Une frontière franco-suisse tellement présente

Une frontière franco-suisse tellement présente
1 avril 2016

Le Doubs compte près de 170km de frontières communes avec la Suisse et entretient une collaboration soutenue avec son voisin depuis le 19 e siècle. Cette influence  transfrontalière n’est pas sans effet de part et d’autre...


« Une grande tradition de travail avec la Suisse existe dans le Doubs depuis le 19e siècle. A l’époque, un certain nombre d’éleveurs français travaillaient le soir venu sur des montres ou des bouts de montage de montres au profit des Suisses. Cette relation n’a jamais cessé d’évoluer. » Raphaël Bartolt, préfet du Doubs, remonte ainsi aux sources d’un phénomène qui prend aujourd’hui une ampleur considérable. Alors qu’ils étaient 10 000 en 1999 ou encore 16 000 en 2005, ce ne sont pas moins de 32 000 travailleurs français qui franchissent quotidiennement la frontière pour travailler côté suisse, notamment dans les  secteurs de l’horlogerie et de la micromécanique.

Une réalité qui s’explique par l’attrait de salaires nettement supérieurs à ceux pratiqués en France, mais qui génère son lot de complications. « Cette explosion de l’emploi frontalier a eu comme principale conséquence de modifier les conditions de mobilité, souligne Thierry Brunet, chargé de mission sur les relations transfrontalières au Sgar de Bourgogne-Franche-Comté. L’impact sur les points de passages frontaliers a été considérable, notamment sur des routes non prévues pour accueillir une telle affluence, de même qu’à Pontarlier, où de gros embouteillages ont lieu chaque jour. »

travailleurs-frontaliers

Axe majeur : la gestion des déplacements

La gestion des transports et des déplacements est donc un défi majeur pour les deux pays, incarné dans la stratégie de  coopération transfrontalière de l’Arc Jurassien. « La présence de l’État dans cet « Arc » lui permet de faire entendre sa voix et de mobiliser ses services en coopération transfrontalière, poursuit Thierry Brunet. Ainsi, notre approche n’est pas séparée d’un côté ou de l’autre de la frontière mais repose sur une vision macro-territoriale. »

De nombreux projets sont ainsi portés concomitamment par les deux pays voisins : développement du co-voiturage, amélioration des transports en commun, schéma de mobilité dans l’Arc Jurassien, restauration de ponts ou de routes dans des zones montagneuses protégées, interconnexion entre réseaux ferrés...

« Au-delà des travailleurs frontaliers, il y a également les ressortissants suisses qui viennent faire leurs achats en France, explique Bruno Charlot, sous-préfet de Pontarlier. Ils apportent un poids économique important côté français. Pontarlier est doté d’une zone commerciale que l’on trouve habituellement dans une ville de 120 000 habitants, alors qu’on y compte que 20 000 habitants ! » Pontarlier est également devenu la zone où le revenu moyen est le plus élevé du département. »

L’influence des Français transfrontaliers ou des Suisses immigrés dans le Doubs entraîne des problématiques d’aménagement du territoire, avec des coûts de l’immobilier en hausse constante, un étalement urbain conséquent, une prolifération de petits lotissements... « Des maisons achetées par des frontaliers ne rentrent pas dans les prix du marché français. A tel point que si l’un des deux membres d’un couple perd son emploi en Suisse, il lui sera très difficile ensuite de continuer à payer les traites mais aussi de revendre son bien..., » appuie Thierry Brunet.

Un riche patrimoine culturel commun

Autre dossier partagé : le tourisme. Le riche patrimoine culturel et naturel de cet espace de coopération offre un réel potentiel pour renforcer la valorisation en commun de ce territoire. « Le tourisme est effectivement une des pistes les plus abouties, continue le représentant du Sgar. La France enregistre plus de nuitées que la Suisse, sans doute grâce à l’importance et aux structures adaptées au ski de fond. Le potentiel à valoriser est conséquent. A titre d’exemple, la route de l’absinthe a pour objectif la mise en réseau de la filière franco-suisse et la mise en valeur d’un patrimoine commun. Nous allons donc développer cette « route » avec la Suisse avec des actions de promotion afin de  sensibiliser l’ensemble des acteurs de la culture et du tourisme des deux côtés de la frontière. » Et il en est de même avec les routes du sel, activité historique du territoire, le chemin des bornes, permettant d’organiser des randonnées pédestres...

Et le préfet du Doubs de  conclure : « Les sujets de coopération avec la Suisse sont nombreux et variés. Nous avons par exemple lancé début décembre 2015 la ligne Delle-Belfort, qui permet aux  Suisses de venir se raccrocher au TGV français. Ce fut un gros investissement de 120 millions d’euros inscrit au contrat de plan mené avec la Suisse.

Cette collaboration transfrontalière est plus que jamais importante pour le Doubs »

Richard Wawrzyniak

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Le délégué à l’abornement : un métier mal connu

Cette mission du ministère de l’Intérieur est quelque peu méconnue, mais entretenir les frontières physiques de la France ne constitue pas seulement un symbole : la France se définit en effet en droit international par ses limites territoriales. La délimitation des frontières entre la France et la Suisse et leur entretien résulte de conventions entre les deux pays, qui fixent les compétences réciproques. En France, c’est le délégué à l’abornement qui est chargé de l’entretien et du relèvement des bornes, de leur  emplacement lorsqu’elles sont abimées.
Le délégué doit connaître précisément l’emplacement des différentes bornes disséminées le long de la frontière et l’état de chacune. L’abornement peut se révéler déterminant, lors de catastrophes aériennes par exemple, afin de savoir de quel côté de la frontière un crash s’est produit, et donc qui va organiser et coordonner les opérations de secours.

R. W

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La suisse, un voisin trop attractif ?

Bruno Charlot, sous-préfet de Pontarlier, livre son analyse sur la question de l’impact du transfrontalier dans son arrondissement :
« L’attractivité de la Suisse est telle que l’on voit arriver dans le Haut-Doubs des gens d’autres régions de France qui viennent s’y implanter dans l’espoir d’avoir une chance de l’autre côté de la frontière. Cette population « rapportée » commence à peser  électoralement mais aussi dans la vie quotidienne car ces personnes ne sont pas forcément habituées à vivre à 900 mètres d’altitude, à avoir des problèmes de neige plusieurs mois dans l’année et se tournent vers le maire pour se plaindre de ces désagréments. Et tout cela commence à jouer dans le paysage avec une population non imprégnée de la vie locale. Mais il ne faut pas omettre la réalité des travailleurs frontaliers : les temps de trajets sont très longs, le coût de la protection sociale est à la charge du salarié, le temps de travail hebdomadaire tourne autour des 45 heures, les entreprises suisses n’ont aucun état d’âme par rapport aux travailleurs français assimilés à une main d’œuvre d’ajustement... On a coutume de dire que « si la Suisse s’enrhume, c’est tout le Haut-Doubs qui tousse ». Le nombre de travailleurs transfrontaliers est si important que la Suisse a voté par  référendum en 2014 la fixation de quotas d’immigration et de limitation des travailleurs frontaliers. Mais elle n’a toujours pas adopté les textes d’application. La Suisse a toujours aujourd’hui un besoin vital des travailleurs Français. »

R. W

Une plate-forme opérationnelle transfrontalière

La COT 25 (coopération opérationnelle transfrontalière du Doubs) est un groupe mixte d’analyse et de travail au niveau régional. « Plus de 2000 gendarmes, policiers, douaniers et gardes frontières français et suisses se réunissent régulièrement pour planifier des actions d’envergures communes entre le département du Doubs, le territoire de Belfort, les cantons de Neuchâtel et du Jura, explique le Commissaire divisionnaire Desferet, directeur départemental de la sécurité publique du Doubs. Il intervient en appui du CCPD (centre de coopération policière et douanière) de Genève et de l’attaché de sécurité intérieure de l’ambassade de France à Berne. » Les moyens spécialisés des différents services sont prêts à intervenir en situation d’urgence ou de catastrophe : équipes cynophiles, spécialistes de la fraude documentaire, hélicoptères, véhicules rapides d’intervention, ou encore le poste de commandement mobile installé à l’aéroport des Eplatures qui coordonne l’engagement des moyens répartis sur les 80 kilomètres de frontière.
« L’objectif est de mieux communiquer entre les partenaires de la sécurité de l’Arc Jurassien, d’identifier les tendances criminelles, et de coordonner nos efforts sur des opérations conjointes comme par exemple les dispositifs de recherche et de bouclage », indique le commissaire Desferet. L’échange d’information et la mutualisation des moyens est en effet l’une des réponses des forces de l’ordre face à la criminalité organisée et itinérante en zone frontière.

F. B.