Denis Safran - Médecin-chef de la BRI, conseiller santé auprès du ministre de l’Intérieur et du préfet de police

Denis Safran - Médecin-chef de la BRI, conseiller santé auprès du ministre de l’Intérieur et du préfet de police
9 novembre 2016

"Vendredi soir, prévenu par un ami qu’il se passe quelque chose dans Paris, j’appelle la permanence du préfet de police. Ce qui me frappe, c’est que la permanence ne répond pas. Les lignes sont débordées, ça veux dire que c’est grave. Mon Bip sonne, confirmant l’inquiétude : « retour service »... Le médecin de permanence arrive aussi au 36, nous sommes deux médecins de la BRI prêts à intégrer les deux colonnes d’assauts.

En arrivant au Bataclan, une femme mourante sur le trottoir, parmi d’autres, me demande de l’aide, je la confie à un médecin du Samu pour pouvoir suivre ma colonne. Dans le hall du Bataclan il y a aussi des morts, du sang partout, les portes vitrées cassées. Le chef de colonne me dit : « on va avancer, ne bouge pas de là ». C’est vrai que l’objectif est que le médecin ne soit pas tué tout de suite... Je vois dans la salle du Bataclan plein de morts, et dans la fosse, des dizaines de gens enchevêtrés les uns dans les autres, criant, appelant à l’aide.

« Le premier objectif est de les faire sortir sans qu’ils ne se fassent canarder »

Le premier objectif est de les faire sortir sans qu’ils ne se fassent canarder, car on entend tirer à l’étage. Les valides passent, puis les blessés traînés par leur copains. Je fends les  jeans, tee-shirt, vestes, et découvre les blessures par balles. Si ça ne saigne pas, c’est une hémorragie interne et ils sont en train de mourir. Si ça saigne, je fais une compression, mais très vite je n’ai plus de pansements compressifs. Alors j’utilise les tee-shirts que je roule en boule.

Tant que le Bataclan n’est pas encore en zone sécurisée on ne peut pas faire entrer les pompiers. Et nous n’avons pas de civière pour évacuer les blessés. Alors on utilise un stock de barrières « vauban ». Avec le médecin du Raid, nous organisons les sorties en faisant le tri en fonction de ceux qui sont « sauvables » ou non.

Je suis en permanence en liaison radio avec la colonne d’assaut. Grâce aux oreillettes, j’entends les ordres, des tirs, des explosions, et je me dis que je devrais être auprès de mes collègues. Quand les pompiers entrent s’occuper des victimes, je rejoins ma colonne à l’étage. Un policier de la BRI est blessé à la main mais a été évacué. J’apprends que les terroristes sont morts. Dans le réduit où étaient les otages, je regarde s’il n’y a pas d’autres blessés au milieu des morceaux de terroristes.

Beaucoup d’otages sortent par une fenêtre donnant sur un toit en zinc. Depuis ce toit nous les faisons entrer par une fenêtre dans une autre pièce, fermée à clé par une porte blindée. Il faut absolument évacuer les gens de cette pièce, mais on ne sait toujours pas si le bâtiment est piégé ou pas...

Une échelle de pompier est installée pour sortir dans la rue par la fenêtre, mais beaucoup refusent d’abord, car il faut enjamber le balcon au dessus du vide et ils ont peur. Certains sont en incapacité de se tenir aux barreaux, blessés aux membres inférieurs ou supérieurs. Avec les pompiers nous les descendons à l’aide de harnais.

Je retourne à l’intérieur du Bataclan pour m’assurer qu’il n’y ait pas encore de vivants sous les morts. Des gens continuent de sortir des plafonds, d’une porte, de quelque part...

Je rentre au 36. Puis chez moi vers 6 heures. Alors, je réalise. En constatant l’ampleur des dégâts sur mes vêtements et mes chaussures."