De la simple fissure qui balafre une façade, à l’effondrement partiel ou total d’un immeuble, les architectes de sécurité de la préfecture de Police sont dépêchés aux quatre coins de la capitale pour évaluer tout péril qui pourrait mettre en danger habitants, riverains ou simples passants.
Le péril d’immeuble est l’une des plus anciennes missions des architectes de sécurité. « Ordonner la démolition et ou la réparation des bâtiments menaçant ruine » figurait en effet déjà dans l’arrêté du 12 Messidor An VIII (1er juillet 1800) fixant les missions du préfet de Police.
Aujourd’hui, cette mission n’a pas changé, sinon que Paris s’est considérablement assainie. Pour autant, plus de 1000 signalements parviennent encore chaque année à la préfecture de Police. L’exemple dans un quartier populaire de Paris avec Thierry Donnadieu, l’un des 46 architectes de la préfecture de Police.
L’immeuble pour lequel Thierry Donnadieu a été saisi se situe au début d’une impasse. Haut de quatre étages et juste blanchi, ce bâtiment sans décor est typique de l’architecture de type faubourien qui caractérise les arrondissements du nord et de l’est de la capitale. « Cet immeuble a fait l’objet d’un signalement de la part du syndic bénévole, qui s’inquiète fortement des désordres constatés à plusieurs endroits du bâtiment », explique l’architecte de la préfecture de Police en désignant des stigmates bien visibles sur la façade : ici, une large fissure provisoirement colmatée, là, le léger décrochement du linteau d’une fenêtre. « Il est clair que, même s’il n’y a pas de risque que l’immeuble s’effondre rapidement, nous sommes néanmoins en présence d’une situation de péril qui nécessite qu’une injonction soit faite par l’autorité administrative pour que la copropriété réagisse ».
Pour Thierry Donnadieu, la notion de péril d’immeuble est avant tout une question de sécurité : « Le seul but à atteindre, en tout cas pour le préfet de Police ou pour le maire, est de s’assurer de la stabilité structurelle du bâtiment et qu’aucun élément de celui-ci ne soit susceptible de se décrocher, de tomber et de causer un accident ».
Dans le cas d’espèce, une série d’infiltrations d’eaux de pluie dans le sous-sol du bâtiment semble avoir eu raison de sa stabilité, touché dans ses fondations. « Ici, les désordres sont assez facilement repérables, et nous avons la chance d’avoir le témoignage de l’architecte de l’immeuble. Notre rôle n’est pas de chercher les causes de ces désordres, mais de faire en sorte qu’il y soit remédié : c’est aux copropriétaires qu’il revient de prendre les mesures nécessaires pour que des travaux de confortation ou de réparation soient réalisés ».
Il existe en fait deux types de périls : les périls ordinaires et les périls imminents. « La grande majorité sont des périls ordinaires, comme ici, assure Thierry Donnadieu. Ils sont traités dans le cadre d’une procédure s’étalant généralement sur un à trois ans, entre le signalement et la réalisation des travaux. Cela dépend essentiellement de l’implication et des possibilités financières de la copropriété ». Le signalement peut être effectué par toute personne remarquant un élément lui paraissant dangereux à l’intérieur ou à l’extérieur du bâtiment. Lorsque le péril est avéré, l’architecte de sécurité de l’arrondissement concerné établit un rapport assorti de prescriptions, transformé en mise en demeure pour les propriétaires d’effectuer les travaux. « Quelque temps plus tard, une visite de contrôle, dite de « récolement », pourra aboutir à une seconde mise en demeure si rien n’est fait, voire à un arrêté de péril si la situation s’est aggravée ». En dernier recours, si aucune mesure n’a toujours été prise, le préfet de Police peut faire engager des travaux d’office, assortis de pénalités financières pour les propriétaires.
En revanche, pas question d’attendre des mois pour agir lorsque l’effondrement d’un mur, d’un toit ou d’un édifice entier semble imminent.
Outre leur intervention sur les périls ordinaires ou imminents, les architectes de sécurité de la préfecture de Police sont aussi dépêchés aux quatre coins de la capitale dans le cadre du service d’astreinte qu’ils assurent 365 jours par an, 24h/24, suivant un tableau de permanence établi deux ans à l’avance. De jour comme de nuit, un ou deux architectes se tiennent prêts à se rendre à tout moment sur les lieux d’un incident ou d’un sinistre sur appel des pompiers ou du cabinet du préfet. Leur rôle est alors primordial : celui d’évaluer la solidité d’un bâtiment endommagé, de prendre des mesures provisoires d’urgence pour consolider ou décider de faire évacuer si le danger d’effondrement est trop grand. « Quand, à 3 heures du matin, vous avez des familles dans la rue avec de simples couvertures de survie, après un incendie ou un grave sinistre, et que vous devez prendre la décision de les autoriser ou pas à regagner leurs appartements, c’est une lourde responsabilité », concède l’architecte qui a pourtant neuf ans d’expérience au sein du service de la préfecture.
En définitive, le service des architectes de sécurité traite en permanence quelque 1 000 dossiers de périls allant du simple problème de plancher à la menace d’effondrement, ce qui entraîne chaque année environ 2 500 interventions sur site, dont 180 à 200 au titre de l’astreinte. « Pour autant, la capitale est de plus en plus sûre, le bâti de plus en plus restructuré, rénové et entretenu, affirme Thierry Donnadieu. La situation d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’ont connu nos aînés qui nous ont décrit des îlots d’immeubles menaçant ruine, des rues entières évacuées avec des centaines de familles à reloger. Il y a donc un assainissement global des périls d’immeuble à Paris, même s’il subsiste encore quelques cas préoccupants ».
La sociologie des quartiers parisiens et la nature des constructions jouent un rôle important dans la typologie des périls d’immeubles. Dans les « beaux quartiers », les immeubles haussmanniens, avec leurs façades en pierre de taille, sont souvent de bonne facture et entretenus par des propriétaires qui en sont aussi généralement les résidents. Les désordres qui peuvent concerner ces bâtiments touchent essentiellement les cuisines et les salles de bain, fragilisées par des dégâts des eaux successifs et des infiltrations dans les planchers. Une autre faiblesse peut se situer dans les structures métalliques, notamment des balcons, qui se révèlent parfois assez fragiles, surtout lorsque les pierres employées sont exposées à un phénomène de porosité aux eaux de pluie. Dans les quartiers populaires de la capitale, les immeubles de rapport, essentiellement occupés par des locataires, pâtissent quant à eux d’un manque d’entretien qui affecte particulièrement les éléments de structure, planchers et fondations. Ces immeubles, souvent construits à la hâte pour héberger les ouvriers affectés aux grands travaux haussmanniens, sont de mauvaise construction utilisant du bois de chantier et de l’enduit, dotées de planchers sous-dimensionnés et dépourvues de fondations. Ces défauts de structure, cumulés à un manque d’entretien, ont entraîné des pathologies préoccupantes et suscité l’ouverture de nombreux dossiers de périls.