La laïcité aujourd'hui

31 mai 2017

L’une des missions de l’Observatoire de la laïcité est de proposer des solutions pour l’application du principe de laïcité, en lui-même intangible, à des situations nouvelles.


L’observatoire a conduit, au cours de sa première année d’existence, des réflexions sur plusieurs thèmes. Il a ainsi publié un « rappel à la loi » sur les principes de la laïcité et plusieurs guides sur la pratique de la laïcité : « guide Laïcité et gestion du fait religieux dans les structures socio-éducatives », « Guide Gestion du fait religieux dans l'entreprise privée », « Guide Laïcité et collectivités locales ».

Si le principe est celui de la libre expression des convictions religieuses, la Constitution, les conventions internationales et la loi permettent d’y apporter des limites, au titre de la préservation de l’ordre public. Si le trouble à l’ordre public ne peut  naître de la simple gêne, il peut apparaître dans diverses situations, qu’il convient de préciser.

La pratique du culte

Des espaces sont dédiés à l’exercice du culte : les édifices du culte. La liberté de pratique du culte y est totale, sous réserve que les pratiques cultuelles n’enfreignent aucune règle légale.

Les manifestations religieuses en dehors des édifices du culte peuvent être autorisées sous réserve qu’elles ne troublent pas l’ordre public.

Prescriptions et comportements

Chacun a le droit de s’habiller comme il l’entend, sous réserve d’éviter une exhibition prohibée par la loi et de respecter les règles relatives aux tenues professionnelles, étant souligné que les règlementations et les codes sociaux sur ce qui est permis, toléré ou prohibé en cette matière sont variables selon les lieux et les époques.

Cependant, des prescriptions physiques ou vestimentaires, d’origine religieuse ou affirmées comme telles, peuvent susciter des réactions d’hostilité ou de défiance. Elles sont présentées comme des signes d’appartenance commune, des marques de respect ou de pudeur. Leur caractère religieux est parfois contestable mais affirmé comme tel. Ces signes peuvent concerner les hommes et les femmes. De fait, les réserves se manifestent principalement à l’égard des vêtements qui cachent tout ou partie de la tête, du visage ou du corps des femmes.

L’hostilité ou la réserve est liée au sentiment d’une agression symbolique par l’expression d’une religion perçue comme prosélyte dans l’espace collectif ; s’agissant des vêtements féminins, rejet d’un signe perçu comme portant atteinte à la liberté des femmes, à leur droit à l’égalité, voire à leur dignité, en contradiction avec le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

Interdire tout signe religieux dans l’espace social serait une atteinte à la liberté de religion, en tant que cette interdiction s’opposerait à une pratique religieuse qui ne limite pas la liberté des autres. Il convient dès lors de soigneusement distinguer le trouble objectif à l’ordre public qui constitue une limite légale aux pratiques religieuses, d’une perception subjective qui ne saurait en tant que tel justifier une atteinte à cette liberté.

La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, qui y interdit le port des signes religieux ostensibles tels que le foulard islamique, une grande croix  chrétienne, la kippa et le turban sikh, a été justifiée par la volonté garantir la neutralité de l’école, la nécessité de préserver les enfants de pressions qu’ils subiraient pour porter un tel signe, le souci d’éviter, à l’école, les conflits entre ceux qui le porteraient et ceux qui ne le porteraient pas ainsi que le prosélytisme qui pourrait naître de cette expression de conviction religieuse.

Dans les organismes non publics, le port d’un signe religieux, relève de la liberté individuelle mais, au plan collectif, peut être source de difficultés de fonctionnement de l’organisme, pour des raisons objectives (conditions de travail) ou subjectives   (risques de tension). Des solutions peuvent être recherchées par des accords contractuels, par secteur professionnel ou entreprise, pour poser des limites à cette liberté, sous réserve que la légalité de ces accords soit assurée. Si à l’avenir, les  pouvoirs publics jugeaient nécessaire un encadrement légal dans le respect des normes juridiques supérieures applicables, l’observatoire recommande de ne pas user de la loi pour répondre à un seul cas particulier. Pour les services privés collectifs, il revient à l’État ou aux collectivités territoriales de faire en sorte d’assurer la présence proche d’un service public, dans lequel le principe de neutralité s’applique. L’Observatoire a rendu un avis en ce sens sur la situation de la crèche   Baby loup, concluant, à ce stade, dans l’attente notamment de l’arrêt définitif de la Cour de cassation, que des solutions existaient sans loi nouvelle.

Dans l’espace collectif public (hors des services publics), comme par exemple sur la voie publique, le port de signes religieux est libre, au regard du principe de laïcité. La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public n’est pas une loi de laïcité mais une loi d’ordre public.

Les prescriptions alimentaires sont présentes dans la plupart des religions. Elles peuvent comporter l’interdiction permanente de consommer certains produits, l’obligation de consommer des produits préparés selon certaines règles religieuses ou l’interdiction de se nourrir à certaines périodes. Elles peuvent susciter des questions au regard du principe de laïcité lorsque que des usagers des services publics demandent à se nourrir selon ces prescriptions, ce qui implique, pratiquement, des contraintes financières et d’organisation pour les organismes en cause.

Dans les faits, les services de restauration collective dans les services publics ne répondent pas à ces prescriptions alimentaires mais peuvent proposer une diversité de menus, par exemple avec ou sans viande.

Toutefois, dans les lieux fermés, l’application du principe de laïcité doit tenir compte de l’impossibilité dans laquelle se trouvent ces personnes de pratiquer leur religion dans un autre lieu.

Le principe de laïcité impose de faire en sorte que l’expression des convictions religieuses par ces prescriptions alimentaires ne perturbe pas le fonctionnement du service public et ne constitue pas une pression à l’égard de membres du groupe qui n’entendent pas les respecter.

Les comportements personnels dictés par des convictions religieuses sont de natures diverses. Le refus de travailler ou de participer à un examen ou un concours un jour de la semaine en est un exemple. S’agissant des examens, la jurisprudence  administrative admet qu’il n’y a pas d’atteinte à la liberté de religion s’il n’est pas possible d’en tenir compte. Il n’y a pas, en sens inverse, d’atteinte au principe de laïcité s’il en est tenu compte. D’autres comportements sont également apparus comme ceux consistant à refuser de serrer la main d’une personne du sexe opposé, de se trouver avec elle dans des certains lieux collectifs (piscine), de travailler avec elle ou d’être examiné par elle dans une consultation médicale.

Il n’y a pas de règle légale imposant un rite de politesse déterminé comme, par exemple, de serrer la main. Les pratiques en cette matière sont évolutives, selon les pays, les époques, les âges, les milieux sociaux. Toutefois, les comportements portant atteinte à la dignité des personnes sont inacceptables et pourraient recevoir la qualification de harcèlement moral ou de discrimination.

Le prosélytisme religieux consiste à chercher à convaincre d’adhérer à une religion. La liberté de culte comprend celle de faire connaître sa religion. Elle est de même nature que la liberté de conviction qui comprend, en matière philosophique ou politique, le droit de faire connaître ses convictions pour chercher à les faire partager. Le prosélytisme religieux est cependant proscrit dans les services publics, au nom de leur neutralité. Il l’est aussi, au même titre que d’autres actions de  communication dans l’espace public ou dans l’entreprise lorsque, du fait des moyens employés ou du message transmis, il porte atteinte à l’ordre public ou au bon fonctionnement de l’entreprise. Il l'est encore lorsque la pression communautaire contraint de fait des individus (élèves à la cantine, patients dans les hôpitaux publics, collaborateurs en entreprises, etc.) à des pratiques religieuses ou présentées comme telles, alors qu’ils n’ont pas personnellement exprimé le souhait de s’y conformer.

Les expressions des religions sur les questions de société, éthiques, politiques ou sociales, sont, comme toute autre expression d’un groupe social, libres. Les religions comme les philosophies portent chacune une conception du monde qui les conduit à exprimer des positions sur les principales questions de la vie en société. Elles ont donc le droit d’intervenir à ce titre dans le débat public, comme toute organisation sociale et comme tout citoyen.

Tout citoyen et toute organisation peuvent exprimer, par des moyens légaux, leur hostilité à l’égard d’un projet de loi ou même d’une loi votée, en ce qu’ils l’estiment contraire à ses convictions, notamment philosophiques ou religieuses. Dès lors que la loi est promulguée, ils doivent s’y soumettre et ne pas entraver sa mise en œuvre. Nul n’est cependant contraint d’user pour lui-même d’une liberté offerte par la loi.

L’expression des convictions religieuses ne peut aller, sans menacer la laïcité et les principes démocratiques jusqu’à mettre en cause la légitimité des décisions prises par les instances démocratiques, au nom de principes supérieurs.

Si le principe de laïcité, en tant qu’il implique la séparation, distingue les Églises et la République, il ne s’oppose pas à ce que les autorités publiques consultent, s’ils le souhaitent pour éclairer leur jugement, des représentants des confessions religieuses et des grands courants philosophiques. Cette consultation doit être conduire dans le respect du principe de séparation.

L’observatoire a pris acte des problématiques nouvelles résultant d’évolutions sociétales et de revendications, à caractère religieux ou communautariste, qui s’expriment, par exemple, dans certains services sociaux, les prisons ou le sport. Ces questions importantes, qui doivent conduire à préciser les règles relatives à l’application du principe de laïcité dans certaines situations, seront inscrites au programme de travail de l’observatoire.

Source : Observatoire de la laïcité