Visite à l'Hôpital des gardiens de la paix à Paris

Visite à l'Hôpital des gardiens de la paix à Paris
12 avril 2019

Allocution de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, à l'occasion de son déplacement à l'Hôpital des gardiens de la paix à Paris, le 12 avril 2019.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Préfet, secrétaire général de l’administration de la préfecture de police,

Mesdames et messieurs les élus,

Monsieur le préfet, directeur général de la police nationale,

Mon général, directeur général de la gendarmerie nationale,

Mesdames et messieurs les directeurs, sous-directeurs et chefs de services,

Mesdames et messieurs,

Chers tous,

Nous avons chacune et chacun d’entre nous notre propre histoire avec le suicide. Un sentiment de peur, un sentiment de compassion. Une crainte, une douleur, une incompréhension. Une culpabilité souvent. Trop souvent.

Dans la police, dans la gendarmerie, c’est parfois l’histoire d’un camarade dont on a senti la lente dérive. C’est parfois celle d’un frère d’arme dont on a appris un matin, qu’il ne prendrait pas son service le soir.

Le suicide frappe. Il peut avoir ses signaux faibles. Il peut être un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Le suicide frappe, comme autant d’échecs, comme autant de blessures.

Mais alors, il faut comprendre. Ou il faut tenter de comprendre, d’abord, ce qu’est le suicide. Il a rarement une cause, un fait unique. Non. Il est un ensemble de douleurs et de pressions qui se font plus fortes, plus insurmontables, plus insupportables. C’est ce sentiment que demain ne sera pas meilleur, que demain ne pourra pas être meilleur.

C’est la sensation au fond de perdre toute emprise. Ce sont ces vers, si justes, de Charles Aznavour : « les parois de ma vie sont lisses, je m’y accroche mais je glisse lentement vers ma destinée ».

Le suicide est un drame et personne, personne pas même ceux qui prennent tous les risques pour protéger les Français, n’en est exempté. Chaque année... chaque année, des policiers et des gendarmes se donnent la mort. En 2018, 35 policiers et 33 gendarmes. Depuis janvier 2019, ce sont 24 policiers et 2 gendarmes à s’être ôtés la vie.

Ces chiffres, je ne vais pas les commenter. Ce ne sont pas des statistiques, ce sont des drames. Et comme chaque drame, nous devons tout faire pour les éviter. Ici devant vous, je vous fais une promesse : nous ne laisserons pas le suicide devenir un risque du métier.

Alors bien sûr, cet acte fatal, je l’ai dit, n’a pas une cause unique. Bien sûr il est quelquefois le fruit d’une blessure sentimentale profonde ou d’une maladie qui ronge l’âme. Mais, on ne peut pas, jamais, se dire « ça n’avait rien à voir avec le service, c’est seulement personnel ». Nous ne pouvons pas ignorer que le suicide est lié à un ensemble de facteurs, pas seulement à un fait déclencheur.

Nous ne pouvons pas l’ignorer. Jamais. Nous ne pouvons pas prétendre qu’un suicide n’a pas d’impact sur le service au prétexte qu’il n’y trouverait pas sa cause immédiate. Quand l’un des nôtres se donne la mort, tous ses camarades s’interrogent, se culpabilisent, se demandent ce qu’ils ont raté, ce qu’ils auraient pu faire, ce qu’ils auraient dû faire. Alors ne faisons pas semblant. Jamais.

Quand il s’agit d’un sujet aussi grave, la politique de l’autruche n’est pas une option. Jamais. Quand il s’agit du suicide, nous ne devons pas sous-estimer aucun risque. Nous ne devons ignorer aucun facteur. Car, je le sais, tout comme vous, policier, gendarme, c’est une vocation particulièrement exigeante.

Alors oui, il y a cet esprit d’équipe qui soude les forces de police, les forces de gendarmerie. Cet esprit de corps qui fait que l’on se bat ensemble, que l’on affronte ensemble, que l’on surmonte ensemble. Depuis que je suis ministre de l’intérieur, il n’y a pas une visite, pas une rencontre, pas un échange où je ne sens pas la puissance de cette cohésion. C’est notre force. Nous devons l’entretenir. Nous devons la préserver. Nous devons la protéger. Nous devons la montrer dans les bons moments et la conserver intacte, comme ici, dans les difficultés.

Vous m’avez dit tout à l’heure, Madame Pinson, combien le métier était aussi une force, combien il permettait de tenir, combien il était ce pilier sur lequel on pouvait s’appuyer. Car je sais qu’il y a une passion de l’uniforme mais je n’oublie pas qu’il y a aussi une pression de l’uniforme.

Cette pression... cette pression qui s’impose à toutes les forces de l’ordre parce qu’elles prennent leur devoir à cœur. Parce qu’elles savent que les Français comptent sur elles. Parce que leur mission n’est pas une mission ordinaire. Qu’elles combattent la délinquance, la criminalité, le terrorisme. Qu’elles côtoient la mort et le danger. Cette pression, elle est renforcée par les critiques injustes et les attaques infondées. Quand j’entends certains policiers me dire qu’ils demandent à leurs enfants de cacher, à l’école, leur profession, je sais que ce n’est pas normal. Je sais que ce n’est pas normal et j’ai honte d’une société qui a laissé faire cela. Et nous avons notre part de responsabilité.

Alors une question simple se pose : comment protéger ceux qui nous protègent ? Et une réponse s’impose : nous devons tout faire. Tout faire pour leur offrir les meilleures conditions de travail.

Tout faire pour les aider à surmonter les épreuves et garder intact cet esprit de cohésion que j’évoquais. Tout faire. Tout faire pour éloigner, par tous moyens, le risque du suicide dans la police et dans la gendarmerie.

Alors, aujourd’hui, avec vous, j’ai décidé de me battre. J’ai décidé de renforcer nos moyens et nos actions. J’ai décidé d’affirmer haut et fort que le suicide dans la police, dans la gendarmerie, ne sera jamais une fatalité.

Il y a un an, mon prédécesseur avait alerté sur ce sujet. Mais alerter, ça ne suffit pas. Alors le Gouvernement a pris le problème en main et un plan d’action contre le suicide a été décidé.

Notre premier objectif, c’est de savoir déceler l’alerte et de répondre à l’urgence.

Le passage à l’acte est une décision qui s’ancre progressivement mais fermement dans l’esprit d’un homme ou d’une femme. Détecter, signaler, permettre la prise en charge, c’est la première des nécessités.

Un numéro de téléphone dédié, disponible 24 heures sur 24, permettra de signaler les risques et de mettre les personnes en souffrance en relation avec des psychologues. Il existe. Il existe dans la gendarmerie. Il doit être mieux connu encore. Au-delà de cet appel, il doit être le début d’un accompagnement dans la durée.

Ici, à l’hôpital des gardiens de la paix, vous me l’avez dit. Je l’ai entendu. Des réunions et des séances de formation seront mises en place pour que chacun soit sensibilisé et à même de tirer la sonnette d’alarme pour les autres mais aussi pour soi. Cette sensibilisation doit s’adresser à chacun, de la base au commandement. Le commandement dans la police comme dans la gendarmerie, justement, doit être une vigie attentive et bienveillante. Il doit savoir comment réagir, respecter des processus clairs et bien établis.

Nous devons aussi briser un tabou. Le tabou du besoin d’aide. Il n’y a aucune gloire, jamais, à souffrir dans son coin. Aucune honte, jamais, à saisir une main tendue. Policiers et gendarmes sont des héros du quotidien. Policiers et gendarmes peuvent aussi connaitre ses difficultés. Pour une raison simple : c’est qu’ils sont des femmes et des hommes qui peuvent être abimés de détresse et emportés par des sentiments. Nous devons le répéter sans cesse et le faire comprendre. Nous devons l’assumer et ne pas le cacher.

J’ai ma part de doute et chacun a sa part de doute. Il doit être, ce doute, le sel de la vie ou le sel de l’esprit, cher à Alain le philosophe. Mail il ne doit jamais, jamais brûler la chair.

Alors une fois une alerte signalée, il est capital de continuer à travailler ensemble. Les psychologues, la médecine préventive, la médecine statutaire, les assistants sociaux, les psychiatres, le commandement... chacun doit œuvrer dans le même sens, se coordonner, se parler, agir et se dresser contre le suicide. Nous devons mieux orienter, aussi. Accompagner vers le secteur psychiatrique. Nous devons aussi mettre en place un accompagnement infra familial, chaque fois que nécessaire.

Cette approche globale, c’est le sens de l’élaboration d’un schéma directeur de l’accompagnement psychologique en gendarmerie. C’est le sens, également, des liens qui se créent entre la police et les structures de soin dans chaque territoire. Des premières conventions ont d’ores et déjà été signées. C’est une bonne chose. Il faut continuer. Je veux que ce soit généralisé partout sur l’ensemble du territoire national.

Le deuxième pilier de notre action, c’est la prévention.

Il convient d’en créer une culture commune. Il convient de faire connaître les risques psycho-sociaux.

Nous devons simplifier les systèmes actuels, les rendre plus accessibles à tous. Et je pense, notamment, dans la police, à la fusion nécessaire du réseau des assistants de préventions et de celui des référents d’accompagnement du personnel.

Nous devons améliorer notre suivi psychologique, médical et social, dans la durée, en particulier pour les agents les plus exposés. Je pense aux forces de l’ordre qui ont été blessées et ne doivent en aucun cas, jamais, se sentir abandonnés. Je pense à ceux qui reprennent du service après une maladie, notamment une dépression. Je pense enfin à tous ceux qui sont fragilisés socialement et, je n’ai pas peur d’utiliser le mot, sentimentalement. Le divorce, les difficultés financières, la solitude sont autant d’alliés des pensées noires.

Notre troisième axe, enfin, contre le suicide, c’est d’améliorer le travail au quotidien.

C’est une orientation plus vaste, plus générale. C’est le sens même de mon action. C’est ma volonté de défendre l’honneur des forces de l’ordre, trop souvent mis en cause. C’est mon désir de remettre policiers et gendarmes sur le terrain, de les débarrasser, au plus vite, des tâches indues. Ce sont ces moyens supplémentaires, 10 000 postes créés d’ici la fin du mandat, ces rénovations de caserne et de commissariats : un plan d’investissement de 900 millions d’euros d’ici la fin de l’année 2020 doit être engagé. Ce sont ces 6 000 voitures neuves qui sont livrées cette année.

Mais améliorer les conditions de travail, c’est aborder toutes les questions avec les policiers, affronter les problèmes, régler les situations. C’est entretenir un dialogue permanent avec les syndicats, avec la concertation. C’est favoriser les activités de cohésion ; favoriser l’entretien d’un lien, par tous moyens.

Mesdames et messieurs,

L’année dernière, l’ambition de ce plan d’action contre le suicide avait été annoncée. Il faut maintenant mettre les bouchées doubles. La question est trop grave, la responsabilité trop forte : ergoter n’est pas envisageable. Ce sujet me tient à cœur. Il est aux cœurs de trop de policiers, de gendarmes, de familles, qui ont perdu un collègue, un frère d’arme, un être aimé. Parce qu’un jour, et je l’ai vécu, j’ai dit moi-même « à demain » à un père et je n’ai pas pu lui dire « à demain ». Parce que je ne veux pas, jamais, qu’aucun des nôtres ne puisse dire ces mots par la crainte de ne pas revoir l’autre le lendemain.

Alors je compte, Mesdames et Messieurs, sur des avancées fortes. Sur une mise en place irréprochable de ce plan. J’y veillerai personnellement.

Nous devons le décliner localement. Dans la police, c’est le rôle, notamment, des commissaires, des officiers, des instances professionnelles. Dans la gendarmerie c’est une des missions du commandement local, des commissions locales de prévention.

Mais ce n’est pas tout. Nous devons nous coordonner, porter une ambition, porter une détermination.

Pour nous y aider, j’ai décidé la création, pour la police nationale, d’une « cellule alerte prévention suicide ». Cette cellule sera coordonnée par Noémie ANGEL, membre de l’Inspection générale de l’administration. Elle maîtrise parfaitement ces sujets, je lui fais toute confiance. Elle aura pour l’entourer un officier de police et un spécialiste psychiatre. Ensemble, ils auront pour mission de porter ce plan d’action contre le suicide dans la police. Mais ils seront aussi des référents. Des forces de propositions. Ils feront évoluer notre action. Ils feront analyser chacun de nos outils. Évolution et attention que nous devons aussi porter au sein de la gendarmerie.

Dans les 15 jours, je présiderai moi-même leur installation. Je rappellerai mon exigence, ma détermination, ma vigilance. Ils me feront des comptes rendus mensuels de leur activité et un message sera adressé à tous les policiers pour faire connaître la création de cette cellule, pour la rendre accessible, disponible.

Mesdames et messieurs,

Nous n’avons pas une minute à perdre : notre action contre le suicide ne doit pas attendre. La police, la gendarmerie, n’est pas malade du suicide. Elle présente un contexte qui peut contraindre, faciliter, mettre la pression. Mais elle sait réagir. Elle l’a montré. Notre ministère sait réagir. Il l’a montré.

Mais parce que nous sommes différents des autres, parce que nous sommes la police, la gendarmerie, nous devons sur ce sujet une exemplarité plus forte encore. Nous devons renforcer ce modèle, cette ambition, cette exigence.

Mesdames et messieurs, je ne sais si le suicide est le seul problème philosophique vraiment sérieux. Ce que je sais en tous cas, c’est que c’est le problème de trop pour un homme, pour une femme, qui tentent de mettre fin à ses jours, ou y parvient. Que c’est aussi celui de leurs collègues, marqués à jamais. Que c’est celui de leurs familles, brisées.

Alors, si c’est le problème des forces de l’ordre : c’est mon problème. Alors, avec vous, avec vous tous, nous allons nous battre. Nous allons nous donner toutes les chances.

Nous allons montrer la force de la cohésion que j’évoquais au début de mon propos. Nous allons combattre le fléau du suicide.

Je compte sur chacune et chacun d’entre vous.

Vous pouvez compter sur moi.

Merci à tous.