Discours de M. Bruno Le Roux, Ministre de l’Intérieur, à l'occasion de la clôture de l’Instance de dialogue avec l’Islam de France - Hôtel de Beauvau, le 12 décembre 2016.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président de la Fondation de l’Islam de France, Monsieur le Ministre,
Monsieur le recteur de la Grande mosquée de Paris, Monsieur Dalil Boubakeur,
Monsieur le Président du CFCM, Anouar Kbibech
Messieurs les recteurs,
Messieurs les imams,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui et de conclure cette troisième instance de dialogue avec l’islam de France. Je vous remercie tous de votre présence, de votre engagement et pour certains de votre assiduité. Je tiens à vous dire que j’attache à cette instance de dialogue une importance toute particulière. Pour au moins deux raisons, qui se conjuguent entre elles :
La première m’est personnelle, si vous me permettez. Elle me nourrit : je suis élu d’un département, la Seine-Saint-Denis – pas seulement un élu d’ailleurs, j’ai grandi et je vis depuis toujours en Seine-Saint-Denis - un département dans lequel les musulmans sont nombreux. Je connais donc bien nos concitoyens musulmans. Je les côtoie dans leur diversité, je connais leurs représentants; je dialogue avec eux ; je travaille avec eux. Je connais leurs engagements, leurs réalisations mais aussi leurs difficultés et même leurs craintes. Pour moi, cette diversité va de soi, si je puis dire, ce qui ne veut pas dire qu’elle aille sans tensions. Cette diversité, je l’ai vue grandir et s’affirmer. Elle est inscrite dans le territoire de la Seine-Saint-Denis et dans son histoire récente. Et d’ailleurs, au-delà de la pratique religieuse en tant que telle, sa culture imprègne nos villes, elle se conjugue avec d’autres cultures, d’autres traditions, elle emprunte et elle donne. Cette richesse, les séquano-dyonisiens et moi-même la revendiquons en toutes occasions et à juste titre.
La deuxième raison qui me conduit à attacher une attention toute particulière aux travaux de l’instance de dialogue est, elle, essentielle et je veux l’énoncer avec force : nous avons ici, tous ensemble, collectivement, chacun dans sa responsabilité et dans sa fonction - et l’engagement du gouvernement, vous le savez est régi par le respect des principes de séparation et de neutralité de l’Etat - nous avons tous ici un devoir de réussite. Et réussir, si je devais le dire d’un mot ou d’une formule, c’est arriver à « banaliser l’islam de France ». La formule est abrupte, j’en conviens mais elle renvoie à cette nécessité qui est de faire en sorte que l’islam soit bien inséré au sein de la société française.
Notre conviction – et je sais que tout le monde ici la partage - est qu’une bonne insertion de l’islam au sein de la société française ne peut que renforcer et conforter le pacte républicain et ce que l’on appelle désormais « le vivre ensemble » qui est l’affaire de tous et de chacun.
Il y a trop de forces qui à l’intérieur de nos frontières comme à l’extérieur, veulent l’affrontement des communautés, le délitement de la cohésion nationale, la fragmentation de notre société, la montée des peurs, pour que nous ne fassions pas tout ce qui est possible pour les combattre et réaffirmer la vitalité et la puissance du modèle républicain qui est le nôtre et la nécessité de préserver l’unité de la Nation. Je sais pouvoir compter sur votre soutien et votre engagement total en ce sens et je vous en remercie infiniment.
Avant d’en venir aux travaux de cette journée, je veux m’arrêter un instant sur la lutte contre les actes antimusulmans.
Je veux vous faire part à nouveau de mon indignation face aux actes de vandalisme commis samedi contre la Grande Mosquée de Perpignan et assurer ses représentants de toute notre solidarité. Je veux vous dire ici ma totale détermination à lutter avec tous les moyens nécessaires – et ils sont importants, le Premier ministre l’a rappelé ce matin - contre tous les actes antimusulmans, contre toutes formes de racisme et d’antisémitisme. Vous le savez, mille mosquées font déjà l’objet d’une protection renforcée dans le cadre des dispositifs Vigipirate et Sentinelle. L’Etat ne laissera rien passer. Je peux vous en assurer.
Le Premier ministre a rappelé ce matin le contexte dans lequel cette instance de dialogue a été mise en place il y a deux ans. Il en a rappelé les fondements et l’intuition qui a présidé à sa création.
Je n’y reviendrai pas si ce n’est pour dire que les tensions que connaissait et que connaît encore notre pays – un niveau élevé de menaces terroristes, des crispations identitaires, qui génèrent du repli, des peurs – j’y reviens - des phénomènes de stigmatisations, des crispations également relatives à l’intrusion du religieux dans le débat public, un certain détournement du message et des valeurs de l’islam – il faut le dire - heurtent l’aspiration à la normalité de la majorité des musulmans et débouchent sur une diminution du degré d’acceptation de l’islam dans la communauté nationale. C’est à ce défi, à ce double défi, que nous devons répondre.
Dans ce contexte, la méthode de l’instance de dialogue était et reste la bonne méthode. Elle ne pouvait d’ailleurs qu’être fructueuse et je veux saluer Bernard CAZENEUVE pour sa clairvoyance et son implication sur cette question essentielle. C’est une bonne méthode parce qu’elle n’est pas spécifique à l’islam de France. Elle est adaptée à l’islam de France bien sûr, mais elle ne lui est pas spécifique. Cette instance s’inspire d’une autre instance de dialogue, celle mise en place en 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec l’église catholique, qui s’est d’ailleurs réunie encore récemment - c’était le 11 octobre dernier à Matignon. Il n’y a donc pas de traitement spécifique et c’est une bonne chose. C’est une bonne méthode parce qu’elle permet de créer un cadre, le plus inclusif possible, autour du CFCM, dont je salue et remercie Monsieur KBIBECH, son Président pour son implication déterminante, un cadre permettant de traiter les questions intéressant l’Etat et le culte musulman. C’est une bonne méthode parce qu’elle permet d’associer des acteurs de terrain, religieux comme laïcs, représentants de mosquée indépendantes comme de la société civile, imams comme intellectuels et par là même de multiplier les regards, les apports et les propositions. C’est une bonne méthode parce qu’elle permet de sérier les problèmes concrets et quotidiens rencontrés par les musulmans de France et d’y apporter des réponses, qui sont co-construites par vous tous et la co-construction est souvent gage de qualité et d’engagement. C’est une bonne méthode enfin parce qu’elle permet d’engranger des progrès. Elle permet d’avancer et non plus de ressasser. Elle permet de progresser ensemble, dans le respect bien sûr des prérogatives de chacun. Les deux premières instances ont déjà produit des résultats visibles et appréciés de chacun – j’y reviendrais. C’est une bonne méthode pour finir parce que, par les sujets qu’elle traite, l’instance de dialogue s’adresse en définitive à toutes les catégories de citoyens français concernés par l’islam, au-delà même de leur confession. Son impact va au-delà des musulmans eux-mêmes.
Il y a plus de vingt ans – le Premier ministre le rappelait ce matin - Jean-Pierre Chevènement avait lancé une consultation d’importance auprès des différents courants et traditions de l’islam, présents dans notre pays. Cette consultation avait permis l’adoption d’une déclaration pleinement républicaine et avait débouché sur la naissance du CFCM, dont personne aujourd’hui ne remet en cause l’existence. Les trois réunions de l’instance de dialogue avec l’islam s’inscrivent dans ce processus apaisé, initié il y a plus de vingt ans. Le même fil est tiré, le Premier ministre l’a souligné ce matin. J’ai une conviction : il se passe avec l’instance de dialogue quelque chose d’irréversible et de bénéfique pour l’ensemble de la société française.
Monsieur le président du CFCM, Monsieur KBIBECHE vous disiez ce matin que ces instances de dialogue devenaient une tradition. Je ne sais pas si nous en sommes là mais sachez que je souhaite qu’elles se poursuivent, que d’autres rendez-vous soient portés à l’agenda et que nous poursuivions ainsi nos échanges dans la confiance, le respect de chacun et le souci commun de l’unité des Français.
Cela a été souligné, le travail accompli en dix-huit mois est d’ores et déjà considérable et remarquable. Il est surtout, je crois, structurant et en cela il constitue une étape importante qui ne pourra pas être remise en cause. Ce que vous nous avons construit, ce que vous avez construit ici, s’inscrit durablement dans la réalité française. A termes et j’espère qu’il s’agit seulement de quelques mois, l’islam de France pourra s’appuyer sur trois piliers :
Je m’arrête un instant sur la Fondation de l’islam de France. Je veux remercier une nouvelle fois Jean-Pierre Chevènement pour son implication. Il fallait un Républicain comme lui pour porter un tel projet. Il fallait un homme de son expérience, un homme de sa culture pour porter un projet de cette importance. Je salue la naissance de la Fondation pour l’Islam de France ! Elle est d’ores et déjà reconnue d’utilité publique. Elle a été installée jeudi dernier. Je lui souhaite longue vive ! Je lui souhaite de développer de nombreux projets. Je sais qu’elle œuvrera utilement au développement de la connaissance des cultures et civilisations qui se rattachent à la religion musulmane. Je salue et remercie pour leur engagement en faveur du dialogue des cultures et l’affirmation du pacte républicain, les trois premiers contributeurs : la SNCF, le groupe ADP, la SNI. Je salue ces premiers donateurs. Jean-Pierre Chevènement a esquissé ce matin ce que pourrait être les premiers projets de la fondation. Il a notamment mis l’accent sur la jeunesse. Je ne peux que souscrire à cette volonté d’associer la jeunesse à une meilleure connaissance de la culture musulmane.
Quoi qu’on en dise, l’identité de chacun est toujours composite. Elle est liée à notre histoire personnelle, à celle de nos ascendants, à nos rencontres, notre cursus. Elle est constituée parfois de fragments épars, qu’il faut rassembler. Trop de jeunes aujourd’hui – dans nos quartiers mais pas seulement – méconnaissent l’apport de leur propre culture d’origine. Il y a un travail considérable à conduire qui peut au final « rasséréner » si je puis dire une génération entière. Faisons ce travail. Prenons des initiatives en ce sens. Ne ménageons pas notre peine. C’est aussi à travers ce prisme là – la fierté et la connaissance intime de sa propre culture – que l’on arrête l’errance, la quête morbide de soi, les dérives sectaires. C’est aussi à travers ce prisme là que l’on se construit, que l’on s’affirme et qu’on prend sa place. Je remercie par avance les initiatives que la fondation pourra prendre en ce sens et je sais qu’elle envisage un partenariat avec les scouts musulmans. Qu’elle sache qu’elle trouvera toujours auprès du gouvernement un appui attentif pour accompagner de tels projets.
Il est un autre chantier auquel la fondation peut adosser ses projets – son président en a dit un mot, c’est celui de la laïcité. Celle-ci aujourd’hui ne va pas toujours de soi. Elle est méconnue, détournée, travestie. J’entends trop de jeunes dans nos quartiers et ailleurs la dénigrer, la percevoir comme un processus d’exclusion, de stigmatisation, la percevoir comme frustrante et punitive. Il ne faut pas qu’un malentendu durable s’installe à ce sujet. C’est à nous tous de participer activement à cette nécessaire pédagogie de la laïcité dont nous avons désormais besoin. A nous de dire et redire sans cesse qu’elle est une protection, une liberté pour chacun et qu’elle permet l’expression des cultes, conformément aux lois de la République. En connaissant mieux leurs cultures d’origine, en connaissant mieux les vertus émancipatrices de la laïcité, les jeunes de notre pays pourront plus facilement grandir et créer et choisir leur destin.
Concernant, la création d’une association cultuelle nationale, le Premier ministre a dit ce matin ce qu’il fallait en dire. Je n’y reviens pas si ce n’est pour vous redire que le ministère peut si vous le souhaitez, vous apporter son expertise juridique. Je voudrais simplement insister sur le légitime besoin de transparence qui accompagne ce sujet. Ce projet d’association cultuelle nationale avait été annoncé le 29 août dernier par Bernard CAZENEUVE, à l’occasion de la Journée de travaux et d’échanges sur l’islam de France. Je crois désormais qu’il faut aller vite. Je vous encourage à avancer sur la création de cette association pour que l’islam de France puisse s’appuyer pour son financement sur un instrument pleinement transparent. L’islam de France ne doit faire l’objet d’aucune suspicion. Ses règles doivent être claires et connues de tous. Je vous y encourage.
Je terminerai sur un point. La formation. Le Premier ministre en a souligné l’importance. Monsieur le Président du CFCM vous, nous avez livré un point d’étape sur les initiatives que vous poursuivez. Cette question a franchi une nouvelle étape aujourd’hui avec la remise, des éléments sur la relance de la recherche en islamologie. Je remercie vivement Madame Catherine MAYEUR-JAOUEN, vous êtes historienne de l’islam, Monsieur Rachid BENZINE, vous êtes islamologue et théologien et Madame Mathilde PHILIP- GAY, vous êtes juriste pour la qualité du travail que vous nous remettez aujourd’hui. Ces propositions s’appuient sur près de 70 auditions et contributions écrites. Le résultat de ces travaux constitue une remarquable feuille de route pour l’administration, les universités, ainsi que les acteurs du culte musulman. Je veux vous assurer ici que nous donnerons vie et corps à ces recommandations. Je rencontrerai prochainement la ministre de l’Education nationale, de la Recherche et de l’Enseignement supérieur pour discuter avec elle des suites que nous pourrons y donner. Les universités et les instituts sont libres bien sûr de développer de tels cursus mais je sais que plusieurs d’entre elles ont marqué leur intérêt. Je souhaite en ce qui me concerne que sur les bancs de nos universités, des imams français puissent venir se former et acquérir des connaissances nécessaires à l’exercice de leurs ministères. Je souhaite que sur les bancs de nos universités, des étudiants de toutes confessions ou sans confession puissent découvrir les richesses de l’islam et l’apport de l’islam dans l’histoire du monde. C’est par ce type d’échanges que l’islam de France progressera dans son insertion dans notre société. Il y là d’ailleurs en ce domaine, une véritable nécessité : nous devons viser l’excellence, cela a été dit. La création de nouveaux cursus d’islamologie et de sciences humaines et sociales de l’islam au sein des universités pourra répondre à ce besoin d’excellence.
La montée en puissance du dispositif des Diplômes universitaires de formation civile sur le fait religieux et la laïcité – ils sont désormais 14 répartis sur tout le territoire national – permet également à des ministres du culte tout autant qu’à des agents de l’Etat ou des collectivités locales, à des élus ou des étudiants, d’être formés aux grands principes du droit public, à l’histoire et aux sciences sociales des religions. Cet ensemble de dispositions est à même de créer une véritable dynamique d’acculturation réciproque qui ne peut qu’être bénéfique à l’insertion de l’Islam de France dans la communauté nationale.
Mesdames, Messieurs,
Le ministère de l’Intérieur est le ministère des libertés publiques. Il est le ministère de la liberté des cultes. Je souhaite qu’il soit également celui de la fraternité. Dans le triptyque républicain, la fraternité fait souvent figure de parent pauvre. On revendique toujours la liberté. On revendique parfois l’égalité – c’est mon cas. Plus rarement la fraternité comme si le cynisme ambiant devait l’emporter, comme si la fraternité renvoyait avant tout à une inclinaison personnelle et non pas à un comportement civique et citoyen. Comme si la fraternité était une vertu publique un peu désuète. Et bien non, la fraternité est au cœur de notre projet républicain. Elle n’a jamais été autant nécessaire. Il est même impérieux de la réhabiliter en tant que vertu civique. Il y a même urgence. Avec cette instance de dialogue, nous travaillons à la concorde nationale. Avec cette instance de dialogue, nous générons de la connaissance, de l’inclusion et en définitive, nous fabriquons de la fraternité. Je veux vous en remercier.
Mesdames, Messieurs, l’ensemble des chantiers traités aujourd’hui est structurant – je le redis. Ces chantiers permettent tous la mise en œuvre effective d’un islam de France pleinement inséré dans la communauté nationale. Il vous revient désormais de vous en emparer, de vous les approprier pleinement. De les faire vôtres. J’ai confiance en vous. Vous pouvez avoir confiance en moi. J’ai confiance en toutes les forces vives de l’islam de France que vous représentez ici.Je crois qu’ensemble, nous faisons œuvre utile. Il y a des nuages sombres bien sûr, un air du temps qui porte en lui l’intolérance, le refus de l’autre, la peur de l’autre et au final de soi-même car qu’est-ce qu’une peur de l’autre si ce n’est une in confiance en soi ? Mais il y a aussi toutes les raisons de brandir le respect de l’autre dans sa spécificité et sa spiritualité, toutes les raisons de faire de la fraternité un étendard commun et de la revendiquer comme telle, toutes les raisons de porter haut les valeurs de la République, qui nous unissent et nous rassemblent. Je vous remercie de votre participation. Je vous remercie de votre présence.
Vive la République !