Dimitri Kalinine, chef du commissariat du 3e arrondissement

Dimitri Kalinine, chef du commissariat du 3e arrondissement
9 novembre 2016

"Il est 21 heures 50 quand je suis appelé sur mon portable. On m’indique qu’une fusillade est en cours au Bataclan et que 7 effectifs du commissariat du 3e sont sur les lieux. Je ne me pose pas de question, je demande qu’on vienne me chercher. Je récupère mon adjoint sur la route et nous partons vers le Bataclan.

Quelques minutes plus tôt, un véhicule d’intervention du commissariat du 3e , stationné à quelques dizaines de mètres du Bataclan pour un accident matériel, est appelé par un vigile de la salle de spectacle et mis au courant de la fusillade. Arrivés sur place, mes collègues du commissariat du 3e ont assisté impuissants à la fusillade. Eux- même terrorisés, ils ont vu des personnes tomber sous les rafales dans la salle de spectacle. Ils ont appelé des renforts à la radio.

C’est quelques instants avant mon arrivée, vers 21h50, que mon collègue de la BAC nuit est intervenu et a neutralisé l’un des terroristes. Son intervention a vraiment été décisive et héroïque, mettant fin à la tuerie. Lorsque j’arrive rue Oberkampf avec mon adjoint, on voit un nombre très important de policiers, tous leurs armes à la main.

On prend les premières informations, puis je remonte la rue Oberkampf qui est complètement engorgée. Des véhicules de pompiers sont bloqués. Les pompiers ne peuvent pas intervenir dans le Bataclan dans la mesure où les lieux ne sont pas sécurisés. Je continue sur le boulevard Voltaire pour arriver devant le Bataclan, parce que je sais que mes gars y sont et je ne sais pas s’ils sont blessés ni ce qu’il se passe vraiment.

Quand j’arrive à l’angle des boulevards Voltaire et Oberkampf, je tombe sur eux. Ils ont commencé à secourir des victimes. Ils les déplacent de l’entrée principale du Bataclan jusqu’à la rue Oberkampf où sont les secours. Je m’assure que tout les sept vont bien. Ils sont choqués...

Ensuite on se répartit les rôles avec mon adjoint. Il va gérer les aspects ordre public et fluidifier l’accès aux soins. Moi je vais aider mes effectifs à porter secours aux victimes. En les voyant porter des victimes les unes après les autres, je me suis dit que ma place était à leurs côtés. Et quand j’ai vu l’ampleur des blessures, il était évident que plus nous serions nombreux pour amener les victimes auprès des secours, mieux ce serait.

J’ai le souvenir d’être totalement focalisé sur l’assistance aux personnes. Les réflexions surgissent à l’écoute des messages anxiogènes à la radio, comme la présence de terroristes sur le toit. A postériori, on sait qu’il s’agissait des gens du RAID. C’est là que l’on commence à se dire qu’il faut peut-être faire attention, qu’il faut peut-être longer les murs et que l’on prend conscience qu’il y a peut-être encore des terroristes.

Au bas du Bataclan, il y a déjà des morts. Nous allons récupérer des gens encore vivants qui ont rampé depuis la salle jusqu’à l’extérieur. Nous n’avons aucun matériel médical, alors nous prenons des barrières Vauban devant le Bataclan pour transporter les victimes jusqu’aux secours. On fait des allers-retours sans arrêt à partir de 22 heures 30.

On dépose des victimes dans la rue Oberkampf, au début dans des halls d’immeuble, et à mesure qu’on avance et que l’on fait des allers-retours, les halls sont pleins, donc on finit par les déposer sur le trottoir. Une fois que tous les blessés à l’extérieur et dans le hall du Bataclan sont secourus, on finit par entrer dans la salle. Là, c’est une vision apocalyptique. Il n’y a pas de lumière claire mais seulement des spots. On voit des enchevêtrements de corps, énormément de sang, du verre brisé au sol, une odeur assez prégnante, métallique de sang. On cherche des personnes vivantes. On les porte à deux sur des barrières Vauban. Une barrière Vauban, c’est déjà lourd, mais avec une personne dessus, c’est compliqué...

On continue les allers-retours rue Oberkampf. Les secours ne peuvent toujours pas intervenir à l’intérieur de la salle parce que la zone n’est pas sécurisée. Même si la BRI est là depuis 22 heures 30, on ne sait toujours pas si les terroristes sont encore là. Certains blessés lèvent les bras. Plusieurs sont enfouis sous des personnes déjà décédées. Certaines victimes sont inconscientes, d’autres poussent des hurlements de douleur. Elles souffrent le martyr. J’ai vraiment vu des plaies affreuses, notamment une femme défigurée. A chaque fois, dans les plaies, on voyait les os saillir.

Ce sont des blessures auxquelles nous ne sommes pas habitués. J’avais déjà vu des blessures par arme blanche ou par arme à feu mais jamais de ce type là : des blessures de guerre, des trous béants dans les membres ou les visages. A certains moments, on entend sur les ondes qu’il y a peut être des terroristes qui déambulent dans les rues à pied. Ça aussi c’est très anxiogène. Même si on se focalise sur le secours à victime, l’idée nous traverse qu’un terroriste peut apparaitre au bout de la rue pendant qu’on transporte un blessé...

On évacue des blessés jusqu’à ce que la BRI nous indique que l’assaut est susceptible d’être donné. On quitte alors la salle qui à ce moment là ne comporte plus de personnes blessées dans la fosse. Il ne reste que les morts.

Une fois l’assaut terminé, j’essaie de coordonner l’afflux des otages qui sortent un peu de partout. D’abord des gens qui viennent du rez-de-chaussée, accompagnés de la BRI. Ils sont contraints de traverser la fosse. Ils poussent des hurlements devant la scène d’horreur, tous ces corps dans tous les sens, des membres, du sang. Ensuite on fait venir des échelles de pompiers pour faire sortir les gens qui sont à l’étage par une fenêtre directement dans la rue pour ne pas les confronter au spectacle de la fosse...

Certains blessés sont treuillés par des cordages parce qu’ils ne sont pas en capacité de descendre seuls l’échelle. Ensuite un flot de personnes descend par les échelles. On essaie de coordonner les choses : on instaure un premier périmètre où on les palpe pour vérifier qu’ils ne sont pas piégés ou qu’il n’y a pas de terroriste parmi eux. La plupart des gens sort déjà avec les mains en l’air, ils sont tous hagards, on sent une peur profonde. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, ils sont dans une terreur absolue ... On essaie de les tranquilliser, mais on sent qu’ils vont avoir besoin de temps pour se rendre compte qu’ils sont en sécurité. Ensuite on les regroupe par 10- 15 avant de les envoyer vers les secours Le plus difficile, c’est d’être confronté à des otages, des parents, des enfants, qui nous disent « mais il y a encore mon père, il y a encore mon fils à l’intérieur» pour ceux qui n’ont pas eu la chance de sortir avec leurs proches. On ne peut pas leur dire « oui, on va les chercher ». Mes effectifs ont eu ce type de demande avant même la fin de la fusillade, et ils se sont sentis terriblement impuissants. C’est dur à gérer psychologiquement.

Ce qui restera toujours en moi, c’est la sonnerie des portables qui vibrent sur les morts. Rétrospectivement, j’éprouve une intense fierté d’avoir été aux côtés de policiers du quotidien qui se sont dépassés pour secourir les victimes d’un attentat."

Attentats 13-11 3ème arrondissement