Allocution de M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’Intérieur à l’occasion du lancement des Quartiers de reconquête républicaine - Police de Sécurité du Quotidien - à Corbeil-Essonnes (91), Quartier des Tarterêts, le mardi 18 septembre 2018.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Préfet de Police,
Monsieur le Préfet, Directeur général de la police nationale,
Mon Général, Directeur général de la gendarmerie nationale,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame la Présidente du Conseil régional,
Monsieur le Président du Conseil départemental,
Mesdames et Messieurs les Directeurs Centraux,
Madame la procureure de la République,
Monsieur le directeur départemental de la sécurité publique,
Madame la Commandante de groupement de gendarmerie,
Monsieur le Président de la Communauté d’agglomération Grand Paris sud,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Si je suis cet après-midi aux Tarterêts, c’est pour lancer les Quartiers de Reconquête Républicaine.
Comme vous le savez, nous avons décidé, dans trente quartiers particulièrement difficiles, où se développent les trafics, les affrontements entre bandes, un climat d’insécurité quotidien, de tenir un engagement.
L’engagement pris par le Président de la République durant la campagne électorale, c’était de tout mettre en œuvre pour assurer partout la protection de nos concitoyens, dans chaque commune, dans chaque quartier, dans chaque rue de France.
Cet engagement, nous le tenons.
Le 8 février dernier, je lançais la Police de Sécurité du Quotidien, une police dont je disais qu’elle verrait ses moyens accrus tant sur le plan des effectifs – 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires - que sur le plan matériel, avec des ambitions fortes en matière de renouveau de l’immobilier, de montée en gamme du parc de véhicules, de numérisation des forces.
J’annonçais que cette Police de Sécurité du Quotidien devait être une police du sur-mesure parce que la délinquance ne prend les mêmes formes dans tous les territoires ; qu’elle devait être aussi une police partenariale parce que la sécurité, pour être efficace, doit être une co-production, en particulier avec les élus locaux.
Aujourd’hui, cette Police de Sécurité du Quotidien se met partout en place dans notre pays que ce soit dans les zones police ou dans les zones gendarmerie, avec la définition de stratégies élaborées au plus près du terrain.
Mais il est des quartiers où il convenait de mettre un accent fort, ce que nous avons appelé les « quartiers de reconquête républicaine », ceux qui sont le plus marqués par la violence, par une montée sans cesse plus grande de l’insécurité.
Et ce qui s’est passé hier encore à Saint Denis où un adolescent de 16 ans a été tué par balles dans un affrontement entre groupes rivaux montre une fois de plus que des moyens exceptionnels doivent être déployés dans ces quartiers.
Et ils vont l’être dans les mois qui viennent.
Lorsque je faisais l’annonce des quartiers de reconquête républicaine, certains avaient pu y voir un effet d’annonce.
Eh bien nous y sommes.
Aujourd’hui, si je me trouve dans le quartier des Tarterêts comme je l’étais hier soir avec la Brigade Spécialisée de Terrain (BST), la Brigade Anti Criminalité, c’est pour montrer que les engagements que nous avions pris sont en train de passer dans la réalité.
Dans les prochaines semaines en effet, les quinze premiers quartiers de reconquête républicaine verront arriver des effectifs significatifs.
Ici, aux Tarterêts - mais la situation est la même dans un certain nombre de quartiers comme le Mirail à Toulouse, la Paillade à Montpellier, ou le Neuhoff à Strasbourg – le Gouvernement veut que les trafics cessent, que des bandes organisées cessent de faire régner leur loi. Oui, il est aujourd’hui des territoires de France où malgré l’engagement exceptionnel et quotidien des forces de l’ordre, s’est installée la loi du plus fort.
Il est des territoires de France que la République semble avoir déserté.
Quand on ne peut circuler dans un quartier parce que l’accès est soumis au contrôle des guetteurs, où est en effet la liberté ?
Quand des commerçants, des artisans, respectant les normes, payant leurs charges, sont obligés de fermer boutique, parce qu’ils sont concurrencés par ce qui devient de vrais marchés illégaux, par des ateliers mécaniques en plein air, où est l’égalité ?
Quand des parents renoncent à laisser jouer leur enfant en bas de leur immeuble parce qu’ils ont à l’esprit le douloureux souvenir de Khadija, cette fillette de 7 ans tuée à Dreux dans un rodéo urbain, où est la fraternité ?
C’est parce que le Gouvernement auquel j’appartiens ne saurait tolérer qu’une telle situation perdure que nous avons décidé de cibler l’action sur ces quartiers-là.
Car je regarde la réalité. Si – comme je l’ai récemment souligné - nous obtenons de premiers résultats au niveau national, avec une baisse des atteintes aux biens, des violences crapuleuses, force est de constater que, dans ces quartiers-là, une réponse forte devait être apportée.
Regardons l’évolution de la délinquance ici, à Corbeil-Essonnes.
Entre 2013 et 2017, les violences urbaines ont augmenté de +13,6%, les infractions pour trafics de stupéfiants de +139% ; les affrontements entre bandes se sont multipliés – et nous avons tous à l’esprit l’assassinat par arme à feu d’un jeune du quartier Montconseil à l’été 2016.
Quant aux atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique, elles ont connu une progression exponentielle : +74% entre 2016 et 2017, et je pense évidemment ici au guet-apens dont a été victime, en juin 2017, un équipage de la BST, qui a échappé au pire, parce que le cocktail Molotov lancé sur le fourgon de police n’a pas explosé.
J’évoque Corbeil-Essonnes.
Mais je serai jeudi à Aulnay-sous-Bois et à Sevran. Je me rendrai dans les prochains jours à Lille, à Marseille, à Montpellier, à Pau, à Bordeaux.
C’est bien, comme je l’avais indiqué, 30 quartiers de reconquête républicaine qui seront instaurés d’ici le début de l’année 2019, 60 d’ici 2020.
Et nous étendrons notre action au fur et à mesure que les jeunes policiers sortiront des écoles. Et pour cela, nous avons augmenté le nombre de promotions chaque année. Et c’est 4 promotions qui vont sortir en 2018. Cela va changer la donne.
Aux Tarterêts, vous le savez, c’est 30 policiers qui arrivent ce mois-ci. Mais il y en aura 30 au Mirail à Toulouse, 30 dans les quartiers Nord de Marseille, 30 à Lille Sud, 21 à la Paillade à Montpellier, 20 au Neuhoff à Strasbourg, et je pourrais continuer la liste.
Au total, ce sont 300 policiers qui, en ce mois de septembre, rejoignent les quartiers de reconquête républicaine.
300 policiers. Et il s’agit là de chiffres nets. Car je ne veux pas annoncer des effectifs supplémentaires là où il s’agirait seulement de remplacer les départs à la retraite ou des mutations.
300 policiers supplémentaires. Cela aura un impact considérable, et produira des effets immédiats sur le terrain.
Je pense qu’il s’agit d’un effort inédit.
Très concrètement, ici aux Tarterêts, cela permettra d’étendre les horaires de patrouilles de la Brigade Spécialisée Territoriale ou de la Brigade Anti Criminalité.
Cela leur permettra d’être plus nombreuses et donc de dissuader celles et ceux qui aujourd’hui sont prêts à tendre de vrais guet-apents contre la police comme cela s’est encore produit aux Tarterêts l’année dernière.
Sur chacun de ces quartiers, nos concitoyens pourront donc voir une présence accrue de femmes et d’hommes en uniformes sur la voie publique. Contrôles renforcés des halls d’immeubles, des marchés illégaux, des trafics divers : c’est une véritable reconquête d’un espace public dont l’usage est aujourd’hui détourné que nous engageons.
Avec un objectif : hisser à nouveau dans chaque rue, sur chaque dalle, au bas de chaque immeuble, le drapeau de la République ; dissuader les délinquants tout en rassurant les habitants.
Il y a les moyens humains, évidemment essentiels. Et puis il y a les moyens matériels dont disposent nos policiers.
Car on peut être plus nombreux, si on ne dispose pas des commissariats adaptés, les bons véhicules, les protections, les armes, indispensables à une action efficace, on demeure impuissant.
S’agissant de Corbeil-Essonnes, je tiens à confirmer ici que le projet de nouveau commissariat sera mené à son terme dans le cadre de la programmation triennale immobilière en cours, en partenariat avec les collectivités locales.
Mais je veux réaffirmer que c’est l’ensemble des quartiers de reconquête républicaine, qui vont bénéficier prioritairement de moyens accrus.
Moyens accrus en véhicules, protections, armes – je l’évoquais.
Moyens accrus également en matière de numérique.
Ces Quartiers sont en effet les premiers à bénéficier des smartphones et tablettes NEO, des outils qui, on le sait, permettent aux policiers de gagner du temps et ainsi d’être plus efficaces dans leur action sur le terrain. Ici aux Tarterêts, le nombre de terminaux NEO aura doublé d’ici quelques semaines. Et donc, je pense que vous commencez à en mesurer tous les effets.
Ils sont aussi les premiers à bénéficier des caméras-piéton qui constitueront un outil précieux lors des contrôles d’identité, pour apaiser les liens police-population mais surtout pour permettre aux forces de sécurité de ne pas être mises injustement en cause. Les premières caméras sont arrivées cet été.
Plus de moyens pour plus de terrain ! Voilà au fond, la philosophie qui préside à ces quartiers de reconquête républicaine.
Plus de moyens, plus de terrain. Car avec la Police de Sécurité du Quotidien, c’est aussi un changement de méthode que nous organisons.
Oui, pour mener une action de fond dans ces quartiers, il convient de faire évoluer nos organisations, de dépasser des techniques de travail culturellement marquées par une logique de silos. Et c’est déjà ce que vous faites ici où les équipes travaillent de manière extrêmement soudée, extrêmement solidaire.
Mais face aux défis qui se présentent à nous, il faut pouvoir compter sur les moyens que peuvent apporter les municipalités.
J’ai vu hier combien pouvait être efficace le système de vidéoprotection, comment il vous permettait de mieux orienter vos actions.
Voilà pourquoi, j’ai demandé aux préfets concernés par ces quartiers de reconquête républicaine de plus particulièrement l’accent sur le renforcement des liens avec élus locaux, leurs polices municipales, car leur concours est essentiel à la sécurité publique et à la protection des Français.
Au-delà, c’est avec tous les acteurs de terrain, bailleurs sociaux, chefs d’établissement scolaires, responsables des transports, acteurs associatifs, gardiens d’immeubles, qu’il faut organiser des réunions régulières.
Car c’est à cette échelle-là, qu’on identifie bien les problèmes. C’est cette échelle-là qui est pertinent pour pouvoir agir.
Agir contre la délinquance, celle du quotidien, la petite comme la grande.
Mais s’attaquer surtout à celle qui déstructure la vie de nos quartiers, qui fait mourir à travers la France tant d’hommes et de femmes. Je veux parler du trafic de stupéfiants.
J’ai vu dans certains quartiers de la périphérie parisienne les effets dévastateurs que produit le crack. Il n’y pas de drogue douce. On commence par le cannabis puis, progressivement, on va vers les drogues toujours plus fortes, la cocaïne, l’héroïne, les produits de synthèse. Et ce sont des vies qui se brisent.
Pour démanteler les narco-réseaux, dans chaque territoire, et c’est déjà le cas depuis quelques jours ici, à Corbeil-Essonnes, nous installerons une cellule de lutte contre les trafics.
Coprésidée par le préfet et le procureur de la République, placée sous l’autorité de ce dernier lorsqu’elle évoquera des affaires de nature judiciaire, elle réunira mensuellement, dans une perspective très opérationnelle, représentant de la direction départementale de la sécurité publique, chef de circonscription, représentant de la police judiciaire, et, le cas échéant, renseignement territorial et douane. Bref, un nombre très restreint de personnes pour favoriser les échanges concrets et opérationnels en matière de lutte contre les trafics.
Elle s’appuiera notamment sur une CROSS (Cellule opérationnelle de renseignement sur les stupéfiants) qui aura, au plan départemental, pour objectif de partager l’ensemble des informations recueillies par les différents services, de les exploiter et d’établir des cartographies précises des réseaux en vue de leur démantèlement.
Il y a ces renforts et actions immédiates, qui se mettent en place ces jours-ci.
Mais d’autres réformes seront mises en œuvre dans les mois à venir, qui renforceront la latitude d’action de nos policiers, de nos gendarmes et de toutes celles et ceux qui interviennent dans le champ de la sécurité.
Au fond, les quartiers de reconquête républicaine, n’en sont aujourd’hui qu’à leurs débuts et c’est au fil des mois, au fil des réformes de structure que nous allons porter, qu’ils vont peu à peu arriver à l’âge adulte.
La première réforme de structure, que j’avais annoncée dès le mois de février, c’est celle du continuum de sécurité.
La semaine dernière, le député Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID, et la députée Alice Thourot, juriste, m’ont remis un rapport sur ce sujet, qui comporte des pistes intéressantes pour renforcer le pouvoir des polices municipales et des agents de sécurité privée. Les directions du Ministère de l’Intérieur sont actuellement en train d’expertiser ces préconisations.
D’ici la fin de l’année, j’annoncerai les mesures que nous mettons en œuvre.
Elles viseront à améliorer l’efficacité de l’action, évidemment dans les quartiers de reconquête républicaine.
Autre réforme de structure majeure, portée par la Garde des Sceaux : celle de la procédure pénale.
Vous l’avez exprimé durant la grande concertation que nous avons organisée pour imaginer la Police de Sécurité du Quotidien : vous vous sentez parfois empêchés, freinés dans votre action par des procédures trop lourdes, trop chronophages, par une charge administrative de plus en plus pesante.
Le projet de loi que défendra ma collègue Nicole Belloubet devant le Parlement à l’automne permettra de remédier à cette situation et de faire en sorte que, dans les quartiers de reconquête républicaine comme partout ailleurs, vous puissiez être encore davantage présentes sur le terrain.
Mesdames et Messieurs,
Nous le savons, ce projet de reconquête ne se fera pas en un jour. Il s’inscrira dans la durée.
Il ne saurait se borner aux seuls aspects sécuritaires, car les succès durables sont ceux qui se fondent sur une vision, un horizon mobilisateur.
Si, sans sécurité la République chancelle, la République telle que nous la concevons, c’est d’abord un modèle de société, une façon de penser la Nation.
Comme vous le savez, je salue toujours avec beaucoup de conviction nos forces de l’ordre, parce que je sais combien elles travaillent dans des conditions extrêmement difficiles.
Mais si elles étaient seules à agir, que pourraient-elles ?
Pourraient-elles faire face aux forces du repli sur soi, de la paupérisation, de la ghettoïsation, qui conduisent les villes à se fragmenter entre quartiers riches et quartiers pauvres ?
Pourraient-elles faire face à une société dont la fracture s’accroîtrait et dans lesquelles le côte à côte entre groupes sociaux pourrait se transformer un jour en tragique face à face ?
La réponse doit être globale.
Et c’est donc en partenariat avec beaucoup de mes collègues que nous allons porter un effort commun sur les quartiers de reconquête républicaine.
Cette action portera sur l’école. Et c’est pourquoi Jean-Michel Blanquer a dédoublé les classes dans les REP+.
Cette action portera sur l’emploi, car l’un des problèmes majeurs c’est bien un chômage de masse qui est, vous le savez bien, un terreau pour la délinquance. Et c’est pourquoi, avec Muriel Pénicaud, nous mettrons en œuvre demain tout ce qui peut permettre de développer l’emploi, des formations plus professionnalisantes. Dans cette action, nous mobiliserons à nos côtés un certain nombre d’entrepreneurs, d’entreprises grandes ou petites qui, d’ores et déjà, ont décidé de nous aider à relever le défi.
Nous travaillerons aussi avec les Ministères du Logement, de la Cohésion des Territoires, de la Culture et des Sports. Car c’est seulement en agissant de manière coordonnée que nous pourrons relever le défi immense auquel nous sommes confrontés.
Oui, c’est en reconstruisant dans ces quartiers une société de l’ouverture, de la mobilité, où l’émancipation est possible pour tous que nous réussirons.
C’est aussi cela, et si vous me le permettez, c’est d’abord cela, la reconquête républicaine.
Et c’est le projet que je ne cesserai jamais de porter.
Parce que c’est la condition pour que vive la République !
Et que vive la France !
Je vous remercie.