Cérémonie de rupture du jeûne du Ramadan

Cérémonie de rupture du jeûne du Ramadan
13 juin 2018

Discours de Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l'Intérieur, lors de la cérémonie de rupture du jeûne du Ramadan du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), le 12 juin 2018, Pavillon Dauphine, Paris 16ème


- Seul le prononcé fait foi -

Madame la Ministre, chère Sophie Cluzel
Monsieur le Président du conseil français du culte musulman,
Monsieur le Recteur de la Grande mosquée de Paris,
Messieurs les présidents d’honneur, vice-présidents et dirigeants du CFCM,
Messieurs les représentants des conseils régionaux du culte musulman,
Messieurs les Préfets,
Mesdames et messieurs les représentants des cultes,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,

L’hospitalité musulmane est à nulle autre pareille. Et la République française ne saurait la refuser ou l’oublier.

L’année dernière, le Président de la République avait tenu à participer à la rupture du jeûne organisée par le CFCM. Cette année, ce devait être le Premier ministre qui devait s’exprimer devant vous. Il est en ce moment retenu avec le Président de la République. Mais il m’a promis qu’il serait des nôtres dans la soirée. J’espère donc que vous ne serez pas totalement déçus que ce soit le Ministre des Cultes qui soit présent ce soir.

Sachez en tout cas qu’au-delà des fonctions officielles, vous avez avec vous, un ami de la communauté musulmane qui, dans ses fonctions précédentes, n’a jamais manqué de célébrer un iftar.

C’est pourquoi je suis extrêmement heureux d’être avec vous.

Pour un moment que je sais toujours de dialogue pour évoquer le présent, mais aussi pour envisager l’avenir.

Ces instants sont toujours sont pour vous particulier où après l’élévation spirituelle que représente le jeûne, vous vous retrouvez en famille, entre amis, dans une convivialité toujours ouverte à l’autre, et notamment à l’étranger qui, frappant à votre porte, trouvera toujours une place offerte.

***

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais ce soir débuter mon propos en rappelant que la priorité de notre Gouvernement – mais en cela il s’inscrit dans la longue tradition républicaine – c’est de permettre que, dans notre pays, chacun puisse vivre sa foi, pratiquer un culte ou n’en suivre aucun.

En cela, vous le savez, nous nous revendiquons de l’héritage d’Aristide Briand qui, rapporteur de la loi de 1905, définissait cette loi non comme une loi de fermeture à toute spiritualité mais comme une loi de liberté.

Une liberté qui doit pouvoir s’exercer pour tous, et en particulier pour les musulmans de France.

C’est comme cela que nous comprendrons toujours la laïcité, non comme une volonté de négation des différentes spiritualités, mais comme la volonté de garantir à chacun une entière liberté de pensée.

Cette conception là, comme Ministre de l’Intérieur, je ne cesserai de la promouvoir, avec la ferme conviction qu’elle est l’une des conditions de ce que nous sommes : la France !

Car l’identité française, c’est celle d’un peuple uni que nous voulons indivisible, dans la diversité des origines, des convictions ou des croyances que nous respectons pleinement et dans une égale reconnaissance.

De ce point de vue, Le Gouvernement n’acceptera jamais ni les amalgames ni la stigmatisation d’une religion. Il n’acceptera jamais qu’on réduise l’islam à l’islamisme, ni a fortiori à ses manifestations les plus radicales ou les plus violentes. Les musulmans en sont aujourd’hui les premières victimes. Aussi, le CFCM n’a jamais fait défaut quand il s’est agi de condamner le terrorisme.

Mais, Mesdames et Messieurs, aujourd’hui plus encore qu’hier, vous savez qu’il nous faut relever, ensemble, des défis décisifs.

Il y a un an, presque jour pour jour, dans ce même cadre de fête et de convivialité, le Président de la République avait énoncé les quatre combats que l’État et les musulmans de France doivent mener conjointement :

  • un combat contre la diffusion du fanatisme, contre ceux qui pervertissent le message de l’islam.
  • un combat contre le repli identitaire qui favorise une forme de ségrégation au sein de la République.
  • un combat pour la formation des imams et des acteurs religieux.
  • enfin, le défi de l’organisation du culte et de la représentativité institutionnelle que l’État doit aujourd’hui aider à relever.

Depuis un an, quelques sujets ont avancé. Mais il faut reconnaître que si l’on veut lutter contre l’extrémisme, mieux structurer l’islam de France, il nous reste encore beaucoup de chemin à faire.

Commençons par les avancées : la prévention de la radicalisation. Le Gouvernement s’est donné une feuille de route structurée grâce au plan de mobilisation « prévenir pour protéger » présenté par le Premier ministre le 23 février dernier.

L’État agit ainsi.

Mais au-delà de l’État, la mobilisation ne peut réussir qu’avec le concours de la société civile, qui doit porter un discours fort, attractif et alternatif aux messages de fermeture et de repli.

Et je voudrais saluer les voix de celles et ceux qui, parmi nos compatriotes musulmans, se mobilisent pour disqualifier l’idée d’un Islam en rupture voire en conflit avec la République, l’idée d’une foi et d’une pratique qui conduiraient nécessairement à la sécession.

Je le dis très clairement, nous ne pouvons pas, ni vous, ni moi, accepter l’idée que les Français musulmans seraient condamnés à une forme d’exil intérieur, l’idée qu’ils constituent une communauté distincte au lieu d’être des membres à part entière de la communauté nationale.

C’est donc, c’est à vous d’abord qu’il appartient de mener ce combat, sur le terrain théologique – terrain que vous seuls pouvez investir.

Et il faut aller encore plus loin si nous voulons que ce discours d’un Islam pleinement républicain soit audible et efficace. Car les thèses du repli sont puissamment relayées sur Internet et sur les réseaux sociaux.

C’est notre devoir, c’est votre devoir, d’empêcher qu’elles ne s’imposent comme la référence dominante. Car elles ne représentent pas l’islam, elles le nient.

Un autre enjeu décisif concerne la formation des imams et des cadres religieux.

Nous voulons que les musulmans de France soient pleinement en charge de l’Islam dans notre pays.

Mais cela ne peut être le cas, que si de plus en plus d’imams sont formés sur notre sol, s’ils connaissent le fonctionnement de la société française, respectent ce qui fonde nos valeurs.

Nous avons donc mis en place, dans les universités publiques, des diplômes universitaires aux valeurs civiles et civiques. Ils sont obligatoires pour les aumôniers de toutes confessions.

Nous avons aussi encouragé la mise au point de parcours complets de formation, reposant sur un partenariat entre l’université publique, qui peut proposer la formation profane, et des instituts théologiques privés, à qui revient nécessairement la formation religieuse.

Il vous appartient de vous approprier cette dynamique, qui est aussi un état d’esprit, en créant de nouveaux partenariats, en imaginant et en validant leur organisation et le contenu des formations.

Mais aussi - et c’est essentiel - en incitant les imams et les cadres religieux à suivre effectivement ces cursus : c’est d’ailleurs ce que prévoyait le projet de « charte de l’imam » à un moment donné envisagé par le CFCM.

Le sujet de la formation soulève bien évidemment celui du financement du culte.

Là encore, si nous voulons que l’islam de France soit réellement administré par les musulmans de France, il lui faut un financement autonome, des ressources propres.

Comme l’a souligné le Président de la République il y a un an : les financements existent. Je pense à l’organisation des pèlerinages, à l’aumône rituelle ou encore au halal.

La difficulté aujourd’hui est qu’ils ne reviennent pas tous au culte musulman et notamment à ceux qui, en son sein, promeuvent un Islam pleinement ancré dans la République.

De même, l’organisation et la structuration du culte restent en suspens.

Dans un an, se profile le nouveau rendez-vous électoral du CFCM. D’ici-là, des questions importantes devront être tranchées :

  • celle de la représentativité, que les musulmans de France posent très légitimement ;
  • celle de la bonne articulation entre les structures d’administration du culte et les figures porteuses de l’autorité religieuse.

Ces questions, c’est aux musulmans de France de les prendre en charge dans la durée. Mais l’État, qui a contribué depuis l’origine à la mise en place du CFCM, ne peut s’en désintéresser.

Entendons-nous bien, Mesdames et Messieurs, à aucun moment, il ne s’agit là pour le Gouvernement d’imposer ses vues, ses solutions.

Mais les enjeux sont aujourd’hui trop importants pour que l’État s’en désintéresse.

Oui, sur tous ces sujets, nous devons progresser ensemble.

En 2016, l’un de mes prédécesseur Bernard Cazeneuve, avait organisé une « journée de consultations sur l’islam de France ». Je pense que c’était là une initiative positive.

C’est pourquoi, pour avancer, l’État souhaite continuer à agir dans une méthode fondée sur l’écoute et sur la concertation avec les acteurs de terrain.

Dans les semaines à venir, nous voudrions donc que, dans chaque département puisse se tenir avec tous ceux -  religieux comme membre de la société civile – qui sont dans leur ville, dans leur quartier, les visages de l’Islam en France, une grande concertation où seraient posées les principales questions qui sont devant nous :

Quelle bonne organisation des instances d’administration du culte et des instances religieuses ?
Quel statut pour les imams et les différents cadres religieux ?
Quels parcours de formation, quel mode de rémunération ?

Je sais que vous-même, Monsieur le Président du CFCM, vous réfléchissez à un tel dispositif - et le Gouvernement y sera évidemment très attentif.

Mais nous pensons qu’il nous appartient de redonner une impulsion.

Qu’il est temps qu’en partant de la base, du terrain, on puisse faire converger des propositions, à partir desquelles le Président de la République serait en mesure de prendre des initiatives fortes.

Aucune piste de réflexion ne doit être exclue a priori.

*

Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques pensées que je souhaitais partager avec vous.

Ce sont les pensées d’un ami qui est là dans une volonté d’ouverture et d’écoute, mais aussi d’un Ministre d’un Gouvernement qui pense profondément qu’il faut tout faire pour que, dans l’esprit de nos concitoyens, l’Islam ne soit pas défiguré par des idéologies qui n’en sont que le dévoiement.

Oui, l’Islam a joué et jouera toujours un grand rôle dans la construction d’une pensée moderne.

C’est le grand historien britannique Montgomery Watt qui écrivait – je cite - « quand on se rend compte de toute l’étendue des domaines que les musulmans embrassèrent dans leurs expérimentations scientifiques, leurs pensées et leurs écrits, on voit que, sans eux, la science et la philosophie européennes ne se seraient pas développées comme elles l’ont fait ».

Eh bien, ce qu’il nous appartient d’écrire aujourd’hui ensemble, c’est la suite de cette grande Histoire.

Oui, il nous faut faire briller à nouveau dans notre pays, cet Islam de la connaissance, cet Islam des Lumières.

Notre pays qui a toujours porté dans sa tradition nationale une vocation universaliste peut-être un lieu privilégié de son développement.

Cela dépend en partie de l’État – et vous trouverez toujours ce Gouvernement à vos côtés pour vous accompagner dans ce combat.

Mais cela dépend surtout de vous tous les engagés de confession musulmane, vous qui voulez concourir à construire dans notre pays une société toujours plus apaisée, toujours plus unie.

Vous avez, dans les mois et les années qui viennent à venir, le pouvoir de transformer les choses.

Je compte sur votre engagement, au service de votre religion, et aussi au service de la France.

Car je sais que l’une comme l’autre sont profondément ancrées dans votre cœur.

Je vous remercie.