À la table d'un jury d'oral

À la table d'un jury d'oral
25 août 2016

La sélection des candidats touche à sa fin alors que se profile l’épreuve tant redoutée : le passage à l’oral devant les quatre membres du jury. Qui compose ces jurys ? Comment les candidats sont-ils évalués ? Quel est le rôle de la psychologue ? Immersion à la table d’un jury…


À partir du 2 mai 2016, les candidats d’Ile-de-France ont quitté survêtements et baskets, pour se retrouver au centre régional de formation à Vincennes. Mis sur leur 31, ils sont convoqués pour passer en préambule le test questions-réponses interactif, consistant à répondre à l’aide d’un boîtier à une série de 40 questions basées sur l’observation, dans le même esprit que le code de la route.

Ils attendent désormais leur tour pour se présenter devant le jury d’oral. La tension est à son paroxysme, tout se joue en cet après-midi printanier. Les candidats se succèdent face au commissaire divisionnaire Christophe C., président du jury, Martine Le C., major, Stéphane P., commandant à la préfecture de police, et Clémence C., psychologue. La parité doit être respectée dans la composition du jury.

Avant d’entendre un candidat, le président du jury lit son CV et sa lettre de motivation. Le prochain candidat est un jeune sapeur-pompier. Sa prose est claire, bien écrite, dans un langage soutenu et avec des motivations argumentées. La psychologue analyse ensuite à haute voix les résultats du test psychométrique passé quelques semaines plus tôt. « Il affiche un très bon  profil avec de fortes capacités intellectuelles, une confiance en lui raisonnable, sans être dans l’excès, une forte sociabilité, de la rigueur, un respect des lois important, une bonne implication professionnelle et un dynamisme élevé. Il a selon moi le profil-type… »

Commissaire C. :
« Asseyez-vous Monsieur et expliquez-nous pourquoi vous souhaitez devenir gardien de la paix ? »

Le candidat s’installe face aux quatre membres du jury. Sa présentation est claire, dense, d’un très haut niveau, en venant même à citer les noms des différents directeurs centraux de la Police nationale : DCSP, DGSI, DCPJ…

- Comment avez-vous préparé cet oral ?
- Je me suis entraîné avec mes supérieurs, mes proches, ma compagne.

Le jury semble apprécier et cherche à aller plus loin :

- Pensez-vous avoir fait le tour des activités du corps des sapeurs-pompiers ?
- J’ai besoin de passer du secours aux personnes, qui est selon moi en aval du spectre, à la lutte contre la délinquance, pour affronter les problèmes à leur base.

Les questions s’enchaînent à un rythme soutenu : perspectives professionnelles dans la police, passions, actualités, réflexion sur l’hostilité de certains à l’égard des forces de secours et de sécurité… Solide, le candidat ne se démonte pas, il fixe ses examinateurs lors de chacune de ses réponses.

Le président du jury conclut l’entretien : « Monsieur, si nous ne devions choisir qu’un candidat. Pourquoi vous ? »

Après une dernière prise de parole, le candidat quitte la salle. Le jury est conquis par sa prestation.

Chaque juré inscrit à tour de rôle sa note sur la fiche d’évaluation. La moyenne des quatre aboutira à une très bonne note !

Suit une diplômée de maîtrise de droit.

La psychologue : « Le profil est sensiblement différent du précédent. Elle affiche des capacités intellectuelles extrêmement élevées, mais une nette fragilité psychologique cumulée à des capacités relationnelles peu développées, un manque évident de confiance en elle et une forte anxiété. »

L’échange avec le jury confirmera en quelques minutes l’analyse de la psychologue. Sa présentation est confuse. On la sent submergée par le stress. Interrogée sur les grades de la Police nationale, elle semble perdue, bégaye, hache ses réponses de silences pesants. Après quinze minutes d’échanges, les jurés décident de mettre les pieds dans le plat en passant à des mises en situation :

- « Imaginons que vous êtes en patrouille avec deux ADS et que l’un d’eux refuse de vous obéir. Que faites-vous ? Continuez-vous la mission ?
- J’en réfère à ma hiérarchie.

- Un individu vous crache dessus et vous insulte. Que faites-vous ? Aucune réponse.
- Quelle serait votre approche si vous vous trouviez confrontée à une bagarre entre deux individus ? Aucune réponse.
- Une femme a-t-elle été déjà ministre de l’Intérieur ? » De nouveaux silences de la part de la candidate, désarçonnée, qui en disent long…

Le bilan est sans concession. « Une personne qui affiche autant de fragilités, qui ne sait pas prendre de décisions, qui ne s’affirme pas, on ne peut clairement pas la retenir, analyse le président du jury. L’importance de cet oral est aussi de protéger les candidats. Nous avons une expérience de ce métier, de ses contraintes, et nous savons qu’il n’est pas anodin. » La candidate se voit attribuer une note éliminatoire.

« Nous ne pouvons pas nous permettre de faire un recrutement « au rabais ». Il est hors de question de mettre des futurs collègues en danger car nous nous serions trompés dans notre sélection. »

À l’issue des entretiens, l’intégralité des notations est récupérée par les représentants du bureau du recrutement. « Le médecin-chef du ministère va ensuite se prononcer sur les candidats reçus à l’issue d’une visite médicale et nous envoyer uniquement sa décision : aptitude ou inaptitude, souligne Francis G., chef du bureau du recrutement de la PP. Si l’aptitude est déclarée, les agents de mon service vont ensuite procéder à la vérification de moralité du candidat. Les services spécialisés nous annoncent s’il est connu ou inconnu des services de police et/ou de gendarmerie. Tous les candidats font l'objet d’une enquête de personnalité et sont convoqués par le service territorial de renseignement compétent qui émet à son tour un avis. »

Bien que le concours ait été allégé, avec deux épreuves supprimées par rapport au processus habituel, et établi dans un calendrier restreint, Francis G. estime que « le candidat qui sera ou non sélectionné verra, énormément d’intervenants aptes à estimer son profil : bureau du recrutement, médecin, jury d’oral, psychologue, enquête de moralité. Tous ces acteurs contribuent à sécuriser ce recrutement exceptionnel ».

Une analyse appuyée par le commissaire Bruno G., chef du département recrutement et égalité des chances de la DRCPN : « Recruter nos policiers de demain est un enjeu trop important pour ne pas s’assurer de la bonne qualité des personnes retenues. Il existe un réel savoir-faire partout en France pour faire fonctionner ce type de recrutement ».