Les forces de sécurité intérieure ont, pendant très longtemps, fait face à des rassemblements homogènes, majoritairement déclarés et encadrés. Aujourd’hui, elles sont très souvent confrontées à des mouvements contestataires hétérogènes et mobilisables quasi instantanément. Des groupes ultra prennent place au milieu des cortèges et font usage de la violence comme seul mode d’expression. Un nombre croissant de manifestants n’adhère plus aux règles qui permettaient un exercice codifié et organisé du maintien de l’ordre. Les cortèges régulés et pacifiques doivent composer avec des mouvements de protestation parfois très violents, les membres de la mouvance radicale faisant des manifestations un vecteur de leur action.
A ces évolutions récentes se sont ajoutées l’émergence de nouveaux acteurs dans le domaine de la sécurité, la médiatisation en direct des événements et l’évolution du rapport à l’autorité.
Afin de continuer à garantir les libertés d’expression et de manifestation, les méthodes de maintien de l’ordre ont dû s’adapter pour chercher à réduire les tensions, prévenir les incidents et éviter d’exposer les personnes et les biens face aux provocations et aux violences d’une minorité.
Les événements de l’an passé ont illustré la nécessité de, sans cesse, faire évoluer la doctrine de maintien de l’ordre, autour de trois principes fondamentaux :
- Mieux préparer et anticiper les manœuvres d’ordre public ;
- Garantir l’application pleine et entière du droit ;
- Mieux expliquer et toujours plus communiquer sur le sens de l’action engagée
Mieux préparer et anticiper les manœuvres d’ordre public
Par une mobilisation de tous les capteurs de renseignement et l’association systématique des services de renseignement à la manœuvre d’ordre public
L’anticipation et le suivi des mouvements de contestation passent d’abord par la recherche du renseignement et l’orientation des capteurs qui vont permettre d’évaluer la dangerosité et la sensibilité des manifestations programmées, le volume de participants ou la possible présence d’éléments radicaux. Cela permet ensuite de dimensionner le dispositif.
La présence d’agents des services de renseignement au sein des postes de commandement a été généralisée afin d’éclairer, en temps réel, le commandant des forces sur les intentions des adversaires radicaux.
- Lors des récentes opérations à Notre-Dame-des-Landes, la présence conjointe d’analystes en renseignement de la gendarmerie, du SCRT (service central du renseignement territorial) et de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) au sein du PC opérationnel, ayant un accès direct à tous leurs capteurs techniques et humains, a permis d’anticiper de nombreuses manœuvres adverses (contournements, embuscades, ...), contribuant ainsi directement au rétablissement de l’autorité de l’État.
- Dans la salle de commandement de la DOPC à la préfecture de police, la direction du renseignement est associée à l’ensemble de la manœuvre.
Par la mobilisation des moyens humains et matériels nécessaires pour limiter le recours à la force
Contrairement aux idées véhiculées par nombre d’observateurs, la mobilisation de moyens « forts » est la garantie d’une gestion « douce » : c’est lorsque les forces de l’ordre sont en infériorité numérique que le risque d’un recours excessif et inapproprié à la force est le plus important.
L’engagement d’un important dispositif ne signifie pas qu’il y sera systématiquement fait recours. L’emploi de la force doit s’appuyer sur les principes d’absolue nécessité, de proportionnalité et de gradation.
De la gestion des événements récents, il ressort ainsi que le rapport de forces est déterminant non seulement pour tenir le terrain, mais surtout pour limiter le risque de heurts :
- en zone urbaine, le dimensionnement adapté des dispositifs de maintien de l’ordre permet de contenir un volume de manifestants important et de limiter les risques d’atteinte aux biens ;
- en zone rurale, s’agissant généralement de zones d’action particulièrement vastes, composées de terrains boisés et vallonnés, sur lesquel la manœuvre se poursuit de jour comme de nuit, il est indispensable de dimensionner correctement le volume de forces afin d’éviter toute rupture dans le dispositif et de créer un rapport de force de nature à réduire l’animosité des manifestants, et ainsi à limiter le recours à la force publique au strict nécessaire. C’est la raison pour laquelle 2500 gendarmes, dont 25 escadrons de gendarmerie mobile, ont été engagés lors de l’opération d’évacuation à Notre Dame des Landes.
Au-delà du juste dimensionnement du volume de forces engagées, il est à chaque fois fait recours à l’ensemble de la gamme des moyens d’appui disponibles, avec la seule finalité de limiter les risques d’affrontement :
- À Bure, et lors des récentes manifestations à Paris et Nantes notamment, l’utilisation des canons à eau a permis de limiter les altercations directes entre les manifestants, maintenus à distance, et les forces de l’ordre.
- De la même manière, la manœuvre blindée, d’une ampleur inédite en métropole au cours des dernières décennies, conduite à Notre-Dame-des-Landes, a été une condition essentielle de la réussite des opérations, face à des barricades souvent enflammées et piégées, érigées en nombre par les adversaires.
- En zone rurale enfin, et face au risque permanent d’accro-branchages avec des opposants qui s’installent, parfois sans assurance, sur des plateformes de fortune construites à la cime des arbres, la cellule nationale d’appui à la mobilité (CNAMO) ainsi que les spécialistes des pelotons de montagne ont démontré toute leur efficacité.
Par la prise en compte de la dimension interministérielle des enjeux de terrain avant toute intervention de la force publique
La conduite d’une planification interministérielle très en amont des opérations s’est révélée un gage de succès en ce qu’elle a permis d’aborder ces évènements dans leur globalité :
- Cette pratique nouvelle a trouvé à s’illustrer au niveau central par les opérations d’évacuation à Bure et à Notre Dame des Landes où la cellule interministérielle de conduite de la planification a été activée à intervalles réguliers, très en amont des opérations d’ordre public (dès novembre 2017 pour Notre-Dame-des-Landes). Des représentants de l’ensemble des ministères (armées, justice, transport, énergie, etc.) ont ainsi été associés à la planification et au suivi des opérations, sous la conduite du cabinet du ministre de l’intérieur.
- Au niveau déconcentré, cette méthode a été appliquée pour la gestion des occupations d’université, grâce aux contacts permanents entre préfets, recteurs et présidents d’université, afin de préparer et décider du moment opportun pour procéder aux évacuations, qui se sont toutes déroulées sans aucun incident majeur.
Par la prise en compte du facteur « temps »
La planification et la conduite des opérations d’ampleur menées l’an dernier ont dû intégrer une dimension logistique essentielle.
Ainsi, afin d’approvisionner, d’équiper, de ravitailler, d’héberger, de nourrir une force de 2500 personnels en opération en milieu rural, une manœuvre logistique d’une ampleur singulière a été engagée, lors de l’opération Notre-Dame-des-Landes. Cette chaîne de soutien a œuvré jour et nuit afin qu’aucune rupture capacitaire n’advienne pendant toute la durée des opérations (ex : 1680 remplacements d’effets d’habillement et de protection effectués sur place). Il en a été de même à Mayotte pour accueillir sur l’île, pendant plusieurs semaines, 5 escadrons de gendarmerie mobile.
Garantir l’application pleine et entière du droit
Par une consolidation systématique du cadre juridique de l’intervention des forces de l’ordre
Comme dans toute démocratie, l’action des forces de l’ordre est légitimement soumise aux contrôles de multiples autorités, dont l’autorité judiciaire. Dans un contexte où toute action des forces de l’ordre est susceptible de donner lieu à contentieux administratif, civil ou pénal, chacune des manœuvres d’ordre public a donné lieu à une sécurisation juridique en amont.
- Tel a été le cas avant chaque intervention dans des locaux universitaires, le cadre juridique de ces opérations devant être parfaitement appréhendé et maîtrisé par les forces de l’ordre, préalablement à leur intervention.
- De même, l’évacuation d’une ZAD suppose de respecter un ensemble de prescriptions législatives et réglementaires très complexes : respect de la trêve hivernale, droit de propriété ou de jouissance variable selon chacune des parcelles, code de l’environnement, etc. Ces différentes composantes ont donné lieu à un très important travail préparatoire.
Par l’utilisation, autant que nécessaire, d’outils juridiques appuyant la manœuvre d’ordre public
La zone d’action doit être préalablement « durcie » au plan juridique :
- Un certain nombre d’arrêtés doivent être pris pour limiter les risques de débordement. Ex. : arrêtés préfectoraux d’interdiction de manifester, parfois sur un périmètre limité (cas très particuliers et extrêmement rares, tant à Paris qu’en province. (Exemple : à Bure), d’interdiction de transport d’armes, de matières inflammables ou explosives, ainsi que de matériaux de construction, etc.
- Mise sous astreinte financière des occupants illégaux de certains sites (cf. « Andra » à Bure).
- De la même manière, des opérations de contrôle préventif doivent être réalisées dans un périmètre large autour de la zone de manifestation et sur une partie de l’itinéraire, sous réquisition du parquet pour contrôler les identités, fouiller les sacs et les bagages et in fine saisir l’ensemble des objets dangereux. Cette mesure a par exemple permis lors de la dernière manifestation à Paris, le 28 mai, l’interpellation d’une quarantaine d’individus à la suite de contrôles préventifs. A Notre Dame des Landes, ces mesures ont également été mises en œuvre pour éviter les renforcements de la ZAD venus de l’extérieur. 565 personnes ont fait l’objet de contrôles d’identité, ce qui a permis d’identifier 9 individus fichés « S ».
Par la recherche de l’interpellation ciblée des fauteurs de trouble
Confrontés à des minorités violentes disséminées au sein de groupe de manifestants, les forces de l’ordre doivent désormais intégrer à chaque manœuvre d’ordre public une composante « police judiciaire ».
- L’objectif est de passer d’interpellations de masse à des interpellations ciblées permettant des poursuites judiciaires effectives. Les poursuites pénales d’auteurs des troubles à l’ordre public doivent être facilitées par le recueil de preuves au moyen de mesures de criminalistique, de captations d’image et de témoignages.
- Des officiers de police judiciaire sont désormais directement insérés dans les rangs des unités de maintien de l’ordre, en mesure de matérialiser in situ la commission d’infractions (telles que la participation à un groupement préparant des violences ou dégradations, le port et transport d’armes, la dégradation de biens privés, ou les violences contre personnes dépositaires de l’autorité publique), de désigner les objectifs à interpeller, puis de procéder directement aux premiers actes d’enquête et aux mesures conservatoires sur le lieu de l’opération. C’est ce schéma qui a été éprouvé à Notre-Dame-des-Landes, où 200 Officiers de Police Judiciaire avaient été habilités puis insérés au sein des EGM déployés au contact des adversaires violents ; la qualité des procédures diligentées à la suite des interpellations s’en est trouvée rehaussée, contribuant in fine à l’aboutissement favorable des procédures judiciaires devant les juridictions locales.
- Pour faciliter le traitement en temps réel des procédures, des magistrats peuvent être présents dans les postes de commandement : présence des procureurs de Nantes et Saint Nazaire au PC Notre Dame des Landes pendant les trois phases de l’opération.
Il est essentiel de développer encore le travail commun entre policiers, gendarmes et magistrats pour encore mieux cibler les interpellations et obtenir des suites judiciaires encore plus dissuasives. En accord avec la garde des Sceaux, ministre de la Justice, un groupe de travail sera installé d’ici l’été pour rechercher les moyens les plus efficaces de détecter, interpeller puis sanctionner les fauteurs de trouble au sein d’un groupe de manifestants, à la lumière des retours d’expérience récents.
Mieux expliquer et toujours plus communiquer sur le sens de l’action engagée
Par une information systématique sur les opérations en cours
Avec l’essor des terminaux mobiles, des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu, l’enjeu de la communication est devenu déterminant en maintien de l’ordre.
Cette exigence doit d’abord permettre de répondre aux attentes du public, qui souhaite disposer d’informations fiables en amont des événements. L’information du public est tout aussi importante pendant le déroulement de la manifestation, surtout si elle est émaillée d’incidents, pour permettre à ceux qui le souhaitent de se désolidariser des fauteurs de trouble et marginaliser ces derniers.
Communiquer est également nécessaire pour expliquer le contexte de l’intervention, en rappelant le cadre juridique dans lequel elle s’inscrit et sa finalité. Légitimes, les interventions des forces de l’ordre doivent être annoncées lors de leur démarrage et expliquées par la suite. De même, il est nécessaire d’apporter au public des éléments sur le bilan final de l’opération.
Policiers et gendarmes ont intégré cette dimension en développant une stratégie de communication active, tant vis-à-vis des media traditionnels que des réseaux sociaux.
Par une lutte immédiate contre toute tentative de désinformation
L’action des forces de l’ordre est particulièrement observée au cours des événements sensibles et médiatisés. Certains événements sont parfois, à dessein, transformés. Pour lutter contre cette désinformation, les forces de l’ordre ont intégré la conduite d’une manœuvre « image ». En filmant l’ensemble des interventions les plus sensibles, elles contribuent à réduire les risques de dérapage face aux provocations adverses et garantissent ainsi un recours proportionné à la force. Ces images permettent également de porter à la connaissance du public la violence de certains manifestants et servent à protéger les fonctionnaires et militaires face à des mises en cause injustifiées.
Au-delà des images, il est apparu nécessaire de réagir rapidement en cas de diffusion de fausses informations (« fake news »), dont la diffusion sur les réseaux sociaux peut être particulièrement rapide. Pour démentir rapidement l’existence de blessés graves à la suite de l’évacuation de Tolbiac ou en marge du rassemblement du 1er mai, pour apporter des précisions quant à l’origine et la gravité des blessures lors de l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes, tous les outils médiatiques ont été utilisés.
Par la mise en œuvre d’une manœuvre « images » intégrée à la manœuvre d’ordre public
La manœuvre « images » est aujourd’hui une composante essentielle de la manœuvre d’ordre public. Mise en œuvre par des personnels dédiés ou grâce à des moyens vidéo embarquées, elle concourt à la détection en temps réel des intentions des manifestants, à la matérialisation des infractions commises et à la traçabilité de l’action des forces de l’ordre. La transmission rapide de ces images du lieu des opérations au PC contribue au succès des opérations.
- Les forces mobiles sont équipées de dispositifs individuels et collectifs de captation d’image (CNOEIL pour les gendarmes mobiles et SARISE pour les CRS), pour constituer des éléments de preuve et sécuriser l’intervention.
- À Notre-Dame-des-Landes, une manœuvre d’imagerie sans précédent a été engagée. En complément des images fournies par les hélicoptères de la gendarmerie (160 heures de vol dont 15 % de nuit), trois équipes de télé pilotes de drones ont été insérées dans les groupements tactiques de gendarmerie mobile (300 heures de vol), et des centaines de capteurs vidéo individuels (caméras-piétons, caméscopes, caméras personnelles type « Gopro »...) ont été répartis dans les unités déployées au contact des opposants. A ce dispositif singulier par son ampleur, s’est ajoutée la présence d’équipes de prise de vue et de prise de son des services de communication de la gendarmerie, qui ont effectué des milliers de photos et des dizaines d’heures de vidéos en haute définition.