitions, en véhicules performants ; s’ils peuvent s’appuyer sur des terminaux numériques de type NEO pour gagner en productivité et ainsi passer davantage de temps sur la voie publique, au contact direct de nos concitoyens.

Enfin, dans un contexte marqué par l’émergence de nouveaux risques, en particulier dans l’espace cyber, avec la nécessité de sécuriser toujours davantage les systèmes d’information, les industries de sécurité sont – et je pense en particulier à celles qui se situent à la « frontière technologique », des acteurs totalement indispensables de la souveraineté d’une nation.

Personne ne peut en effet imaginer que, pour protéger les données de nos services de renseignement, pour crypter des informations relevant du secret industriel – et la filière a identifié au total 27 technologies sensibles pour la sécurité nationale, un pays comme la France doive dépendre de sociétés issues d’autres grandes puissances.

C’est d’ailleurs pour cela que j’ai veillé, à ce que les entreprises de sécurité soient prises en compte dans la réforme du décret sur les investissements étrangers en France.

***

Mesdames et Messieurs, pour toutes ces raisons, État et industries de sécurité, public et privé, n’ont donc d’autre choix que de travailler ensemble.

Travailler ensemble, comme le fait le Comité de la Filière des Industries de Sécurité (COFIS) depuis 2013, à l’identification des grands enjeux de la filière.

Travailler ensemble, au plus près des territoires, à la constitution d’écosystèmes d’innovation performants desquels peuvent naître, demain, ces innovations de rupture que vous avez évoquées ce matin.

Pour ma part j’ai, depuis mon arrivée au Ministère de l’Intérieur, fait du dialogue avec les sociétés de sécurité privée un axe prioritaire de mon action.

A plusieurs reprises, j’ai ainsi reçu place Beauvau les principaux acteurs du secteur, grands groupes comme ETI et PME en croissance, pour évoquer les grands défis que nous avons à relever ensemble.

Je me suis exprimé très régulièrement, au salon MILIPOL, aux Assises de la sécurité privée, devant le Club des Directeurs de la Sûreté et de la Sécurité des Entreprises, au forum sur la lutte contre la cybercriminalité de Lille.

J’ai souhaité, lors de la consultation préalable à la mise en place de la Police de Sécurité du Quotidien, associer largement le secteur privé – et les contributions fournies se sont d’ailleurs révélées d’une grande qualité. Si je veille à cultiver ce lien, c’est parce que je suis convaincu, qu’une des missions fondamentales d’un Ministre de l’Intérieur, c’est d’être un pont, entre les industries de sécurité privée et la police, la gendarmerie.

C’est pourquoi je ne manque jamais une occasion de demander à mes directeurs généraux de travailler avec vous, ce que fait par exemple remarquablement la Gendarmerie nationale, qui a lancé il y a peu un Conseil scientifique qui développe, avec un certain nombre d’entreprises, des produits extrêmement prometteurs.

L’État doit créer les conditions du dialogue. Il est aussi, par son pouvoir normatif et législatif, un prescripteur extrêmement important.

Lorsque nous adoptons par exemple la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui inscrit dans le droit commun, pour les événements culturels et sportifs, les « périmètres de protection », c’est pour les sociétés de sécurité privée, un nouveau marché qui s’ouvre.

Lorsque nous prenons des mesures pour mieux protéger les opérateurs d’importance vitale, c’est un défi lancé à votre secteur qui doit se renouveler, proposer des solutions toujours plus innovantes, toujours plus sophistiquées.

Lorsque nous encourageons toutes les entreprises à consacrer une part de leur chiffre d’affaires à la protection contre les risques cyber, lorsque nous disons que la sécurité, loin d’être un coût, est un investissement, c’est là encore tout un secteur qui en bénéficie.

Au total, les normes que nous prenons, sont à l’origine de 7 à 8 milliards d’euros de chiffres d’affaires par an. Et si à chaque fois que je prends une décision, c’est avant tout la sécurité des Français qui m’importe,c’est aussi le développement de votre filière, sa compétitivité, les emplois qui vont s’y créer, que je prends en compte.

J’en viens à un sujet sur lequel nous avons d’importantes marges de progrès : je veux parler de la commande publique.

Elle s’établit actuellement 1,6 milliard d’euros par an. Cela peut paraître modeste par rapport à une commande privée de l’ordre de 19 milliards d’euros mais, vous le savez, décrocher des marchés avec l’Etat français est souvent un atout décisif pour conquérir des marchés à l’export.

Or, cette commande publique est aujourd’hui difficilement lisible par vous, les industriels.

Parce qu’elle est éclatée entre différents acteurs, et même, au sein du Ministère de l’Intérieur par exemple, entre différentes directions.

Parce qu’il est souvent difficile d’avoir une vision à long terme qui permette d’organiser la chaîne de production voire de lancer des programmes de recherche.

Le résultat, vous le connaissez : alors que la commande publique pourrait constituer un atout fort de structuration de votre filière, elle échappe, pour plus de la moitié aux sociétés françaises.

Mesdames et Messieurs, pour remédier à cette situation, j’ai, ces dernières semaines, pris des mesures fortes.

Je me suis d’abord assuré que les besoins en produits et services de sécurité continueraient à croître dans les années à venir.

Malgré le contexte économique contraint que vous connaissez, le budget du Ministère de l’Intérieur s’établira ainsi en nette hausse l’année prochaine.

Pour ne prendre que les forces de sécurité intérieure, elles bénéficieront, dans le cadre du projet de loi de finances, de crédits en hausse de +2.7%.

Et cela concernera le fonctionnement comme l’investissement.

Parallèlement à ce combat pour obtenir des financements accrus – croyez-moi – ce n’est jamais facile, j’ai souhaité – et je l’ai rappelé vendredi dernier à mes directeurs généraux, engager le Ministère de l’Intérieur dans d’importantes réformes de structure.

La première : la mutualisation des achats dans un seul et même service, transversal à toutes les directions, qui vous permettra à vous, industries de sécurité, de dialoguer avec un interlocuteur unique et de disposer enfin de davantage de lisibilité sur les programmes engagés par le Ministère.

Seconde réforme : la création d’une grande direction du numérique.

Là où, actuellement, les budgets se perdent en coûts de structure, en programmes dispersés, nous pourrons, avec cet outil, mobiliser des commandes atteignant la masse critique suffisante, pour porter, en partenariat avec le secteur privé, de grandes ambitions.

Nous nous sommes par exemple engagés à mettre en place d’ici 2022, l’identité numérique pour tous nos concitoyens. Il va sans dire que cela suppose une ingénierie de haut niveau, en particulier pour assurer la sécurité des données comme des systèmes d’information.

Tel est le type de défi que nous avons devant nous, je fais pleinement confiance aux savoir-faire de nos grands groupes, de nos PME, de nos start up, pour les relever.

***

Mesdames et Messieurs, cela a été rappelé durant la matinée, les industries de sécurité en France se trouvent depuis plusieurs années en pleine dynamique.

Simplement quelques chiffres : le secteur des industries de sécurité représente une richesse brute produite de 25 milliards d’euros, 130 000 personnes employées, un taux d’export moyen de 58%, et une croissance annuelle de +5%, 12% pour le cyber. Il se structure autour de grands groupes reconnus internationalement, mais aussi d’un dense tissu d’ETI et de PME, comportant près de 200 start up en hyper-croissance.

Il existe donc un potentiel très important, tant en termes technologiques qu’en termes économiques.

Mais au-delà de ces données prometteuses, j’ai la conviction que nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant, à un moment de cristallisation.

Où un certain nombre de technologies nouvelles sont sur le point d’arriver à maturité dans des domaines et de bouleverser les chaînes de valeur : je pense à des champs comme le big data, la sécurité des objets connectés ou les blockchain. Un moment où la France peut conserver un certain leadership ou au contraire voir les autres grandes puissances Etats-Unis, la Chine ou la Russie, s’installer dans une position dominante grâce à la taille d’un marché domestique peut leur permettre d’élaborer des solutions propres pour aller à l’export.

Il est donc urgent d’agir si nous ne voulons pas subir demain les normes, les standards, les produits, de sociétés étrangères sur lesquelles nous n’aurons aucune prise.

Agir au niveau national !

Et je suis de ceux qui pensent que la sécurité doit devenir un axe à part entière de la politique industrielle du pays.

C’est l’alliance public-privé.

Je suis aussi de ceux qui pensent que grands groupes et PME doivent travailler davantage ensemble, chasser en meute à l’international.

C’est l’alliance au sein-même du secteur privé.

Agir en France mais également au niveau européen !

Avancer sur des sujets d’ampleur comme l’interopérabilité numérique, les smart and safe cities, la protection des systèmes de transport et d’énergie, suppose, chacun le sait ici, de mobiliser une masse critique de financements que la France seule, l’Allemagne seule, ne peuvent assurer.

Plus que jamais, il nous faut donc resserrer les liens avec nos partenaires, porter des politiques communes de sécurité – et c’est l’objet d’une des tables ronde de la journée.

Plus que jamais, il nous faut nous appuyer sur le vaste marché constitué par l’Union Européenne, pour développer nos propres solutions, expérimenter nos propres standards, et finalement assurer demain la souveraineté de notre continent.

***

Je conclurai, Monsieur le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la région Paris-Ile-de-France, en vous remerciant une nouvelle fois pour votre accueil toujours chaleureux.

En vous disant aussi que je compte sur vous pour mobiliser l’ensemble des sociétés franciliennes, qui représentent les 2/3 de la valeur ajoutée du secteur dans ce mouvement que je viens d’esquisser.

Tous, je veux vous remercier de votre présence.

Soyez-conscients que votre rôle dans la grande chaîne de la sécurité est tout à fait crucial.

Car de votre capacité à aller de l’avant dépendent non seulement des créations d’emplois, mais aussi la capacité de la France à conserver demain une autonomie stratégique, une faculté à assurer par elle-même, grâce à la maîtrise d’un certain nombre de technologies critiques, sa sécurité et celle de ses habitants.

Je vous remercie.