Entente cordiale autour d’un détroit

31 mars 2015

Point de jonction entre la Manche et la Mer du Nord et entre le Royaume-Uni et le continent européen, le détroit du Pas-de-Calais est l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde et de fait, l’une des plus sensibles en matière de sécurité en mer et dans les ports. Une coopération internationale, notamment entre Français et Britanniques, se révèle indispensable pour sécuriser cet espace particulier.


Incontournable coopération franco-britannique

Coopération franco-britannique © SDIS 62

Si la situation à Calais réclame une coopération étroite et permanente entre Britanniques et Français, « ce dossier se révèle d’une grande complexité », selon Denis Gaudin, sous-préfet de Calais. Le cadre général de la coopération franco-britannique repose certes sur des accords bilatéraux conclus entre Londres et Paris, notamment en matière de contrôles frontaliers ou de sécurité du lien fixe transmanche, mais il est indispensable que les services de sécurité du Kent et du Pas-de-Calais entretiennent des relations suivies afin d’aplanir les différences et renforcer leur efficacité.

« La difficulté principale réside dans le fait que les services concourant à la sécurité, au contrôle aux frontières, à la lutte contre l’immigration irrégulière, et au secours ne sont pas du tout organisés de la même manière de part et d’autre de la frontière. Ils diffèrent non seulement dans leur structures, leurs compétences, leur modes d’action, mais également dans leur philosophie. On peut citer l’exemple des pompiers britanniques avec lesquels nous sommes amenés à intervenir en cas de problèmes dans le tunnel. Contrairement aux Français, ils n’ont pas vocation à faire du secours aux personnes, compétence qui relève des ambulanciers du Kent. De plus, contrairement aux sapeurs-pompiers français, ils n’interviennent sur un sinistre que si la situation ne met pas leur vie en danger. Outre l’exercice binational organisé chaque année dans le tunnel qui nous permet de tester notre complémentarité, nous devons négocier en permanence afin de trouver une procédure conjointe d’intervention. Et fort heureusement, nous y arrivons la plupart du temps ».

Des différences importantes existent également entre les services de police. « Nous devons prendre en compte le fait que la police du Kent est une police locale disposant d’une certaine autonomie par rapport au pouvoir central, et que ses compétences ne sont pas les mêmes que nos services de police  », explique Denis Gaudin. « En matière de contrôle frontalier et de lutte contre l’immigration irrégulière, les services britanniques ont longtemps eu une approche plus administrative que judiciaire, confirme Renaud Bernhardt, directeur départemental de la police aux frontières du Pas-de-Calais. La dimension investigation et recueil de renseignements était quasi inexistante, et la coopération restait de ce fait difficile. Ils ont très récemment procédé à une réorganisation et constitué des unités de police judiciaire spécifiquement chargées de cette problématique. Ce nouveau cadre permet d’améliorer la coopération dans ce domaine. »

Frank Canton

La coopération entre le Kent et le Pas-de-Calais repose sur une structure spécifique mise en place en 2004 et qui se décline en trois niveaux.

  • Le niveau or où sont définies les grandes orientations stratégiques de la coopération locale, relève du préfet du Pas-de-Calais et du chief constable du Kent, le responsable de la police ;
  • Le niveau argent, échelon auquel intervient le sous-préfet de Calais, traduit ces orientations stratégiques au sein de deux groupes de travail, l’un sur la délinquance, la prévention et l’assistance aux victimes, et l’autre sur l’échange d’informations et de renseignements afin d’améliorer l’efficacité des contrôles aux frontières ;
  • Le niveau bronze regroupe les forces de police du Kent et du Pas-de-Calais et traite les aspects plus opérationnels.

« Prévarisc » made in SDIS 62

Prévarisc © MI/SG/Dicom/E.Delelis

Le SDIS 62 est l’initiateur de Prévarisc, un logiciel de gestion des Établissements recevant du public (ERP) succédant aux logiciels ERP 2 et 5. Il permet d’effectuer le suivi de la prévention des ERP, des immeubles de grande hauteur, des établissements à caractère industriel et commercial et des habitations, ainsi que la gestion des commissions de sécurité. Le groupement prévention des risques du SDIS du Pas-de-Calais s’est chargé en interne de sa conception et de son développement :

« On a travaillé pendant 2 ans sur Prevarisc, affirme le colonel Laurent Moreau, directeur départemental du SDIS 62. C’est un dossier qui vient du terrain, il est construit par les utilisateurs, par des préventionnistes. »

Cette base de données a pour ambition d’être partagée avec les préfectures, mairies, conseils régionaux ou encore la police et gendarmerie, pour permettre une harmonisation du fonctionnement des  commissions. « Le maire d’Arras, par exemple, peut utiliser Prévarisc pour avoir des informations sur les exploitants, explique le commandant Matthieu Hanse, chef du groupement prévention des risques. Il  faut qu’il soit informé pour pouvoir agir en temps réel. » D’autres SDIS de France ont testé, approuvé, et se forment à l’utilisation de ce logiciel.

Floriane Boillot

Le SDIS 62 embarqué dans l’aventure du MIRG

En 2012, les services de secours des régions côtières du Royaume-Uni, de la France, de la Belgique et des Pays-Bas ont décidé de mettre en commun leurs connaissances, leurs compétences et leurs moyens afin de répondre plus rapidement et de manière plus efficace aux incidents majeurs se produisant à bord d’un navire croisant près de leurs côtes. « Avec un principe essentiel, précise le colonel Laurent Moreau, directeur départemental du SDIS du Pas-de-Calais, celui d’éviter au maximum l’évacuation de l’équipage et des passagers car il s’agit toujours d’une opération délicate et risquée. L’idéal est de traiter le problème sur place puis de ramener le bateau au port ».

Cette volonté commune a débouché sur la création du MIRG-EU (Maritime incident response group) ( 1 ). Si les services de secours néerlandais portent ce projet inscrit au programme européen INTERREG IV A 2 mers ( 2 ), c’est l’expérience britannique qui sert de référence opérationnelle.

Le partenaire français est, quant à lui, le SDIS du Pas-de-Calais. « Cela peut paraître étonnant, mais nous avons créé une unité feux de navires suite à la prise en compte de cette problématique par le schéma départemental d’analyse et de couverture du risque ». Un simulateur feu de navire a ainsi été installé au centre de secours de Marck-en-Calaisis en 2004, et 300 sapeurs-pompiers ont été formés entre 2007 et 2012. « Répartis dans sept centres de secours, ils sont en mesure d’intervenir sur tout type de navire en eaux intérieures, en zones côtière et portuaire, et également en mer sous l’autorité du CROSS ( 3 ). »

Lancé en 2012 pour une durée de trois ans, le programme MIRG EU en est à sa finalisation. Le manuel des opérations décrivant la composition des unités, les responsabilités de chacun, et les procédures d’intervention, a été élaboré. Les personnels ont également été formés, « 140 issus des quatre pays l’ont été au simulateur de Mark-en-Calaisis, précise Nicolas Leclet, chef du service Channel au SDIS. Parmi eux, 36 sapeurs-pompiers du SDIS sélectionnés pour leur expérience ».

Le 18 juin dernier, un exercice de grande ampleur a été organisé sur un ferry au large des Pays-Bas, afin de tester le MIRG. « Une véritable réussite, selon Laurent Moreau. Le MIRG EU a démontré ce jour-là qu’il était capable de prendre une mission en mer. »

Frank Canton

(1) Le MIRG (Maritime incident response group) : groupe d’intervention en cas d’incident maritime. Le nom reprend celui de l’unité de secours créée en 2006 par les pompiers du Kent pour intervenir sur les navires en cas d’incendie.
(2) Le programme INTERREG IV A des 2 Mers (Manche et mer du Nord) entend favoriser la coopération transfrontalière entre les régions côtières de la France, de l’Angleterre, de la Belgique et des Pays-Bas.
(3) « Le SDIS étant un service terrestre, nous ne possédons pas d’habilitation maritime définitive, précise Laurent Moreau. Avec l’appui du préfet du Pas-de-Calais, de la DGSCGC et du préfet maritime de la Manche, elle devrait nous être accordée cette année ».