Secours en montagne : un partenariat original

Secours en montagne : un partenariat original
13 avril 2017

Les équipes mixtes sapeurs-pompiers/gendarmes font la particularité du secours en montagne en Haute-Savoie, se distinguant du principe d’alternance des corps ou de la sectorisation mis en place dans les autres départements.


En effet, si le secteur du massif du Mont-Blanc est exclusivement sous la compétence du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix, le reste du département est géré par les secouristes spécialisés du PGHM 74, du groupe montagne sapeurs-pompiers (GMSP) et par les médecins sapeurs-pompiers ou du SAMU 74. Ils font équipe depuis la base hélicoptère de la sécurité civile du Meythet, ou celle de Chamonix.

Ce fonctionnement a trouvé au fil des années un équilibre et continue de s’améliorer. Rencontre sans tabous avec l’équipe : PGHM, GMSP, SAMU, pilote d’hélicoptère de la sécurité civile, et chef du service interministériel de défense et de protection civile (SIDPC).

Civique : La circulaire du 6 juin 2011 formalise la mise en œuvre des moyens publics - gendarmes, CRS, sapeurs-pompiers - pour le secours en montagne. En Haute-Savoie, les équipages de secours sont mixtes et cette organisation est unique en France. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Olivier L., chef du SIDPC : Notre fonctionnement est l’héritage de considérations historiques (réorganisation du PGHM de la Haute-Savoie par exemple), opérationnelles (augmentation progressive du nombre de secours en montagne en dehors du massif du Mont-Blanc), et techniques (centrale d’alerte commune 15-18-112) propres au département. Ce système de la mixité s’est progressivement imposé, mais il n’est pas transposable et devrait demeurer une spécificité haut-savoyarde.

David M., commandant du PGHM d’Annecy : Nous essayons maintenant d’optimiser cette organisation pour être le plus performant possible. En tant que gendarmes nous traitons, en plus de l’opération de secours, le volet judiciaire qui fait partie intégrante de la mission. En moyenne, 20 % des interventions nécessitent un suivi judiciaire.

Stéphane M., chef du GMSP : Lors de la dernière refonte du plan de secours en montagne, nous avions étudié le système d’alternance à la place de la mixité. Mais finalement nous avons gardé notre propre fonctionnement, pour lequel nous avons trouvé un équilibre en termes de connaissance et d’intervention. Nous sommes deux leviers - sapeurs-pompiers et gendarmes - et nous mettons nos forces en synergie.

Docteur B., SAMU 74 : Les médecins ont intégré progressivement la base hélicoptère : auparavant, nous étions présents sur certaines périodes chargées et le reste du temps nous venions de l’hôpital. Depuis 2016, il y a un médecin du SAMU ou des sapeurs-pompiers en permanence à la base de Meythet. Cela permet de faciliter les interventions médicalisées, d’améliorer le pronostic et la prise en charge du blessé. Nous avons des qualifications universitaires spécialisées sur le secours en milieu périlleux, pour connaître les pathologies propres à la montagne, et être autonomes sur notre progression et notre sécurité. Car en faisant partie de l’équipage, nous ne sommes pas cantonnés à l’aspect médical, mais nous pouvons aider aux manœuvres selon les directives du chef de caravane !

Secours mixte en hélico

Civique : Comment choisissez-vous les personnels embarqués sur une intervention, que ce soit pour l’aide médicale urgente ou pour le secours en milieu périlleux ?

Éric B., pilote d’hélicoptère de la sécurité civile : Outre le secours en montagne, l’hélicoptère fait aussi du secours à domicile, du secours routier, du transport interhospitaliers, ainsi que des recherches de personnes. Les équipes sont définies selon les missions. Je dois préciser combien de personnes je peux embarquer selon la distance, le kérosène, les conditions météo. Emmener un infirmier plutôt qu’un technicien, un secouriste de Savoie ou de Haute-Savoie, fait souvent l’objet de discussions entre le chef de caravane et le médecin. Mais cela fonctionne car les équipages se connaissent et s’entendent bien.

SAMU : Le choix de prendre l’infirmier et le médecin sera principalement pour des missions de transport interhospitalier ou de secours routier. Le chef de caravane s’assure toujours que chaque personnel apportera bien une plus-value au patient et laissera toute l’équipe en sécurité.

PGHM : Ce volet médical est tranché en amont. Quand il s’agit d’aide médicale urgente, le chef de caravane n’entre pas dans le débat, c’est le médecin régulateur du SAMU qui a tous les éléments et demande l’intervention de l’équipe médicale. Le cœur de métier d’un gendarme de PGHM, c’est le secours en montagne.

GMSP : En effet, pour le secours en montagne, il y a toujours un secouriste du GMSP et du PGHM. Il faut des effectifs formés et entraînés aux milieux périlleux et à l’hélitreuillage par exemple.

Civique : La préfecture organise des « réunions de consensus », regroupant PGHM, SDIS, médecins, sécurité civile et SIDPC pour vous aider parfois à trancher. Quelles sont les évolutions et quels sont les sujets abordés ?

GMSP : La préfecture a créé ces réunions que l’on appelle les « G2 ». Au départ, elles étaient quasi hebdomadaires car nous avions besoin de mettre des choses à plat. Maintenant nous nous réunissons une fois par mois, pour aborder l’ensemble des sujets en toute franchise, tels que la composition de l’équipage, l’alerte, la médicalisation, ou bien encore pour évoquer d’éventuelles incompréhensions.

PGHM : Lors de ces réunions, nous arrivons à traiter de l’ensemble des problèmes quotidiens, de la gestion de l’alerte à la finalité du secours. Nous faisons régulièrement le débriefing des missions, au niveau opérationnel. Mais pour des problématiques plus globales, la préfecture est là pour arbitrer. Nous sommes aussi force de proposition d’améliorations pour le préfet.

SIDPC : Le G2 dépasse les différents corps pour aller vers un but commun, l’intérêt de la victime. De plus en plus, il ne sert plus tant à arbitrer qu’à trouver des solutions pour améliorer le fonctionnement, suggérer des adaptations du dispositif ORSEC au préfet... Les propositions sont partagées et collectives pour une amélioration du quotidien.

Civique : Que tirez-vous de cette mixité, avec vos profils et vos cultures différentes ?

PGHM : Le fait de ne pas être en « vase clos » nous oblige à de la rigueur et du professionnalisme, car on peut se dire que l’on est observé. Bien que nous travaillions ensemble, nous représentons malgré tout deux corps avec deux cultures différentes. Cela nous oblige à nous remettre en question d’un côté comme de l’autre.

GMSP : Cette mixité a en effet un côté de « saine concurrence » pour la victime.
Nous, sapeurs-pompiers, ça nous a tirés vers le haut pour la technicité en montagne, puisque la base de notre métier est le secourisme. Les gendarmes du PGHM sont presque tous guides de haute montagne, donc très bons techniquement, mais ça les tire vers le haut pour le secourisme ! D’ailleurs il y a vingt-cinq ans, à la création du GSMP, il n’y avait que deux ou trois guides, et nous sommes maintenant une quinzaine !

SAMU : La mixité provoque des échanges qui permettent l’enrichissement de chacun. Un enrichissement d’équipe est toujours profitable par rapport à une équipe qui fonctionne en milieu fermé. Nous n’avons pas les mêmes façons de travailler, ni les mêmes contraintes. Pour ma part, ça m’oblige par exemple à réfléchir à d’autres façons de médicaliser.

Civique : Alors peut-on dire que les sapeurs-pompiers ont besoin des gendarmes, et inversement ?

PGHM : Je n’irai pas jusque-là ! Car dans la plupart des départements montagneux, le PGHM réalise les missions de secours en montagne en autonomie ou en alternance avec les CRS de montagne depuis bientôt soixante ans. Nous avons des moniteurs et des instructeurs secourisme, tous les gendarmes secouristes sont à minima titulaires du PSE 1 et du PSE 2.

GMSP : Non, on gère seuls pour le quotidien ! Mais dès que l’on a une intervention d’ampleur, c’est important de trouver des collègues dont on connaît le niveau, l’historique, et sur qui l’on peut compter... Il y a quelques années, tout le monde se regardait un peu en chiens de faïence en se disant « que va faire l’autre pour essayer de prendre du terrain ? ». Maintenant on se connaît très bien et on s’apprécie, c’est un partage et un travail en commun.

PGHM : Aujourd’hui nous faisons vivre ce système et il ne nous a jamais mis en défaut. Nous allons toujours dans le sens de l’amélioration, en fonction de ce  que l’on constate au quotidien. Nous essayons de rendre cette organisation la plus performante possible, car ce qui prime est l’intérêt des victimes. Peu importe la culture, nous avons la même motivation.

Floriane Boillot