Allocution de M. Gérard Collomb, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, prononcée à l'occasion de l'accueil des gardiens de la paix de la 244e promotion affectés à la Préfecture de Police de Paris, le mercredi 8 novembre 2017.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Préfet de Police,
Monsieur le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Madame la représentante de Madame la Maire de Paris (Mme Colombe Brossel)
Monsieur le procureur de la république près le Tribunal de Grande Instance de Paris,
Mesdames et Messieurs les autorités civiles et militaires,
Mesdames et Messieurs,
C’est un plaisir de vous accueillir ici, en cette cour d’honneur de la préfecture de police de Paris, à l’occasion de votre prise de fonction comme gardiens de la paix.
Je mesure combien ce moment est solennel.
Pour chacune et chacun d’entre vous, qui, en passant ce concours puis en suivant une formation de dix mois et demi, avez choisi de servir l’Etat, de protéger les Français.
Cette décision vous honore.
Car s’engager dans la police, c’est embrasser une belle et noble cause.
C’est s’engager pour préserver l’ordre public, pour que soient appliquées partout les mêmes règles, pour donner chair à cette belle idée qu’est l’État de droit. Et l’Etat de droit, c’est ce qui garantit que, dans une société, ne s’impose pas la loi de plus fort. C’est ce qui permet de faire vivre ces valeurs de liberté, d’égalité, et de fraternité, au fondement de notre République.
Vous êtes donc désormais des « gardiens de la paix ».
Cette expression qualifiant votre nouvelle fonction revêt un sens profond.
Que vous soyez affectés à des missions de police judiciaire comme le major de votre promotion ou appelés à exercer des missions d’accueil des victimes, de prévention de la délinquance, de renseignement, de maintien de l’ordre public ou de 1sécurité routière, elle dit en effet quels doivent être vos objectifs constants : garantir la paix civile, promouvoir la paix sociale ; faire en sorte, en toutes circonstances, que notre nation demeure unie.
Il s’agit là de missions exigeantes. Elles vous demanderont courage, détermination, dévouement. Et je n’ai aucun doute sur le fait que vous possédiez ces qualités.
Il s’agit aussi de missions qui comportent une part de risque, ce que l’actualité récente nous a hélas rappelé.
Et je veux rendre hommage aux policiers qui, ces derniers temps, sont morts.
Cet événement tragique rappelle combien le métier que vous avez choisi n’est pas une profession comme une autre.
Oui, être policier c’est risquer sa vie pour protéger.
Je veux vous assurer, vous et vos familles, que je suis pleinement conscient de cette réalité, et que le ministère de l’Intérieur, et que personnellement, je ferai tout pour vous protéger chacun et chacune.
C’est pourquoi dès l’année prochaine, un programme exceptionnel d’acquisition d’équipements de protection, de plus de 30 000 gilets pare-balles, sera mis en œuvre. C’est aussi pourquoi, avec le Directeur général de la Police nationale, avec le Préfet de Police, nous sommes en train de mettre en place des mesures — telles que l’anonymisation de certaines procédures, pour garantir votre protection.
Car nous n’accepterons jamais que ceux qui protègent nos libertés, les biens et les vies des Français, voient leur intégrité physique menacée.
* * *
Mesdames et Messieurs,
Si je tenais à m’adresser à vous, c’est donc pour vous féliciter, pour vous assurer de mon soutien indéfectible.
C’est aussi pour vous dire ce que j’attends de vous et pour esquisser le cadre dans lequel vous serez amenés à agir dans les prochaines années.
Ce faisant, je n’entends pas me substituer à vos professeurs qui, à Sens, à Roubaix, à Nîmes, à Toulouse, à Périgueux et à Oissel, vous ont transmis tous les savoir-faire qui feront de vous de bons policiers.
Mais je tiens à saisir l’occasion qui m’est donnée ce matin pour fixer les grandes priorités que vous devrez poursuivre dans les années à venir.
Il y a d’abord la luttee contre le terrorisme.
Vous avez passé le concours de gardien de la paix au début de l’année 2016, c’est-à-dire au moment même où la menace se trouvait à son paroxysme.
Vous étiez donc pleinement conscients qu’en choisissant ce métier, vous seriez confrontés à ce fléau.
Peut-être même certains d’entre vous se sont-ils engagés pour le combattre.
Car oui, nous avons changé d’ère.
Depuis Charlie Hebdo et plus encore depuis le Bataclan, nous savons qu’à tout moment, un attentat peut survenir.
Et si certains experts ont pensé qu’avec le recul de Daech sur le front irako-syrien, avec la prise de Raqqa, la menace refluerait, on voit avec les attentats de Manchester, de Londres, de Barcelone, de New York, avec, dans notre pays, les attaques de Marseille et des Champs-Élysées, qu’elle demeure à un niveau extrêmement élevé.
Vous, gardiens de la paix, devez donc vous tenir prêts à intervenir en cas d’attentat.
Vous avez été formés pour cela et vous savez que, bien souvent, ce sont des équipages de police-secours qui, les premiers, sont amenés à intervenir sur les lieux.
Vous aurez surtout à tout mettre en œuvre pour éviter que de nouveaux attentats ne se produisent. Car le rôle de la police n’est pas seulement d’intervenir, il est aussi, et peut-être surtout, de prévenir.
La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme promulguée la semaine dernière vous en donne tous les moyens : mise en place de périmètres de protection, mesures de surveillance, possibilité de diligenter des visites domiciliaires. Il vous faudra vous saisir de ces outils juridiques.
Mais plus largement, j’attends de vous que vous soyez, dans l’exercice de vos fonctions, des « capteurs ».
Déceler la radicalisation d’un individu, repérer la diffusion dans un lieu de culte de discours extrémistes, signaler le changement soudain d’ambiance dans un quartier : telles doivent être, quelle que soit votre affectation, vos préoccupations premières.
Car si nos services de renseignement se trouvent en première ligne pour détecter ces « signaux faibles » permettant de prévenir les attentats, c’est l’ensemble des forces de sécurité qui doivent se mobiliser.
Les Français nous attendent sur ce sujet.
Nous n’avons pas le droit à l’erreur.
Votre seconde priorité, Mesdames et Messieurs, sera la lutte contre l’insécurité du quotidien.
Contre ces incivilités qui irritent tant de nos compatriotes.
Contre ces délits qui, dans certains quartiers, leur rendent la vie si difficile.
Trop souvent, quand je vais sur le terrain à la rencontre des Français, je dialogue avec des jeunes femmes qui me disent craindre de se faire prendre à partie dans la rue.
J’échange avec des personnes âgées qui me confient renoncer à sortir de chez elles de peur de se faire interpeller, voire agresser.
Je le dis avec force : de telles situations ne sont pas supportables.
Car elles forment le terreau sur lequel s’enracine le malaise démocratique.
C’est parce qu’il a une haute conscience de cette réalité que le Président de la République a fait de la sécurité une priorité de son quinquennat, en décidant la création de 10 000 postes de policiers et de gendarmes, en portant surtout le projet d’une Police de Sécurité du Quotidien.
Ce grand projet, Mesdames et Messieurs les gardiens de la paix, vous en êtes en quelque sorte les premiers enfants.
Vous serez en effet les premiers à l’appliquer, les premiers à le mettre en œuvre.
Je veux donc vous en dire quelques mots.
En soulignant d’abord qu’il vous concerne tous.
Car la Police de Sécurité du Quotidien ne sera pas une nouvelle force, dans laquelle seulement quelques-uns d’entre vous seront affectés.
Il s’agit tout simplement d’une nouvelle manière d’être policier, d’une nouvelle doctrine.
Une grande consultation a été lancée, associant syndicats, élus locaux, représentants des services de sécurité privée, bailleurs et services sociaux, citoyens, ainsi que chacun des 250 000 policiers et gendarmes du pays.
Mais je veux d’ores et déjà vous indiquer quels objectifs devra remplir cette Police de Sécurité du Quotidien que, dès les semaines à venir, vous serez amenés à incarner.
1- Il s’agira d’abord d’une police sur mesure.
Vous l’avez appris durant votre formation, un bon gardien de la paix doit s’adapter à la réalité de son terrain.
Car on n’accomplit pas sa tâche de la même manière que l’on se trouve au cœur d’une ville moyenne ou dans un quartier périphérique de l’agglomération parisienne.
Nous voulons tirer toutes les conséquences de cette réalité.
C’est pourquoi vos chefs - directeurs départementaux de la sécurité publique, officiers, sous-officiers, auront davantage d’autonomie.
Ils pourront décider de l’achat de matériels, d’équipements, qu’ils jugent nécessaires à la configuration de chaque territoire.
Ils pourront aussi décider d’affecter prioritairement des effectifs à une zone donnée, sur une plage horaire dédiée.
Notre idée est simple : permettre que l’organisation de la police s’adapte au terrain, mais aussi aux mouvements des criminels et délinquants qui, eux, n’attendent pas qu’une décision soit arrêtée dans un bureau à Paris pour faire évoluer leurs modes d’action.
Il faut instaurer partout de la réactivité, de la souplesse.
Car ce sont les gages de l’efficacité.
2-Nous voulons ensuite une police mieux équipée.
Cela fait maintenant six mois que je suis ministre de l’Intérieur.
Six mois durant lesquels j’ai pris le temps de visiter de nombreux commissariats.
Six mois durant lesquels j’ai mesuré les besoins qui sont les vôtres.
Il y a d’abord la question immobilière, celle de votre cadre de travail.
Si, dans certains endroits, celui-ci est tout à fait adapté et même moderne — je pense par exemple au nouveau siège de la Police judiciaire parisienne, il est encore trop de commissariats dont l’état n’est pas digne de votre dévouement et de votre engagement.
C’est pourquoi, dès l’année prochaine, une enveloppe de 195 millions d’euros - en augmentation de +5 %, sera consacrée à la rénovation immobilière et que cet effort sera prolongé les années suivantes.
Je tiens aussi à ce qu’un effort particulier soit réalisé sur le matériel : armes, équipements de protection, véhicules.
150 millions d’euros y seront consacrés, ce qui représente une augmentation de 50 % par rapport à la moyenne observée ces dernières années.
Ainsi pourrez-vous exercer vos missions dans des conditions à la mesure de votre engagement.
3- La police de sécurité du quotidien sera aussi, une police connectée.
Vous êtes une génération qui a grandi avec les smartphones, les tablettes, une génération qui mesure tout le potentiel de la révolution digitale.
Eh bien cette révolution, nous voulons qu’elle vous serve dans votre métier, nous voulons qu’elle facilite l’exercice de vos missions.
C’est pourquoi nous allons doter la police nationale de 50 000 tablettes NEO d’ici la fin de l’année 2019.
Pour vous, le gain d’efficacité sera significatif.
Alors qu’hier vos collègues devaient, lors d’une interpellation, appeler sans cesse le commissariat pour vérifier l’inscription au fichier de l’individu contrôlé, vous pourrez consulter directement ces informations sur votre tablette.
Alors qu’une même personne pouvait faire l’objet d’un contrôle d’identité à plusieurs reprises dans une même journée, ces tablettes vous permettront de savoir immédiatement si un tel contrôle a déjà été réalisé.
Le levier de la transition digitale est donc déterminant.
Demain, celle-ci structurera votre action quotidienne.
4- La police que nous voulons sera également plus partenariale.
Là encore, vos professeurs et vos tuteurs vous ont répété qu’un bon policier doit être en relation permanente avec son environnement.
Pour prendre des décisions justes, pour élaborer des stratégies pertinentes, il vous faudra en effet recueillir un maximum d’informations auprès des élus locaux, des policiers municipaux, de la justice, des associations, des bailleurs et des services sociaux, des sociétés privées de sécurité, ou tout simplement de nos concitoyens.
Je souhaite que vous ayez toujours à l’esprit cette dimension.
Car on n’est pas efficace si on agit de manière solitaire, individuelle, si l’on ne consulte pas ceux dont l’expérience, la connaissance fine du terrain, peut constituer une aide précieuse.
Ne perdez donc jamais de vue cette idée que, si la police joue un rôle déterminant, la sécurité est d’abord une coproduction.
5- Enfin, la police de sécurité du quotidien sera une police recentrée sur son cœur de métier.
Mesdames et Messieurs les gardiens de la paix, si je vous demandais pourquoi vous avez choisi cette profession, je pense que peu d’entre-vous me diraient qu’ils se sont engagés pour remplir des formulaires administratifs, pour passer la moitié de leur temps dans des bureaux.
Et pourtant ! C’est aujourd’hui trop souvent le cas de nombre de vos collègues.
Notre volonté est de mettre fin à ce phénomène.
C’est pour cela que je porte, avec ma collègue Garde des Sceaux, une grande réforme de la procédure pénale, qui vous donnera davantage de latitude dans vos enquêtes, qui allégera le formalisme des procédures.
De même, vous ne vous êtes pas engagés — je crois, pour voir les délinquants que vous interpellez ressortir sans être punis.
Et pourtant ! Combien de personnes détenant par exemple du cannabis ne font même pas l’objet d’un rappel à la loi ? Combien d’auteurs de faits de harcèlement sont relâchés faute d’une législation adaptée ?
Pour ne pas que cette situation perdure, nous voulons vous donner tous les moyens de punir ceux que vous arrêterez.
C’est pourquoi, dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, sera mise en place la forfaitisation de certaines infractions - comme la détention de cannabis ou le harcèlement.
Cela ne signifie pas que vous ne pourrez pas placer les auteurs de ces infractions en garde à vue.
Mais vous pourrez leur infliger une amende immédiate, ce qui sera à la fois moins chronophage et plus dissuasif.
***
Voilà donc, Mesdames et Messieurs, les grands défis que vous aurez à relever dans les années à venir.
Je n’oublie pas bien sûr que vous aurez à remplir bien d’autres missions comme la sécurisation d’événements publics et de manifestations, la lutte contre tous les trafics, la protection de certains de nos compatriotes.
Mais vous ne devez jamais cesser d’avoir à l’esprit ces deux priorités, qui sont celles du Président de la République, celles du gouvernement, qui sont surtout les priorités des Français.
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Une nouvelle fois, je veux vous dire combien vous pouvez être fiers d’avoir choisi ce métier.
Vous êtes les piliers de notre République, ceux qui, quand les crises frappent, maintiennent notre société unie.
C’est pourquoi je veux vous faire part de la reconnaissance de toute la Nation.
Parce qu’au quotidien, c’est vous qui faites vivre la République.
Au quotidien, c’est vous qui faites vivre la France !
Merci à tous.
Je vous remercie.