Christophe Molmy, commissaire divisionnaire, chef de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) à la préfecture de police de Paris

Christophe Molmy, commissaire divisionnaire, chef de la BRI à la PP de Paris
9 novembre 2016

À 21 heures 47, je reçois un sms d’un ami qui me dit qu’il y a des tirs dans Paris. L’addition « explosion à Saint-Denis et tirs dans Paris », je sais qu’il faut y aller. Nous sommes une quinzaine de FIR à partir. 

Il y a une telle confusion sur l’endroit où on doit aller et bien que nous soyons équipés, on préfère repasser au 36. C’est au cœur de Paris, de là on peut rayonner partout. On s’y équipe en boucliers puisqu’on sait qu’au Stade de France les terroristes étaient porteurs de gilets explosifs.

Quand on arrive au Bataclan, des effectifs de la BAC sont déjà présents. On arrive huit minutes après eux. Ils sont intervenus à deux avec un courage remarquable et ont tué le premier terroriste.

Ils ont fait quelque chose d’extraordinaire. C’est eux qui font cesser les meurtres. On les relève. Je leur demande où on en est. « On ne sait pas, on se demande s’ils ne sont pas partis ». On ne sait rien, on ne sait pas si ils sont là, il n’y a pas un bruit. Il y a une image qui est terrible, qui ne me quittera jamais : il y a les morts, les blessés, et des centaines de personnes couchées, qui n’osent plus bouger. Le premier réflexe en voyant tant de corps est de me dire « ils n’ont pas pu tuer autant de personnes en si peu de temps, c’est impossible ». Il y a peut-être plus de 400 personnes par terre. Ensuite on comprend parce qu’il y a quelques personnes qui chuchotent. On sait maintenant que dès qu’un portable sonnait ou même vibrait, les terroristes lui tiraient dessus. Les gens levaient la main, ils tiraient.

Donc les gens étaient aplatis, ils osaient à peine respirer et lever la tête. Sans compter que pour certains, nous voir arriver en noir et avec des fusils d’assaut, c’était anxiogène. La deuxième FIR arrive dix minutes après nous. Comme il n’y a pas de coup de feu, pas un bruit, qu’on ne sait pas si les terroristes sont là, il faut prendre du temps parce qu’ils peuvent avoir laissé des dispositifs explosifs, avoir piégé des otages, morts ou vivants, et surgir d’un coin et nous sauter dessus. C’est pour ça, même si c’est une décision difficile, qu’on se doit de dire aux services d’urgence -pompiers, SAMU- « ne rentrez pas », alors qu’il y a des blessés. Mes hommes qui ont tous une formation médicale et un équipement d’urgence prodiguent des premiers soins au fur et à mesure. Ce sont des scènes de guerre. On progresse avec un dépiégeur d’assaut, très lentement parce que chaque fois qu’une personne se lève ou vient vers nous, on la stoppe et on lui demande de nous montrer ses mains et de lever son tee-shirt. Il faut vérifier que ce n’est pas un terroriste qui se fait passer pour un otage.

On met 20 minutes à une demi-heure à vider le bas, secteur par secteur. Dès qu’on ouvre une porte on découvre quinze personnes tassées derrière, il en sort des faux plafonds, de sous les tables, il y en a partout.

Ensuite il s’agit de monter à l’étage, sans savoir ce que nous allons y trouver. Il est 22 heures 45 environ. Le RAID nous a rejoints, je lui demande de prendre position près de la scène qui a déjà été sécurisée. Nous devons être 59 opérateurs en tout au Bataclan en plus d’une vingtaine qui composent les PC, mettent en place la bulle tactique (environnement wi-fi, vidéo, gestion des communications 4G) et des négociateurs. Je fais deux colonnes BRI de 20 hommes, pour aller à l’étage de chaque côté du couloir.

Là aussi cela prend du temps parce qu’il y a là encore énormément de personnes cachées un peu partout. Aux environs de 23 heures 15, on arrive vers la porte derrière laquelle les terroristes sont retranchés. Ils nous entendent et font hurler un des otages : « Reculez ! ».

L’otage nous dit qu’ils sont une vingtaine d’otages, qu’il y a deux terroristes avec des kalachnikovs et des gilets explosifs, et qu’ils seront tués si on avance. Donc on arrête de progresser mais on ne recule pas. Au bout de quelques minutes, à la voix, on demande un numéro de portable pour pouvoir parler aux terroristes. Un otage nous hurle un numéro de téléphone. Le négociateur de la BRI, Pascal, appelle. Au ton, aux mots, il a tout de suite l’impression que les terroristes viennent de Syrie.

Ils n’ont pas d’accent, sont un peu énervés et agressifs mais pas dans un état de panique. Ils revendiquent leurs actes en se déclarant soldats du califat et vouloir se venger : « Vous tuez nos femmes et nos enfants ». Ils disent avoir des requêtes mais demandent seulement que la BRI recule. Le négociateur a le sentiment qu’ils ne cherchent finalement qu’à gagner du temps. Il y a cinq appels en tout mais rapidement, le négociateur m’indique qu’il n’y aura aucune négociation possible. Je vais donc voir le préfet de police et lui demande l’autorisation d’agir tout de suite parce que les terroristes sont très instables et que cela va dégénérer. Le préfet de police me donne immédiatement le feu vert.

Intimement, je redoute l’issue de cet assaut, parce que c’est un couloir, c’est la pire des configurations. On sait qu’en poussant la porte il y aura les otages au milieu et les terroristes derrière. On constitue la colonne. Les deux premiers de colonne poussent la porte, derrière le bouclier sarcophage, et  le premier de la colonne essuie immédiatement les rafales des terroristes. Le bouclier a 27 impacts, mais il y en a je ne sais combien dans les plafonds, dans les murs, ils ont vidé plusieurs chargeurs. C’est très violent, le bouclier a même été tordu. Heureusement, et on avait compté sur ça, ils tirent à hauteur d’homme et les balles passent au-dessus des otages qui sont sur les côtés de la pièce, par terre. Mentalement un terroriste ne peut pas en même temps nous affronter et s’occuper de tuer des otages. Il se sent agressé et se défend. On dépasse les otages, on les lève, on les tire comme une chaîne humaine pour les passer à la deuxième colonne placée derrière. On avait constitué une seconde colonne prête à nous renforcer. Et derrière cette seconde colonne les médecins prennent en charge les otages. Quand tous les otages sont sortis, on avance. On lance des grenades et on effectue quelques tirs pour faire reculer les terroristes. A un moment, le bouclier tombe.

Le premier de colonne se retrouve sans protection. Il aperçoit une ombre et tire. Il touche un des terroristes qui tombe et déclenche sa ceinture explosive. Le deuxième terroriste est soufflé par l’explosion.

Emotionnellement ça a été dur. A la BRI personne n’est blasé. Les félicitations me mettent mal à l’aise. Au Bataclan, on a pataugé dans le sang et on est passé au dessus de 90 corps. 90 corps. C’est un charnier. Alors même si on n’est évidemment pas responsable, on n’arrive pas à seulement se satisfaire d’avoir libéré les otages sans qu’un seul soit blessé. Il y a eu trop de morts.

Bien sûr qu’on est touché. La majorité des gens qui étaient par terre étaient des mômes de 20-25 ans. Mais ça, on n’en prend conscience qu’après. Quand on arrive et pendant toute l’intervention, on est tellement concentré, on n’a pas le loisir de s’ouvrir à l’émotion. Inconsciemment on est cadenassé. Mais une fois que c’est fini, vous avez d’un coup une prise de conscience. L’odeur de sang frais. La violence. Mes hommes ont payé dans leur chair (un blessé grave au Bataclan), ils ont payé dans leur famille. C’est très dur pour les familles. Quelques épouses, quand leur mari est rentré, leur ont dit « tu n’y vas plus, je ne veux plus vivre ça ». Et pourtant, ils y retourneront tous."

Les zones de compétence des forces d’intervention

La brigade de recherche et d’intervention (BRI) est compétente pour les interventions dans Paris intra-muros, le RAID dans les autres zones urbaines et dans les gares, et le GIGN en milieu rural et dans les aéroports. En fonction de la dimension de la crise, ces unités peuvent mutuellement se renforcer quelle que soit la zone concernée. La BRI présente la particularité d’être à la fois une unité d’intervention et d’investigation judiciaire.

FIR : force d’intervention rapide créée à la suite du braquage Cartier sur les Champs-Elysées : en journée, un groupe reste équipé en permanence et peut être projeté immédiatement, en moto, en voiture ou en bateau avec la brigade fluviale ; la nuit et le week end, une équipe emporte chez elle l’équipement lourd pour pouvoir partir de son domicile déjà équipée.