Allocution de M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la cérémonie de commémoration du 74ème anniversaire de la Libération de Paris à la Préfecture de Police de Paris, le jeudi 23 août 2018.
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Préfet de police, Monsieur le Préfet de région, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Madame la Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus, Mon général, gouverneur militaire de Paris,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires, Mesdames et Messieurs les représentants des corps consulaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités religieuses,
Mesdames et Messieurs,
L’Histoire de France n’est pas linéaire.
Plus que d’autres, notre pays s’est façonné au gré d’événements, de moments de bascule, où le destin national s’est joué sur le courage, la bravoure exceptionnelle de quelques-uns.
Le Général de Gaulle n’affirmait pas autre chose lorsqu’il déclarait – je cite - « il est des heures où la volonté de quelques hommes brave le déterminisme et ouvre de nouvelles voies ».
Oui, l’Histoire de France n’a jamais cessé d’être forgée par le choix de femmes et d’hommes qui décidèrent de tout donner pour leur patrie.
Et si nous sommes réunis ce matin, c’est pour célébrer la mémoire de tels héros.
C’est pour réaffirmer avec force la reconnaissance de la Nation aux centaines de policiers de la préfecture de police de Paris qui, à l’été 1944, ont pris tous les risques pour que la France, ses idéaux, ses valeurs, puissent continuer à vivre, à briller, à influer sur le cours du monde.
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Il faut se rappeler les faits.
Au début du mois d’août 1944, la situation à Paris est très contrastée.
Certes, les raisons d’espérer existent.
Les Alliés ont débarqué quelques semaines plus tôt en Normandie ; Cherbourg a été libérée le 1er juillet, Caen le 20, Rennes, le 4 août et Angers le 10.
Les célébrations du 14 juillet ont laissé entrevoir un frémissement patriote, avec, dans les rues de Paris, une manifestation réunissant plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Mais ces quelques lueurs peinent à faire oublier une réalité plus sombre.
Celle d’une Occupation qui dure depuis le 14 juin 1940, avec son lot de privations, d’humiliations.
Celle d’un ennemi qui intensifie chaque jour la traque des résistants, au point d’organiser la déportation de 1654 hommes et de 546 femmes, qui partiront par convoi de la gare de Pantin le 15 août.
La rumeur se répand alors d’un ordre donné par Hitler au général Von Choltitz, de procéder à la destruction de la ville en cas de retrait des troupes allemandes.
Elle est corroborée par les réseaux de renseignement résistants, qui s’alarment de la présence d’explosifs installés sur les bâtiments officiels, postes stratégiques et voies de communication.
L’inquiétude est donc à son comble.
Et elle l’est d’autant plus que les Forces françaises de l’intérieur prêtes au combat sont peu nombreuses et peu équipées, par comparaison aux 20 000 soldats de la Wehrmacht et à leurs nombreux blindés.
Elle l’est d’autant plus que l’itinéraire de la 2e DB demeure incertain. Rien n’indique alors que l’unité commandée par le général Leclerc viendra appuyer le peuple parisien dans de brefs délais.
C’est dans ce contexte difficile que les mouvements résistants de la préfecture de police de Paris, qui préparent depuis de longs mois la libération de la capitale, brûlent de passer à l’action. C’est chez les femmes et les hommes de la préfecture que tout va en effet se jouer.
Le 14 août, trois mouvements de résistance de la « PP » - Honneur de la Police, Police et Patrie et le Front National de la Police – créent le Comité de Libération de Paris et appellent les policiers de l’agglomération à débrayer dès le lendemain.
La grève, qui s’inscrit dans la continuité de celle lancée quelques jours plus tôt par les cheminots et par les postiers, est massivement suivie.
Comme le mentionne dans son journal un observateur de l’époque : « en douze heures, on ne voit plus un seul casque ciré, plus une tenue bleue dans les rues ».
L’atmosphère est en train de changer à Paris.
Le 16 août, Hitler ordonne l’évacuation des personnels non combattants.
Le 17, les gardiens de la prison de la Santé libèrent 553 détenus politiques jusqu’alors enfermés par l’Occupant.
Et sans attendre les ordres du Conseil National de la Résistance, les chefs du Comité de Libération de la Police décident le 18, de lancer les hostilités le lendemain matin.
Il est 7 heures, ce 19 août, lorsque plus de 2000 policiers arborant des brassards des forces françaises de l’intérieur, se réunissent sur le parvis de la cathédrale Notre Dame, dans un climat d’ardeur patriotique rappelant les grandes heures de l’Histoire parisienne.
Sur les coups de 8 heures, ils pénètrent dans la cour de la Préfecture de police dans laquelle nous nous trouvons.
En quelques minutes ils prennent possession des lieux, démettent le préfet Bussière de ses fonctions et le remplacent par Charles Luizet qui, résistant de la première heure, avait eu la charge d’assurer la fonction de préfet de la Corse libérée avant de repasser par Londres puis de revenir à Paris.
Regroupés dans cette cour par arrondissement et par division, les policiers résistants assistent enthousiastes à la levée, sur le toit de la préfecture, du drapeau tricolore qu’on n’avait plus vu flotter dans le ciel de Paris depuis plus de 1500 jours.
Il est 9 heures. La Marseillais retentit. Une Marseillaise que certains témoins n’hésitent pas à décrire comme « hésitante, enrouée, maladroite ».
Mais quelle Marseillaise !
Comme le dira quelques jours plus tard le speaker des Actualités cinématographiques : « à la Préfecture de police, c’est soudain le cœur de Paris qui recommença à battre et à se battre ».
Se battre !
C’est bien là, le premier impératif qui s’impose alors.
Car la surprise passée, l’Occupant s’organise et offre une opposition féroce.
Chaque jour, des blindés allemands tentent d’attaquer une Préfecture de police qui n’est défendue que par quelques centaines d’hommes à court d’armes et de munitions.
Quelques centaines, car les policiers ont reçu consigne de ne pas se concentrer sur la seule défense de l’île de la Cité mais d’attaquer partout.
Dans les arrondissements et les communes de l’agglomération, les combats sont âpres, rugueux, hélas souvent meurtriers.
Les commissariats servent de base arrière pour reprendre les mairies, les écoles, les bâtiments publics, bref tous les emblèmes d’un État en train de se reconstituer et de recouvrer sa souveraineté.
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Oui, ces jours-là, la « PP » et ses policiers constituèrent le cœur de la bataille pour la libération de Paris.
Et s’ils furent partout à l’avant-garde, c’est parce qu’ils possédaient une connaissance du terrain, des rues, des lieux, constituant un atout considérable pour répondre aux attaques et déjouer les embuscades fomentées par l’ennemi.
C’est parce que, pour se procurer des armes et des munitions, ils pouvaient compter sur les informations que détenaient les agents du renseignement.
C’est parce qu’ils pouvaient s’appuyer sur des services techniques permettant d’assurer la logistique, le ravitaillement, la réparation et l’entretien des véhicules.
Nul donc ne peut dire comment se seraient passées ces journées d’août 1944 si la police de Paris ne s’était pas levée pour entamer le combat final vers la Libération.
C’est parce que leur rôle était essentiel que c’est aux policiers de la préfecture que le général Leclerc adresse le 24 août par un avion piper-cub le message « Tenez-bon nous arrivons ».
C’est parce que leur combat avait été déterminant que le Général de Gaulle tint à venir les saluer dès le 25 août, avant-même de se rendre à l’Hôtel de Ville, preuve que ces deux hommes éminents avaient une haute conscience du rôle majeur joué par les gardiens de la paix, officiers et commissaires, qui s’étaient comportés en héros.
Et c’est pour cela que, c’est à la « PP » qu’on amena le Général Von Choltitz pour signer, dans la salle du Billard, l’acte de reddition des troupes allemandes de la capitale, en présence du général Leclerc et du colonel Rol Tanguy, chef de la résistance parisienne.
Paris, était enfin libérée, et elle le devait pour une grande part à ses policiers patriotes.
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Mesdames et Messieurs,
L’Histoire de notre pays – disais-je - n’est pas linéaire.
Et pourtant, nous avons collectivement beaucoup à apprendre des événements qui ont forgé le destin de notre Nation.
Car pour reprendre une nouvelle fois les mots de de Gaulle : « dans la vie d’un pays, chaque action du passé doit être prise en compte pour l’avenir ».
Commémorer ces journées d’août 1944, c’est donc aussi savoir puiser dans ces événements, dans l’engagement patriotique de ces femmes et de ces hommes, dans le sacrifice de 167 d’entre-eux, une inspiration pour construire la France d’aujourd’hui et de demain.
Il revient bien sûr à chacun de confronter sa propre expérience aux événements que je viens de relater, il revient à chacun de tirer, en conscience, ses propres leçons d’Histoire.
La plus essentielle, c’est sans doute que, comme celles et ceux qui s’engagèrent au cours de ces journées, il faut toujours placer haut l’exigence que l’on s’impose.
C’est ce qui doit, aujourd’hui encore, déterminer la conduite de toutes celles et tous ceux qui travaillent ici, à la Préfecture de Police.
Certes, les temps ne sont pas les mêmes, mais nous avons encore bien des défis à relever pour que les Français puissent vivre sans sentiment de crainte, dans une liberté pleinement assurée.
Défi d’une délinquance de plus en plus violente, défi surtout d’attaques terroristes dont les policiers sont souvent les premières victimes.
Et je pense à Ahmed Merabet, Franck Brinsolaro, Jean-Baptiste Salvaing, Jessica Schneider, et Xavier Jugelé, victimes de la haine aveugle de l’islamisme radical.
Défi posé enfin par un certain nombre de nos quartiers, de nos communes, où progressivement les valeurs qui sont celles de la France sont remises en question et où, à la loi de la République, on voudrait substituer d’autres lois.
Pour y faire face, il nous faut encore et toujours des policiers ayant acquis dans leurs formations des savoir-faire, une grande technicité, mais aussi des policiers qui ont enraciné au plus profond d’eux-mêmes le sens du devoir.
Un de vos illustres prédécesseurs, qui vient de disparaître, le Commissaire Marcel Leclerc écrivait, dans un livre fustigeant toutes les routines et toutes les complaisances – je cite : « le seul critère qui vaille, c’est celui de la compétence alliée à la loyauté ».
Se référant à la phrase de Malraux qui écrivait « une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie », lui le grand flic issu d’un milieu modeste disait à propos de la sienne : « j’ai goûté une vie qui m’a conduit du marais de mon enfance au grand théâtre des événements, à Paris et à Lyon. J’ai choisi l’ascension par la face Nord. Ce n’était pas la plus facile, mais c’est la seule qui procure le sentiment de plénitude une fois le parcours accompli »
Choisir de gravir la face Nord, c’est évidemment s’exposer aux failles, aux pièges, que peuvent faire naître les circonstances. Il faut les affronter avec lucidité, ne pas se laisser emporter, ne pas non plus s’obstiner dans des voies sans issues, faire un nouvel effort pour reprendre son ascension, sans cesse recommencer pour arriver au sommet.
Monsieur le Préfet de Police, je sais pouvoir compter sur vous, et j’aurai l’occasion de vous le témoigner, pour amener toutes les femmes et tous les hommes dont vous avez la charge à toujours choisir cette voie-là fût-elle la plus abrupte. Car cette voie, celle de la face Nord, est celle de l’honneur et du devoir.
Vive la Préfecture de Police !
Vive la République !
Et vive la France !
Je vous remercie.