La renaissance d’un bassin

2 avril 2015

Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais a fourni à notre pays pendant deux siècles l’énergie fossile indispensable à son développement industriel. La fermeture de la dernière mine à Oignies en 1990, marquant la fin de l’extraction minière, a été vécue comme un drame humain et économique. État, collectivités locales et acteurs économiques et sociaux se sont mobilisés pour redynamiser ce territoire, autour notamment de deux projets majeurs : l’ouverture du Louvre-Lens et la valorisation du patrimoine du bassin minier, concrétisée par son inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.


Un musée mythique au cœur de l’ancien bassin minier

Le Louvre-Lens © MI/SG/Dicom/J.Rocha

L’annonce en a surpris plus d’un. Quand, en 2004, Jacques Chirac, alors président de la République, choisit Lens parmi les villes candidates pour l’accueil d’un « second » musée du Louvre, certains y voyaient un remake du mariage de la carpe et du lapin. Que pouvait-on espérer de cette union entre le musée le plus prestigieux au Monde et la cité emblématique d’un territoire industriel encore meurtri par la fermeture des mines de charbon ?

Le 12 décembre 2012, date d’ouverture au public, marquera pourtant le début d’une véritable « success story ». « Ce pari exceptionnel et ambitieux était loin d’être gagné d’avance, confie Pierre Clavreuil, le sous-préfet de Lens, tant le projet était innovant et décalé dans sa conception, sa pratique et la façon de présenter les œuvres. Beaucoup pensaient que la greffe n’allait pas prendre dans ce territoire industriel et que la fréquentation resterait très faible. Même les Lensois n’osaient y croire, à tel point que le jour de l’ouverture du musée, de nombreux restaurateurs n’avaient pas ouvert leurs portes malgré nos recommandations ».

36 000 personnes se rendront pourtant au musée ce jour-là. Un succès qui depuis n’a jamais été démenti, comme l’indique Catherine Ferrar, l’administratrice générale du Louvre-Lens : « le musée a accueilli un million de visiteurs lors des 13 premiers mois, et la fréquentation annuelle devrait tourner autour de 550 000 visiteurs ».

Le territoire est aujourd’hui engagé dans une nouvelle aventure culturelle avec l’arrivée programmée des réserves du Louvre en 2018 qui, comme le précise Pierre Clavreuil, « fera de Lens la plus grande concentration d’œuvres d’art au Monde ». « Ces réserves sont aujourd’hui sous le musée de la rue de Rivoli, en zone inondable, explique Catherine Ferrar. Il était indispensable de les transférer. Le choix s’est porté sur Lens qui abritera donc 300 000 objets d’art ».

Un territoire à la relance

Carreau de fosse © MI/SG/Dicom/J.Rocha

L’arrivée du Louvre à Lens fut loin d’être un événement anodin pour les pouvoirs publics. « Accueillir autant de visiteurs nécessite forcément un investissement particulier de la part des services de l’État, en matière d’organisation, de sécurité ou de gestion des flux notamment », souligne Pierre Clavreuil, sous-préfet de Lens.

Mais l’implication de l’État ne se résume pas à cette gestion pratique au quotidien. « Le Louvre a permis à l’État et aux collectivités locales d’engager une profonde réflexion, avant même son ouverture, sur l’avenir de ce territoire en reconversion depuis plus d’une vingtaine d’années ». Tous les acteurs ont rapidement compris l’opportunité de cet outil unique en matière de retombées économiques, sociales, culturelles, urbanistiques et touristiques, non seulement pour la ville de Lens, mais surtout pour l’ensemble de l’agglomération, soit 575 000 habitants. Cette volonté s’est concrétisée dans la création d’Euralens en 2009, à l’initiative du président du conseil régional. L’association regroupe aujourd’hui les collectivités locales (région, département, communautés d’agglomération, communes), des entreprises, des associations et la mission bassin minier du Nord-Pas-de-Calais « qui joue un rôle essentiel, en apportant notamment son expertise sur les volets urbain et économique, ainsi que pour l’évaluation de la démarche », explique Bernard Masset, délégué général d’Euralens.

Concrètement, Euralens a été voulu comme un forum permettant aux acteurs politiques, économiques et sociaux de se rencontrer, d’accompagner et d’impulser toutes sortes de projets.

« Mais avant tout, souligne Bernard Masset, il s’agissait d’affirmer la centralité de Lens. C’est une donnée importante dans ce territoire qui reste très fractionné, où les communes ont tendance à fonctionner de façon très indépendante ».

Dès sa création, Euralens s’est donné comme priorité de travailler sur l’accessibilité du Louvre-Lens, et au-delà de réfléchir à de nouveaux modes de déplacements pour l’ensemble de l’agglomération. « Pour cela, nous avons fait appel à des spécialistes de renommée internationale, comme le paysagiste Michel Desvigne et l’architecte-paysagiste, Christian de Portzamparc ». Quant aux projets labélisés Euralens, ils sont aussi bien touristiques, architecturaux, urbanistiques que culturels ou sociaux. « le critère commun étant celui de l’exigence qualitative ». Parmi les projets labélisés en devenir, on peut ainsi citer le programme immobilier tertiaire et hôtelier autour de la gare TGV de Lens ou l’aménagement d’un éco-quartier à Liévin. Quant à l’État, s’il n’est pas membre de l’association, son rôle est essentiel. « Nous accompagnons l’association sur ses projets en tant qu’appui et facilitateur », précise Pierre Clavreuil.

Une reconnaissance mondiale pour les mineurs

Le 30 juin 2012, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais était officiellement inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO au titre de paysage culturel évolutif ( 1 )  : selon l’UNESCO, le site témoigne de la recherche du modèle de la cité ouvrière, du milieu du XIXe siècle aux années 1960, et illustre une période significative de l’histoire de l’Europe industrielle. « Cette inscription, fruit d’un travail d’une dizaine d’années, place notre territoire au niveau de Versailles ou du Taj Mahal, se félicite Catherine Bertram, directrice de la Mission bassin minier du Nord-Pas-de-Calais ( 2 ), C’est une reconnaissance internationale de la valeur universelle exceptionnelle de ce territoire modelé depuis plus de trois siècles par les hommes, parfois au prix de grandes souffrances ».

C’est sur la base d’une étude interministérielle sur la valorisation et la mise en réseau du patrimoine minier, menée par la Mission bassin minier pour le compte de l’Etat et de la région, que le dossier de candidature a été monté. « Mais rendons à César ce qui est à César : l’idée initiale en revient à Jean-François Caron, conseiller régional et maire de Loos-en-Gohelle ». L’inscription au Patrimoine mondial ne constitue pas un simple label pour un territoire ( 3 ) . Elle s’accompagne d’une convention qui fixe des devoirs en matière de protection et de conservation des sites, et tout programme de planification et de développement engagé par les pouvoirs publics se doit d’intégrer cette exigence.

La Mission bassin minier a été officiellement désignée gestionnaire responsable de la mise en œuvre du plan de gestion « Patrimoine mondial », en coordination avec les services de l’État ( 4 ) . Ce plan propose un programme d’actions concernant aussi bien la communication et la sensibilisation des habitants que l’ingénierie et l’accompagnement de projets ou le développement du tourisme.

Frank Canton

(1) La France compte aujourd’hui 39 biens inscrits parmi les 1007 biens culturels et naturels de l’UNESCO.
(2) la mission bassin minier est une association loi 1901 créée en 2000 par l’Etat et les collectivités locales. Outil d’ingénierie conçu à la suite d’une décision interministérielle dans le cadre du contrat de plan Etat-Région 2000-2006, la mission présidée par athy Apourceau-Poly appuie la mise en œuvre du programme de restructuration économique, urbaine, sociale et écologique du bassin minier.
(3) L’ensemble du bassin de 120 000 hectares n’est pas inscrit, puisque le périmètre concerné s’étend sur 3943 ha et 87 communes. 17 fosses, 21 chevalements, 51 terrils, 54 km de cavaliers, les gares de Lens, Douvrin, Fresnes-sur-Escault, 124 cités minières, 46 écoles, 26 édifices religieux, 24 équipements de santé, 6 équipements culturels ou sportifs ainsi que trois grands bureaux des compagnies minières y sont inscrits. 
(4) Le président du conseil général et le préfet de région co-président l’instance de coordination qui veille au respect des principes fondateurs de la charte patrimoniale.

Au nord, c’était les corons : La cité minière de Bruay-la-Buissière

En 1852, la Compagnie des mines de Bruay entame le fonçage de son premier puits de charbon. 18 fosses seront ensuite exploitées, réparties sur les sites de Bruay-la-Buissière, Haillicourt, Divion et Houdain. Les ouvriers de la Compagnie sont alors logés dans des corons, juxtaposition d’habitations étroites construites autour des mines et usines. En 1956, l’arrêt de l’activité charbonnière s’organise à l’ouest du bassin minier. Aujourd’hui, Bruay-la-Buissière est à la reconquête de son espace. « Depuis la fermeture des mines, il faut réinventer la vie dans la ville, explique Alain Wacheux, maire de Bruay. Quand on hérite d’une situation comme ça, on a de grandes ambitions urbaines et sociales.» En janvier 2010, Bruay-la-Buissière signait la convention du Programme National de Rénovation Urbaine, financé par l’ANRU (agence nationale de rénovation urbaine), les bailleurs sociaux, la ville, la région, la communauté d’agglomération Arthois Comm, le département, la Caisse des dépôts et consignations et l’Europe. Les enjeux de cette rénovation urbaine dans les nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville sont de trois ordres : les déplacements, l’habitat et les équipements.

« Il faut tout repenser : l’acheminement d’eau, les transports, le centre-ville... », témoigne Éric Sauvage, directeur général des services.

L’objectif de la réforme consiste à restructurer et relier les quartiers entre eux. Les friches industrielles et forestières sont maintenant aménagées et ouvertes sur la ville, et un projet d’éco-quartier est en cours. En termes d’habitat, il s’agit d’apporter au centre-ville une nouvelle mixité sociale en facilitant l’accession à la propriété plutôt que les immeubles collectifs locatifs.

L’action publique vise aussi à renforcer le dynamisme et l’attractivité de la ville et améliorer la qualité de vie au quotidien des 24 500 habitants, en renouvelant notamment les commerces, les services et les loisirs. Olivier Delobelle, chef de projet Rénovation Urbaine, insiste sur les différents enjeux de la réforme : « Les opérations d’aménagement urbain sont aussi une porte d’entrée vers la cohésion sociale, le développement économique et la réussite éducative, préoccupations fondamentales de la ville.»

Floriane Boillot

Cité minière non-rénovée (Corons) © MI/SG/Dicom/E.Delelis

  

Cité minière non-rénovée (Corons)  

Cité minière rénovée © MI/SG/Dicom/E.Delelis

Cité minière rénovée