Gilbert D., gardien de la paix, moniteur en activités physiques et professionnelles (APP), 45 ans.

9 novembre 2016

"Je suis un fan absolu de rock, avec près de 350 concerts à mon actif. Je fais partie d’un groupe qui porte le nom d’une chanson du groupe Eagles of death metal, « Boys bad news ».

Avec mon épouse, nous arrivons à 16h au Bataclan, pour essayer de croiser les membres du groupe. Et ce vendredi 13 novembre, coup de chance, on croise le chanteur. On prend une photo ensemble, on discute. C’est un ancien militaire, je lui dis que je suis policier. Il me répond qu’il apprécie la police française. Je lui précise que je suis moniteur de tir, lui parle de mon groupe et du nom qu’il porte, ça le fait marrer. Je lui dis que je serai présent au concert.

Il demande à un gars de son staff d’aller chercher un vinyle et un CD de son nouvel album. Il me les offre. Il me fait cette dédicace : « Le rock’n’roll c’est aussi l’ordre et la loi ». Un gars décalé, instruit, très intelligent.

On ne pensait pas rencontrer le chanteur, on repart ravis et on se balade dans Paris en attendant l’heure du concert. On arrive très tôt pour être bien placés et on se gare à proximité de la salle. Je connais bien les lieux. On se met devant la scène, légèrement sur la gauche, à quinze mètres de la sortie. Le concert est énorme. Le public est assez spécial. Une ambiance incroyable. C’était chaud, simple. J’étais ravi.

Soudain, je vois le chanteur s’arrêter de chanter. On voit sur son visage qu’il est hébété. Là, j’entends des « clac clac – clac clac ». Les gens autour pensent que c’est des pétards. Mais je me retourne et vois un tireur. Les gens se jettent à terre autour de nous. Je vois l’arme et des flammes sortir du canon. Mon épouse est sous le choc et, comme beaucoup de monde, a du mal à s’allonger. On reste au sol et on entend les tirs. Ça dure longtemps, ça tire de partout. C’est le chaos autour de nous. Ça dure bien dix minutes, une éternité. Je ne vois aucune issue, aucune échappatoire.

On entend crier, on voit les gens tomber. Je ne cesse de hurler : « baissez-vous baissez-vous !», mais les gens ont du mal à réagir. Ils sont dans un état second. Je vois qu’ils ont tiré sur tout le monde, je sens que c’est une tuerie. En tant qu’animateur APP le plus dur pour moi est d’entendre le bruit lors du changement de chargeur.

Durant un moment les gens autour pensent que c’est fini et on entend les chargeurs, les mouvements de culasse et on sait que ça va repartir. Je dis aux gens « restez au sol ! ça va repartir ! », mais beaucoup pensent que c’est fini, se relèvent et se font tirer dessus. À un moment donné je vois qu’il y a des mouvements de foule vers une porte de sortie. On rampe, ça tire. Je tire ma femme vers moi, c’est la ruée. Je ne pense qu’à la sauver. Des gens nous demandent de l’aide, nous supplient. Mais que faire ? Que faire face à une telle situation ?

On arrive à un escalier où il y a un mouvement de foule. Nous tombons au sol et nous faisons piétiner par dix-quinze personnes. Je fais barrage de mon corps pour relever mon épouse. Elle tombe dans les escaliers, les tirs se rapprochent. On se précipite dehors et on arrive dans la rue. Tout le monde se réfugie dans un bar. Mais je me dis « non, on n’y va pas, si tout le monde y va les terroristes vont sortir et vont nous achever dans le bar ». On croit alors qu’ils sont partout. Je dis à ma femme « ne parle à personne ». Je pense alors que ça va tirer de partout et qu’il faut absolument qu’on parte de là le plus vite possible. On parvient à notre voiture et je fonce chez un ami, un collègue policier qui habite en région parisienne.

Arrivés chez lui, on appelle tout de suite nos enfants et mon ami appelle les autorités. Je suis tombé au bon endroit car mon ami a déjà connu plusieurs situations de choc dans sa vie professionnelle et il connaît les réflexes. On est en sang. On regarde si tout va bien. On se met alors devant les informations.

Là, on est sidérés car les infos ne parlent que du Stade de France et les journalistes basculent sur le Bataclan sans savoir ce qu’il se passe. Alors que nous en étions sortis quelques minutes auparavant. C’est incroyable de vivre ça !

On est bien sûr heureux de s’en être sortis vivant, c’est humain, mais très vite surgit aussi le sentiment de se dire qu’on aurait peut-être pu faire plus, aider plus de gens, être plus convaincants pour empêcher les gens de se lever. Certains étaient allongés à côté de moi, se sont levés et ont été abattus. Chacun agit comme il le peut. Quand on est flic, on a ça dans le sang d’aider les gens en détresse. Mais là, je ne pouvais rien faire.

Dès le lundi je suis retourné au boulot. Je me suis fait auditionner par un collègue. En plus, en tant qu’APP je forme les collègues au maniement des armes et notamment des pistolets mitrailleurs. Dès le vendredi avec mon commissaire et mon collègue APP, on a fait une séance de tirs pour savoir si je pouvais ou non continuer et il n’y a eu aucun problème.

Si les Eagles of Death Metal font leur retour au Bataclan, il faudra que j’en sois, pour moi, pour les gens qui ont disparu ce soir-là. Mais si mon épouse me dit non, je n’irai pas.”