Allocution de M. Laurent NUÑEZ, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur en clôture du séminaire des référents sur les violences sexuelles et sexistes, 8 mars 2019
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le secrétaire général,
Monsieur le préfet de police,
Mesdames et messieurs les préfets,
Monsieur le préfet, directeur général de la police nationale,
Mon général, directeur général de la gendarmerie nationale,
Monsieur le procureur de la République,
Mesdames et messieurs les directeurs et chefs de service,
Mesdames et messieurs,
Ce matin, j’ai voulu être avec vous pour conclure ce séminaire.
Je l’ai souhaité parce qu’aucun effort ne doit être économisé, parce que nous devons agir ensemble, parce que nous montrons un front uni face aux violences sexuelles et sexistes.
Je l’ai souhaité parce qu’il y a encore des chiffres, aujourd’hui, qui ne peuvent être acceptés : 112 800 femmes victimes de viols ou de tentatives de viols chaque année, 235 000 victimes de violences sexistes ou sexuelles au sein même de leur couple et près d’1 million de femmes victimes de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail.
Les violences faites aux femmes sont une réalité et un fléau. Et nous sommes bien décidés, collectivement, à les combattre.
C’est votre engagement. C’est, vous le savez, l’engagement du Président de la République qui a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. C’est l’engagement de tout le Gouvernement, qui agit de concert, pour faire vivre l’égalité. C’est mon engagement, c’est celui de Christophe Castaner, celui de tout le ministère de l’Intérieur pour protéger, pour libérer la parole et pour poursuivre tous les auteurs.
Lors de ce séminaire, de cette table ronde dont j’ai pu entendre les propos conclusifs, je retiendrai votre engagement, votre volonté d’agir et de ne rien laisser passer. Alors avant, toute chose, je voulais vous dire merci.
Vous travaillez au quotidien face au drame des violences. Vous agissez tous les jours contre elles. Nous avons besoin de vous, de vos efforts, de votre action. Nous avons besoin de vos initiatives pour faire avancer le combat contre toutes les violences faites aux femmes. Je pense par exemple à ces projets locaux que vous mettez en place, comme en Seine-Saint-Denis, comme dans la Manche avec la convention Envol, comme à Tours avec le centre d’accueil global ou dans le Cher avec la brigade de protection des familles que je rencontrais avec Madame la préfète, il y a 48 heures. Je sais que bien d’autres initiatives se multiplient dans les territoires. Et je veux rendre hommage, à travers vous, à toutes celles et ceux qui s’engagent pour les droits des femmes.
Depuis le début du quinquennat, je crois que les choses ont évolué pour les droits des femmes. Les choses changent peu à peu et des promesses sont tenues pour la sécurité de toutes.
Alors nous ne devons pas décevoir, nous ne pouvons pas décevoir et nous agissons sur tous les fronts.
La première des priorités, c’est de libérer la parole. Vous le savez bien, le premier allié des violences sexuelles et sexistes, c’est le silence. C’est ce sentiment de culpabilité qui ronge les victimes et les empêche de porter plainte.
Aujourd’hui, seules 10% des victimes osent porter plainte. Alors si nous voulons que les choses changent, il faut que les victimes aient confiance, qu’elles sachent qu’elles seront accueillies et aiguillées par les policiers et les gendarmes. Qu’elles sachent qu’elles peuvent être écoutées et prises au sérieux. Qu’elles sachent que les victimes ne doivent pas avoir honte et que les forces de l’ordre sont là pour les protéger et enquêter.
Alors un effort significatif a été réalisé pour former les agents, permettre une meilleure prise en compte des victimes, favoriser leur accueil et leur orientation.
Ainsi, 522 référents accueil dans la police nationale et 1623 « correspondants territoriaux prévention de la délinquance » en gendarmerie nationale ont été désignés. 261 intervenants sociaux et 75 psychologues cliniciens s’investissent dans les commissariats, dans les brigades de gendarmerie au bénéfice des victimes, des témoins, des proches, mais aussi des auteurs, pour prévenir la récidive. Nous agissons main dans la main, aussi, avec les associations d’aide aux victimes, que je ne peux pas toutes citer aujourd’hui, mais dont le soutien est précieux. D’ailleurs, je viens de rencontrer à la POTA d’Asnières-sur-Oise quelques associations représentatives spécialisées ainsi que des gendarmes particulièrement formées en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Nous savons aussi que porter plainte, se déplacer auprès de la police ou de la gendarmerie peut paraître insurmontable. Alors, là aussi, nous avons agi. Et le 27 novembre dernier, Nicole Belloubet, Christophe Castaner et Marlène Schiappa ont lancé la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes. Cette plateforme, c’est simple : 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, des policiers et des gendarmes spécialement formés écoutent, guident, conseillent. Chaque victime peut parler librement, sans décliner forcément son identité. Cette plateforme, c’est un rempart contre la solitude, contre le sentiment de culpabilité. Et aujourd’hui, cette plateforme affiche des premiers résultats : en 3 mois, 2000 signalements ont été recueillis et 480 ont été transmis vers les unités territorialement compétentes. Avant de vous rejoindre, je me suis rendu à la brigade territoriale autonome d’Asnières-sur-Oise où j’ai pu mesurer l’implication totale de nos effectifs de police et de gendarmerie sur ces objectifs.
Nous souhaitons être à l’écoute des victimes en permanence, par tous moyens. Et c’est l’objet, aussi, du numéro 39-19. C’est un numéro simple, gratuit, anonyme, qui permet aux victimes d’être écoutées, d’être orientées dans leurs démarches. C’est un numéro qui rassure, qui aiguille, qui dit aux victimes qu’elles ne sont pas seules, qu’elles ne sont pas livrées à elle-même.
Le 39-19 et la plateforme de signalement doivent marcher ensemble. Elles sont complémentaires. Elles doivent avancer en lien étroit avec les fédérations qui défendent les droits des femmes, qui défendent les victimes.
Tout à l’heure, je signerai avec Marlène Schiappa une convention avec la fédération nationale solidarité femmes et la fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Et je veux profiter de cet instant pour saluer leurs présidentes et leurs directrices générales, présentes parmi nous.
Cette convention, c’est la concrétisation du partenariat de confiance que nous voulons développer. Elle va offrir une meilleure coordination entre la plateforme de signalement, le 39-19 et les fédérations. Elle va permettre de multiplier les formations offertes aux policiers et aux gendarmes. Elle va garantir des permanences dans les locaux des services de sécurité. Elle va assurer, enfin, que ces fédérations participent aux instances de concertation du ministère de l’Intérieur.
Mesdames et messieurs les sous-préfets référents, vous serez chargés de décliner cette convention nationale au plan local. Je compte donc sur vous, car les enjeux sont majeurs. Ils portent sur la vie de femmes. Ils portent sur la confiance entre les Françaises et leurs forces de sécurité.
Et plus largement, je vous demande de continuer à relayer dans vos départements, en lien avec les services de la gendarmerie et de la police nationale, l’information sur la plateforme de signalement numérique et notre combat contre les violences faites aux femmes.
Notre ambition est claire : chaque violence doit être repérée, signalée et faire l’objet d’une plainte. Et je retiens que le nombre de plaintes pour des violences sexuelles et sexistes a été multiplié par trois entre 2016 et 2017. Cela veut dire que les victimes osent parler, osent dénoncer. Cela veut dire aussi que les coupables pourront être punis. Cela veut dire que notre action arrive au bon moment, qu’elle ne sera pas vaine. Cela veut dire que l’heure est venue de briser le silence une bonne fois pour toutes.
Et pour suivre parfaitement l’évolution de notre action, le service statistique de la sécurité intérieure se mobilise tout au long de l’année 2019 pour mesurer périodiquement et spécifiquement l’évolution des violences sexuelles :
Une première étude sur le sexisme est publiée aujourd’hui même, vendredi 8 mars 2019, combinant enquête de victimation et délinquance enregistrée. Elle a vocation à être reconduite chaque année.
A compter de début avril 2019, un nouvel indicateur de suivi des violences sexuelles sera ajouté et commenté dans la note de conjoncture mensuelle du SSMSI.
Un travail méthodologique de comparaison des statistiques sur le contentieux des violences conjugales produites par le service statistique ministériel du ministère de l’intérieur et celui de la justice sera publié au 1er semestre 2019, de manière à fiabiliser et objectiver les faits recensés.
Par ailleurs, le SSMSI a inscrit dans son programme de travail une étude sur l’augmentation des enregistrements de violences sexuelles par les forces de sécurité. L’étude vise à mieux comprendre cette hausse associée à la libération de la parole consécutive à l’affaire Weinstein et probablement à une amélioration de l’accueil : le profil des victimes qui portent plainte a-t-il évolué ? Celui des mis en cause ? De quelle infraction plus précisément s’agit-il? Sont-elles anciennes ? La publication est prévue fin 2019-début 2020.
Mais si nous voulons offrir toutes les protections aux victimes, si nous voulons nous assurer que la parole se libère ; nous devons aussi envoyer un message très ferme aux auteurs. C’est précisément l’objet de la loi du 3 août 2018 qui renforce la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Cette loi augmente le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs de 20 à 30 ans. Elle développe la répression des infractions sexuelles sur les mineurs par une définition plus précise de la notion de « contrainte morale ».
Elle crée l’infraction d’outrage sexiste pour punir enfin le harcèlement de rue. Car chaque femme doit être libre de marcher librement dans la rue, de prendre les transports en commun comme elle l’entend, sans subir les paroles perverses et les gestes humiliants. Au 1er mars, 356 contraventions pour outrage sexiste ont déjà été relevées. Cela veut dire que les forces de l’ordre prennent ce problème au sérieux. Cela veut dire que les auteurs savent désormais à quoi s’en tenir.
Enfin, on a encore vu récemment avec l’auto-proclamée « ligue du LOL » les conséquences parfois dévastatrices du cyber-harcèlement. Et si ces quelques Tartuffe de l’égalité ont permis d’attirer l’attention sur ce phénomène qui peut détruire la confiance en soi et pousser aux pires extrémités, nous savons que la tendance est plus large, que la pratique est plus répandue. C’est pourquoi la loi du 3 août réprime les attaques groupées, en élargissant la définition du harcèlement en ligne.
Cette loi ne laisse donc aucune ambiguïté : nous voulons une impunité zéro contre les violences sexuelles et sexistes.
Mesdames et messieurs,
Je vous ai livré les premières étapes de notre plan d’action. Mais il existe une bataille plus large, plus forte, que nous devons emporter : la bataille des mentalités.
Cette bataille, c’est celle qui émancipera chaque victime de la peur et de la culpabilité. C’est celle qui fera comprendre à tous les Français qu’une insulte ou une main baladeuse, non seulement ce n’est pas normal mais ce n’est pas admissible.
Nous devons donc continuer à former policiers et gendarmes aux questions de violences sexuelles et sexistes. Ils doivent se tenir au courant des mutations de ces infractions, et je pense en particulier aux cyber-violences.
Nous devons permettre aux témoins de réagir, de s’exprimer et nous avons adapté en ce sens le site du gouvernement « stop-violences-faites-aux-femmes ».
Nous devons surtout nous assurer que le courage de celles qui dénoncent ne soit pas vain. Nous assurer que les auteurs soient punis, que les victimes soient protégées.
Or, depuis 10 ans, si le nombre de dénonciations augmente, le nombre de condamnations, lui, diminue. Il est souvent difficile de caractériser une infraction. En 2016, 70% des plaintes pour violences sexuelles et sexistes ont été classées sans suite. En 2017, alors que 225 000 femmes avaient été victimes de violences, seules 17 000 condamnations pour violences conjugales ont été prononcées.
Ces chiffres ne sont pas satisfaisants. Ils découlent de la complexité de qualifier les faits et de recueillir les preuves. Nous avons donc décidé de réagir et, avec la ministre de la justice, nous avons lancé le mois dernier un groupe de travail composé de gendarmes, de policiers et de magistrats. Il sera piloté avec le soutien d’Elisabeth Moiron-Braud par Isabelle Rome, magistrat, haute fonctionnaire à l’égalité entre les femmes et les hommes au ministère de la justice et Nathalie Marthien, préfète, haute fonctionnaire adjointe pour l’égalité des droits auprès du secrétaire général. Notre objectif est de créer pour les magistrats et les officiers de police judiciaire d’ici septembre 2019 des formations conjointes et déconcentrées pour renforcer notre collaboration et améliorer le travail des enquêtes et de l’instruction.
Nous nous engageons également pour permettre un meilleur recueil des preuves. Un travail est en cours sous le pilotage du ministère de la Santé et du ministère de la Justice, avec plusieurs unités de médecine légale, pour améliorer ce recueil hors unités de police et de gendarmerie, le tout dans les meilleures conditions et dans l’intérêt à la fois, de la victime et de la manifestation de la vérité. La mallette d’aide à l’accompagnement et l’examen des victimes d’agressions sexuelles est aussi une solution. Elle sera mise à disposition des médecins et des enquêteurs et permettra une prise en charge uniforme et efficaces des victimes de violences sexuelles et sexistes sur tout le territoire.
Enfin, des initiatives locales existent : nous l’avons entendu dans les témoignages de la préfète d’Indre-et-Loire, Corinne Orzechowski et du préfet de la Manche, Jean-Marc Sabathé. N’hésitez pas à faire remonter les dispositifs que vous mettez en place auprès de la préfète Nathalie Marthien. Car pour contrer les violences sexuelles et sexistes, toute idée est bonne à prendre, toute bonne volonté doit être entretenue.
Mesdames et messieurs,
Vous êtes dans chaque préfecture, les référents de notre action contre les violences sexuelles et sexistes.
Cela veut dire que nous comptons sur vous. Que nous comptons sur vous pour engager des actions sur le terrain. Pour former un réseau, entre vous, en échangeant, en partageant les bonnes pratiques, en surmontant, ensemble, les difficultés.
Ce séminaire, vous l’avez compris, ne sera pas le dernier. Il vous a permis d’échanger, de signaler les problèmes, de faire naître de nouvelles idées. Et je tiens encore à remercier l’ensemble des intervenants qui, au travers de leurs témoignages, ont illustré de manière concrète ce qui se fait d’efficace et d’exemplaire sur le territoire.
Ce réseau que vous formez, il faut qu’il vive au-delà de ce séminaire. Cet engagement, votre engagement, il faut le faire prospérer. Il faut qu’il s’incarne, concrètement, sur le terrain. Il faut que notre combat commun contre les violences sexuelles et sexistes porte ses fruits. Vous pouvez compter sur ma détermination, sur celle de Christophe Castaner.
Vous pouvez compter sur tout un Gouvernement, bien décidé à se battre contre les violences sexuelles et sexistes, à se battre pour ne rien laisser passer, à se battre pour l’égalité.
Je sais que je peux compter sur votre détermination.
Merci à toutes et à tous.