Adaptation de la doctrine d'emploi au maintien de l'ordre

Adaptation de la doctrine d'emploi au maintien de l'ordre
8 juin 2018

Discours de M. Gérard Collomb, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, aux forces mobiles sur l’adaptation de la doctrine d’emploi au maintien de l’ordre, prononcé à Saint-Astier le vendredi 8 juin 2018.

- Seul le prononcé fait foi -

Madame la préfète Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc,

Madame et Messieurs les députés,

Messieurs les sénateurs,

Madame le maire,

Mesdames et messieurs les élus,

Mon général, directeur général de la gendarmerie nationale,

Monsieur le préfet, directeur général de la police nationale,

Monsieur le préfet, directeur central des compagnies républicaines de sécurité,

Mon général, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale,

Mon colonel, commandant du centre national d’entraînement des forces de gendarmerie,

Mesdames et messieurs les officiers, sous-officiers, gendarmes adjoints volontaires et personnels civils de la gendarmerie mobile et du centre national d’entraînement des forces de gendarmerie,

Mesdames et messieurs les commissaires, officiers, gradés et gardiens de la police nationale,

Mesdames et messieurs,

Il était très important pour moi de venir ici, à Saint Astier, là où se forment une partie de nos forces mobiles, là où se développent les techniques les plus avancées du maintien de l’ordre, là où se joue, finalement, la protection de nos libertés fondamentales.

Je tenais à venir pour voir in situ comment s’entraînent nos gendarmes, nos policiers, notre administration préfectorale, pour être en mesure de faire face à toutes les situations, y compris les plus délicates.

Je souhaitais aussi saisir ce moment privilégié pour remercier nos 12 800 gendarmes mobiles, nos13 100 CRS, ainsi que l’ensemble des effectifs de sécurité publique et de gendarmerie départementale engagés dans des opérations de maintien de l’ordre, pour leur engagement au service des Français, au service de nos libertés.

Les douze mois qui viennent de s’écouler ont été pour vous – j’en suis conscient - particulièrement éprouvants.

Il y a eu d’abord des phénomènes météorologiques d’une ampleur inédite en septembre dernier, l’épisode cyclonique aux Antilles, où il a fallu déployer très rapidement des escadrons de gendarmerie mobile stationnés en Martinique et en Guadeloupe, en Guyane, mais aussi en Métropole, à la fois pour appuyer les missions de secours et pour rétablir l’ordre républicain dans des territoires alors en proie aux pillages.

Quelques mois plus tard, a eu lieu – c’était en février - l’évacuation de la ZAD du Bois Lejuc à Bure, qui a nécessité l’intervention de 500 gendarmes mobile et s’est déroulée, malgré les oppositions, dans des conditions très maîtrisées.

Cinq semaines passèrent avec d’importantes difficultés à gérer à Mayotte, et c’était Notre-Dame-Des-Landes – la plus importante opération de rétablissement de l’ordre de ces dernières décennies, et je tiens à saluer ici la réussite de cette manœuvre hors normes, dirigée avec talent, retenue et savoir-faire par le Général Lizurey.

Alors qu’elle n’était pas achevée, nos Compagnies Républicaines de Sécurité se mobilisaient, avec l’appui des fonctionnaires de la sécurité publique, pour faire évacuer plusieurs dizaines de facultés illégalement occupées, que ce soit dans l’agglomération parisienne ou dans nos régions. Malgré la sensibilité de ce type d’intervention, aucun incident significatif n’était enregistré.

Et puis, il y a eu bien sûr ces manifestations de mai où les forces mobiles engagées ont dû faire face à quelques centaines de black blocks ultra-violents, venus là dans le but d’en découdre et de provoquer dégâts humains et matériels.

Oui, l’année qui vient de s’écouler a été particulièrement intense !

Elle l’a été d’autant plus qu’il vous a fallu gérer plus de dix mille événements de voie publique avec la vigilance toute particulière que requiert la menace terroriste, particulièrement élevée; qu’il vous a fallu aussi, dans un certain nombre de régions, lutter contre une immigration irrégulière qui, on le sait , si elle n’était pas maîtrisée pourrait déstabiliser notre pays, à l’instar de ce qui s’est passé chez un certain nombre de nos voisins.

Mais vous avez su relever le défi.

Grâce à un engagement sans faille, vous avez permis que partout la loi s’applique.

Grâce à un professionnalisme à toute épreuve, vous avez permis que la France demeure cet état de droit, qui en définitive, est le seul garant des libertés publiques.

Certains, dans le débat public, tentent d’assimiler la gendarmerie et la police à la répression.

C’est l’inverse qui est vrai !

Car, l’ordre public, c’est ce qui protège les plus faibles de l’arbitraire, et quand il ne règne plus, on le voit bien, c’est la loi du plus fort qui s’installe.

L’ordre public, c’est ce qui permet que s’exerce cette liberté fondamentale qu’est le droit de manifester.

Oui, vous êtes des piliers de notre Etat de droit.

Aussi, au nom du Président de la République, je veux vous transmettre aujourd’hui la reconnaissance de la toute la Nation.

Je veux également vous assurer de mon soutien plein et entier.

Ministre de l’Intérieur depuis maintenant un an, j’ai pu éprouver à chaque fois que je vous ai vu à l’œuvre quelle était la difficulté de votre profession.

Etre gendarme mobile ou CRS, ça n’est pas en effet un métier comme un autre.

C’est un métier d’abord où l’on met en jeu son intégrité physique: depuis le début de l’année seulement, on dénombre 118 blessés parmi les gendarmes, 34 parmi les CRS – et chacun a encore en mémoire les manifestations du 1 er mai de l’année dernière où un CRS ayant été touché par un engin incendiaire ne dut son salut qu’à l’intervention de ses collègues et des services de secours.

Votre profession est aussi de plus en plus exposée, sous le regard permanent des medias et des réseaux sociaux, par lesquels votre action est parfois mise en cause de manière injuste.

Soyez sûrs qu’à chaque fois, vous me trouverez toujours à vos côtés pour vous soutenir quand l’accusation frôle la calomnie.

Car je n’accepte pas que des femmes et des hommes, qui sacrifient une partie de leur vie familiale, passant parfois plusieurs mois d’affilée à l’extérieur de leur domicile, pour protéger nos concitoyens voient leur honneur bafoué sans justification aucune.

Vous pourrez donc toujours compter sur moi pour être en appui de votre engagement que je sais difficile, mais qui est essentiel à l’équilibre de notre société.

Mesdames et Messieurs,

La force du modèle français de maintien de l’ordre, c’est donc avant tout vous, les femmes et les hommes qui consacrez toute votre énergie à cette mission.

C’est aussi d’avoir su, au fil des années, se renouveler toujours, s’adapter sans cesse à des contextes inédits, tirer parti de technologies nouvelles, pour garantir une réponse de sécurité toujours plus adaptée.

De ce point de vue, la période que nous vivons correspond à un moment de bascule.

Avec d’un côté, l’apparition de technologies nouvelles –je pense aux drones, aux caméras-piéton, mais aussi aux smartphones et autres tablettes qui permettent une communication permanente.

Et de l’autre, l’émergence de mouvements radicaux, qui en milieu urbain comme en milieu rural, recourent de plus en plus à la violence.

Cette situation nouvelle nous conduit, comme nous avons su le faire dans l’Histoire, à revisiter nos techniques, notre doctrine.

Et s’il ne s’agit évidemment pas de faire table rase du passé, il est clair que la façon dont ont été gérés des épisodes comme Notre-Dame-des-Landes comme les récentes manifestations parisiennes, doit nous servir de modèle pour l’avenir.

1) Une première exigence est de toujours mieux préparer et anticiper nos manœuvres d’ordre public.

Cela suppose de mobiliser encore plus que nous ne le faisions par le passé les services de renseignement, à la fois en amont des opérations mais aussi au sein-même des salles de commandement, au sein desquelles l’apport des agents de la DGSI, du Renseignement Territorial s’avèrent à chaque fois précieux.

C’est à partir de ce travail que nous pouvons, ensuite, adapter les moyens humains et matériels mobilisés.

Sur ce sujet, je tiens à souligner que, contrairement aux idées véhiculées par certains observateurs, la mobilisation de moyens « forts » sur le plan matériel comme sur le plan humain est ce qui garantit la gestion proportionnée d’un événement et l’usage modéré de la force.

Et c’est pour cela qu’à Notre Dame des Landes, nous avons mobilisé 25 escadrons de gendarmes mobiles et des blindés.

Parce que c’était là, la garantie d’un usage proportionné de la force.

Un autre élément décisif, et en particulier pour les opérations de grande ampleur, est celui de la planification stratégique.

Lorsqu’une opération doit s’inscrire dans le temps long – comme récemment à Notre-Dame-des-Landes, dans les Antilles ou à Mayotte – il faut pouvoir mobiliser toute une chaîne logistique pour inscrire l’action dans la durée.

Il faut veiller à intégrer la gestion du temps comme un aspect crucial de nos opérations.

2) Ce que nous apprennent aussi les retours d’expériences de ces douze derniers mois, c’est que l’accompagnement judiciaire est indispensable pour mener à bien la manœuvre d’ordre public.

Il permet en effet de sécuriser le cadre juridique de l’intervention des forces de l’ordre.

Dans nos sociétés fortement encadrées par le droit, et c’est tout à fait légitime, l’action des forces de l’ordre on le sait systématiquement donnait lieu à des contentieux administratifs, sur le plan civil comme sur le plan pénal.

Il nous faut donc être irréprochable et c’est pour cela que vous pourrez toujours compter sur les services centraux du ministère pour vous fournir l’expertise et les conseils aptes à mieux sécuriser nécessaires votre action.

Assurer un accompagnement judiciaire efficace, c’est ensuite mobiliser tous les outils du droit pour faciliter la manœuvre de maintien de l’ordre.

Je pense, dans le cas des ZAD, à la publication d’arrêtés interdisant, par exemple, le transport de matériaux de construction, pour empêcher que ne se reconstituent des squats, pour permettre de vérifier que n’arrivent sur les lieux des éléments qui pourraient se transformer en armes. Il convient de mobiliser les préfets quand cela est nécessaire.

Je pense encore aux opérations de contrôle préventif sous réquisition du parquet, qui ont par exemple permis à Paris le 28 mai, d’interpeller une quarantaine d’individus dont l’intention manifeste était de semer la violence.

Enfin, face aux minorités violentes, souvent dissimulées au sein de groupes de manifestants pacifiques, nous devons perfectionner nos techniques d’interpellation ciblées des fauteurs de trouble.

Notre objectif ne doit pas être d’interpeller pour interpeller mais au contraire de recueillir les preuves nécessaires à une judiciarisation effective de ceux qui troublent les cortèges, et au final nuisent, en premier lieu, au message défendu par les manifestants pacifiques.

Pour ce faire, des Officiers de Police Judiciaire sont désormais insérés directement dans les rangs des unités de maintien de l’ordre, qui peuvent constater in situ la commission d’infractions telles que la participation à un groupement préparant des violences ou dégradations, le port d’armes, la dégradation de biens privés ou encore les violences contre personnes dépositaires de l’autorité publique. Ils peuvent être relayés par des magistrats présents directement dans les centres de commandement, en mesure de faciliter en temps réel le traitement des procédures.

Il est essentiel de développer encore le travail commun entre policiers, gendarmes et magistrats pour encore mieux cibler les interpellations et obtenir des suites judiciaires encore plus dissuasives. En accord avec la garde des Sceaux, ministre de la Justice, un groupe de travail sera installé d’ici l’été pour rechercher les moyens les plus efficaces de détecter, interpeller puis sanctionner les fauteurs de trouble au sein d’un groupe de manifestants, à la lumière des retours d’expérience récents. Les modalités d’une intervention avant la manifestation, sur la base d’infractions d’associations de malfaiteurs en vue de commettre des violences en réunion ou de participer à un attroupement armé, doivent être précisées pour pouvoir agir en amont et prévenir ceux qui viennent pour détruire.

Oui, en matière de maintien de l’ordre, c’est par un continuum police-justice renforcé que passe l’efficacité.

Assurer des manœuvres de haute qualité est donc essentiel – et je vous fais pleinement confiance pour faire preuve à la fois d’un grand professionnalisme et d’un respect absolue des règles déontologiques.

3) Il convient aussi, à l’heure où chacun peut produire sa propre information, manipuler toutes les images, être en mesure, dans le même temps, de bien communiquer.

Les exemples sont nombreux, ces derniers mois, de fake news qui ont envahi les médias.

Fake news, que l’accusation faite aux forces de l’ordre d’avoir lacéré des tentes appartenant à des migrants.

Fake news, que cette rumeur rendant coupable des CRS d’avoir commis des violences envers un étudiant de Tolbiac au point de le plonger dans le coma.

Mesdames et Messieurs, nous devons prendre ce phénomène très au sérieux. Car en quelques minutes, des images diffusées manipulées, reprises par des chaînes d’information, peuvent venir jeter l’opprobre sur l’ensemble des forces de l’ordre, et contribuer à tendre la situation partout en France.

Aussi ai-je demandé aux directeurs généraux et au préfet de police que toute intervention sensible des forces mobiles soit désormais être filmée, à l’aide de caméras-piéton. Pour les opérations d’ampleur, nous mobiliserons autant que nécessaires des outils comme les drones.

C’est là, un enjeu décisif.

Face au poison de la rumeur qui, peut tout emporter, rompre le lien de confiance entre les forces de l’ordre et la population, nous ne pouvons pas seulement répondre par de simples démentis.

C’est nécessaire, bien sûr, et nous le ferons à chaque fois que nécessaire, mais nous devrons répondre, aussi, par la force évocatrice des images, nos propres images.

4) Enfin je ne peux conclure sans souligner que mon devoir, le devoir du Ministre de l’Intérieur est de vous assurer à vous, forces mobiles, une protection à la hauteur de votre engagement.

Cela passe bien sûr par des équipements adaptés – et vous savez qu’une programmation pluriannuelle en ce sens est prévue, qui vous permettra de bénéficier de protections, d’armes et de munitions aux meilleurs standards.

Il convient aussi, dans les techniques de maintien de l’ordre que nous choisissons, de veiller à ce que soit préservée une « bonne distance » entre gendarmes, policiers et individus violents : c’est pourquoi nous veillerons au renouvellement d’outils comme les véhicules blindés, s’agissant de la gendarmerie, ou des canons à eau, s’agissant des Compagnies Républicaines de Sécurité.

Enfin, dans nos sociétés marquées, je l’évoquais, par la prééminence du droit, je veux m’engager ici à assurer votre protection juridique, au travers notamment de la protection fonctionnelle.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les grands principes, les axes de travail que je tenais à détailler aujourd’hui.

Ils seront évidemment enseignés dans toutes les écoles de formation du pays et en particulier ici, au Centre Nationale d’Entrainement des Forces de la Gendarmerie, un centre reconnu partout dans le monde pour son expertise, au point d’accueillir régulièrement en formation des membres du corps des Marines.

Je sais, gendarmes mobiles, CRS, pouvoir compter sur vous pour les mettre en œuvre demain sur tout le territoire, avec un grand sens de la déontologie et un usage toujours proportionné de la force.

Je dis souvent : que la sécurité est la première des libertés.

Et mieux que quiconque, vous incarnez cette réalité.

C’est vous en effet, qui permettez à tous nos concitoyens d’exercer pleinement leurs libertés.

Liberté de s’exprimer. Liberté de se divertir. Liberté de se déplacer.

Oui, c’est vous qui permettez aux valeurs de notre République de ne pas se limiter à l’abstraction du concept mais bien de se traduire concrètement dans la vie quotidienne de chaque Français.

Alors vivent les gendarmes mobiles !

Vivent les CRS !

Vive la République !

Et vive la France !

Je vous remercie.