Discours de M. Gérard COLLOMB, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, prononcé à l'occasion du repas de rupture du jeûne, à la Grande mosquée de Lyon, le jeudi 31 mai 2018.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Lyon, Cher Kamel KABTANE,
Monsieur le Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les membres du corps consulaire de Lyon,
Mesdames et Messieurs les Élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des Autorités judiciaires,
Monsieur le Cardinal, Archevêque de Lyon, Primat des Gaules,
Monsieur le Grand Rabbin de Lyon,
Messieurs les représentants des Autorités religieuses,
Mesdames et Messieurs les représentants des Universités,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations,
Mesdames et Messieurs,
J’ai tenu à être présent parmi vous ce soir pour cette rupture du jeûne. Cela me vaudra peut-être quelques commentaires sur ma trop grande présence à Lyon.
Mais j’ai toujours pensé que pour être un bon élu, à fortiori un bon Ministre, mieux valait des racines fortes qu’une totale désincarnation.
Je suis donc heureux de partager ce moment avec vous tous, de le partager notamment avec nos amis musulmans.
Au moment où notre pays s’interroge sur son rapport aux religions, où en particulier l’on se demande comment l’Islam en France doit s’organiser pour prendre place dans le dialogue de l’État avec les institutions représentant les différentes institutions religieuses, cette Métropole peut peut-être contribuer à être sinon un modèle, du moins un élément de référence car ici nous avons su créer depuis longtemps un dialogue fécond entre la puissance publique, les élus locaux et les représentants de tous les cultes.
L’initiative « Concorde et solidarité » en a témoigné qui a permis, dans les périodes de crise, de porter des paroles d’apaisement, et au quotidien à chacun de pouvoir exercer dans la sérénité la religion de son choix ou d’ailleurs de n’en pratiquer aucune.
Vous savez que c’est au sens strict du terme la définition même de la laïcité. On évoque souvent en France la loi de 1905. Aristide Briand dans son rapport à l’Assemblée nationale la définissait d’ailleurs ainsi en disant que la loi qu’il présentait était une loi de liberté, liberté de croire ou de ne pas croire, et si l’on croit, de pratiquer la religion de son choix pourvu que ce soit dans le respect de l’ordre public.
Tout est dit dans cette phrase ! C’est ainsi que nous concevons la laïcité à Lyon et qu’il faut à mon sens la concevoir en France.
Il y a ici cette volonté de rassemblement. Et, cher Kamel, vous y avez pris plus que tout autre votre place mais vous avez compris aussi qu’il y avait une nécessité pour l’Islam de France de s’organiser pour que les pouvoirs publics trouvent des interlocuteurs pleinement représentatifs de la communauté musulmane.
Certains soutiennent que ce serait impossible d’un point de vue théologique parce que le rapport à l’absolu serait dans l’Islam un rapport direct, sans intermédiation et qu’il ne pourrait donc y avoir d’organisation structurée à l’instar de ce qui a pu être bâti dans d’autre cultes.
Je tiens à rappeler que ce rapport direct à l’absolu n’est pas là une spécificité de la seule religion musulmane, ce qui n’a pas empêché d’autres cultes de construire une organisation solide.
On dit aussi que dans l’Islam les courants seraient trop divers mais là encore, je ne suis pas sûr que ce soit particulier à l’Islam.
Oui, je pense que l’Islam de France doit s’organiser et cher Kamel Kabtane, dans ce département, vous avez commencé à la faire en réunissant un certain nombre de responsables religieux.
Vous l’avez fait autour d’éléments de doctrine théologique commune propres à marginaliser toutes celles et tous ceux qui, prétendant professer « le vrai Islam », mais n’en sont qu’une caricature mortifère qui trouve hélas dans notre pays, comme dans beaucoup de pays du monde un écho qui conduit à la haine, à l’affrontement et tente d’imposer une vue monolithique et régressive du monde.
Monolithique ! Or je pense au contraire que l’une des grandes richesses de notre Humanité, c’est précisément d’être diverse.
Pourquoi faudrait-il préserver la biodiversité pour la nature et ne pas vouloir accepter que les hommes soient eux aussi divers, divers par leur culture, par leur histoire, par leur spiritualité, par leur façon de concevoir le monde.
Non ! L’enjeu du combat d’aujourd’hui ne peut passer par la condamnation de telle ou telle religion mais il doit être de lutter contre les prêcheurs de haine, les prêcheurs d’intolérance, ceux qui professent un fanatisme qui amène à semer la mort de manière aveugle.
Car on le sait, c’est indistinctement que le fanatisme frappe.
Les victimes de Paris ou de Nice étaient de toutes les origines, appartenaient à toutes les familles de pensée, à toutes les religions.
C’étaient juste des gens ordinaires qui aspiraient tout simplement à vivre et qu’un acte terroriste barbare a condamnés à mort.
Ces prêcheurs de haine, il faut donc les combattre avec toutes nos forces mais en même temps ne jamais admettre qu’on puisse stigmatiser telle ou telle partie de la communauté nationale.
Les musulmans en France sont aujourd’hui entre 3 et 4 millions.
Dans leur immense majorité, dans la grande diversité de leurs pratiques religieuses, de leur histoire, de leur culture, ils aspirent à pouvoir vivre en paix, dans ce pays comme dans les autres.
Nombreux sont parmi eux ceux dont la famille est venue en France il y a une ou deux générations et qui connaissent aujourd’hui de très belles réussites sur tous les plans : économique, social, sportif ou culturel.
Il convient aussi de mettre en avant leur image, de s’appuyer sur leurs parcours pour montrer à chacune et à chacun que dans notre pays, on peut réussir par son talent, par son travail, par son énergie.
Oui, je pense que la communauté musulmane doit fédérer toutes celles et tous ceux qui ont vocation à être des leaders à même d’entrainer les jeunes, de leur transmettre un goût de réussite qui, chacun le sait ici, ne s’obtient jamais que dans l’effort.
Je pense que parallèlement, comme vous le faites dans ce département, un certain nombre de recteurs de mosquées, d’imams, qui portent dans leur cœur la foi dans l’Islam et ses valeurs, mais aussi le respect et l’amour de la République française doivent sa rassembler pour porter ensemble un discours commun.
En 2019, le CFCM verra se renouveler ses instances, ce peut être là l’occasion d’un nouvel élan, d’un moment de refondation pour l’Islam de France. C’est bien évidemment aux musulmans qu’il appartiendra d’en décider.
Je voudrais juste ce soir, comme Ministre de l’intérieur, faire passer un message, c’est que la Nation a besoin de tous ses enfants, qu’il faut porter au niveau national cette concorde et cette solidarité que nous avons su construire dans ce territoire.
Monsieur le Recteur de la grande mosquée de Lyon, dans quelques temps sera inauguré près d’ici, l’Institut français de civilisation musulmane.
Son nom désigne clairement les objectifs qui doivent être les siens.
Donner à voir la civilisation musulmane dans sa diversité, dans son histoire. La donner à voir aux musulmans mais aussi à ceux qui ne le sont pas, pour susciter la réflexion, enrichir une pensée et que finalement puissent être dépassées les peurs, les rancœurs, les méfiances, pour qu’en sortant de cet Institut, chacun reparte avec une vraie volonté de construire une société de la rencontre et du partage.
Et s’il en est ainsi, peut-être une lumière nouvelle s’allumera-t-elle à Lyon, qui de proche en proche pourrait en faire briller beaucoup d’autres, en France, puis en Europe et pourquoi pas dans le monde.
C’est en tout cas le vœu que je formule parce que, Ministre de l’intérieur, je n’ai qu’une seule préoccupation : faire que les enfants de France et plus largement que les enfants du monde puissent vivre demain dans une société apaisée.
Vive la République,
Vive la France.