Allocution du ministre de l'Intérieur à l’occasion de la déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe

Allocution du ministre de l'Intérieur à l’occasion de la déclaration du Gouvernement sur la politique migratoire de la France et de l’Europe
7 octobre 2019

En application de l'article 50-1 de la Constitution.

Assemblée nationale le 7 octobre 2019.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les députés,

Monsieur le Premier ministre,

Madame et Monsieur le ministre,

J’ai une conviction profonde : notre politique d’immigration, d’asile et d’intégration n’appartient pas à un ministère, mais implique la mobilisation de tous.

Il y a presque trois ans, à Montpellier, lors d’un discours de campagne du Président de la République, les fondements de notre politique en ce domaine avaient été posés.

Nous devons travailler de concert, aborder ensemble tous les aspects de la question de notre politique migratoire, et nous tenir éloignés des idées reçues.

Je sais combien le sujet que nous allons aborder est essentiel. Je le mesure chaque jour en tant que ministre de l’intérieur. C’est un sujet qui suscite le débat, y compris au sein de votre Assemblée.  Pour beaucoup d’entre vous, ce sujet interroge.

Parler de politique migratoire, c’est souvent parler de sa propre histoire et nous ne pouvons pas l’ignorer.

La politique migratoire, c’est d’abord une question internationale : Jean-Yves Le Drian vient de l’aborder. Et dans cet ordre international, il existe aujourd’hui un acteur majeur : l’Europe.

Je commence par l’Europe parce qu’elle est au cœur des défis, comme des solutions. Parce qu’on ne peut pas, aujourd’hui, penser la France, sans penser l’Europe.

L’espace Schengen s’est construit sur deux piliers : la liberté de circulation à l’intérieur des frontières et la protection des frontières extérieures. Très vite, des progrès majeurs ont été accomplis sur le premier volet, alors que le second ne nous a que plus récemment occupés.

Aujourd’hui, si nous menons des contrôles extrêmement poussés sur les routes et dans les aéroports, certaines frontières extérieures de l’Union européenne que nous appelons les « frontières vertes » sont encore mal contrôlées et ne permettent toujours pas une gestion satisfaisante des flux migratoires irréguliers.

Nous le savons bien, à cette difficulté de contrôle s’en ajoute une autre : nous ne disposons pas à ce jour d’outils et de règles cohérents et efficaces entre les États membres en matière de droit d’asile.

C’est pour cette raison que le Président de la République s’est engagé, très tôt, à chercher les voies et moyens de refonder Schengen. Pourquoi ?

  • pour encourager à l’établissement, aux frontières extérieures de l’Union européenne, de « centres contrôlés », que le Conseil européen appelait de ses vœux dès juin 2018 ;
  • pour faire en sorte de mieux nous appuyer sur l’Agence européenne des garde-frontières et œuvrer à la création de l’Agence européenne de l’asile ;
  • enfin, pour poser la question d’une prise en charge financière par l’Union européenne de ces procédures.

Cette réforme de Schengen, pour être crédible et cohérente, doit nécessairement s’accompagner d’une réforme concertée des règles européennes de coordination de la prise en charge des demandes d’asile. 

Le règlement Dublin, élément essentiel de la politique d’asile de l’Europe, définissait une règle d’apparence simple : le pays de première entrée d’un demandeur d’asile traite sa demande.

Très vite, il est apparu que ce principe était difficilement applicable. Comme nous l’avons vu par le passé en Grèce et en Italie, les arrivées, lorsqu’elles deviennent massives, interdisent un traitement adapté des demandes.

De plus, les réseaux criminels, qui font le commerce ignoble des vies humaines, ainsi que les demandes multiples introduites rendent difficile la solidarité entre les États européens.

Ma conviction, c’est que nous ne pouvons pas oublier que derrière ce que nous appelons des « flux », il y a des femmes et des hommes, il y a des parcours de vie… ou de survie.

Je sais que des avancées sont possibles et que la solidarité peut exister entre Etats. J’étais il y a deux semaines à La Valette avec mes homologues allemands, italiens et maltais, notamment. Nous avions des intérêts contradictoires, mais nous sommes parvenus à définir les fondements d’un accord pour assurer une gestion solidaire des personnes recueillies en mer, en Méditerranée centrale, parce qu’il y a urgence à agir et que nous en sommes tous conscients.

Laurent Nuñez et Amélie de Montchalin travaillent à ce que cet accord soit porté par le plus grand nombre d’États.

Cette dynamique, il nous faut la développer et parvenir, dès que possible, à une réforme globale et durable du système européen de l’asile, qui visera deux principes : solidarité et responsabilité.

Nos objectifs sont clairs :

  • mieux lutter contre les réseaux et les trafics qui organisent le commerce de la vie humaine et mieux contrôler les flux irréguliers ;
  • établir une véritable solidarité, tant avec les pays européens de première entrée qu’avec les États de destination, comme la France ;
  • faire échec aux flux migratoires secondaires au sein de l’Union européenne, qui déstabilisent l’espace européen.

Dès l’installation de la nouvelle Commission européenne, nous devrons être prêts à proposer des solutions pour avancer, sur la refondation de Schengen et sur la réforme du régime d’asile européen. La France sera au rendez-vous. Elle proposera un équilibre entre responsabilité et solidarité.

La responsabilité, cela signifie que des règles effectives doivent déterminer les compétences respectives des États-membres pour l’examen des demandes d’asile. Certains pays ont plaidé pour une augmentation de la durée de responsabilité. Celle-ci devra naturellement s’effectuer dans une proportion raisonnable. Pour réduire les mouvements secondaires, nous rechercherons des solutions, en proposant par exemple qu’un demandeur d’asile ne puisse bénéficier des conditions matérielles d’accueil que dans un seul État, celui responsable de sa demande.

La solidarité, cela signifie qu’une gestion ordonnée des migrations à l’échelle de l’Europe suppose que nous cherchions à aider vraiment les États de première entrée. La France se prononcera en faveur de mécanismes de solidarité, notamment en cas de crise, qui devront être obligatoires. Obligatoire dans son principe, cette solidarité pourra se manifester par des formes différentes selon les États.

Nous sommes pleinement mobilisés sur cet objectif que je porterai aux Conseils des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne. Mais je suis lucide : les discussions seront longues et complexes.

***

Mesdames et messieurs les députés,

Je souhaiterais maintenant rappeler quelques faits, quelques réalités – car c’est bien de là que nous devons partir.

La toute première donnée, c’est le volume d’entrées régulières sur notre territoire national : 256 000 en 2018, dont 90 000 par la voie de l’immigration familiale, qui est stable,  83 000 étudiants et 33 000 personnes pour des motifs économiques, motivations qui sont quant à elles en forte hausse, ce qui témoigne de l’attractivité de notre pays pour les talents, et qui reflète les choix que nous avons faits.

256 000 entrées, c’est deux fois le volume de la demande d’asile, qui occupe bien souvent les esprits. Mais cette dernière est singulière en France par rapport à la plupart de nos voisins européens.

Alors que la demande d’asile a baissé en Europe ces deux dernières années, elle a sensiblement augmenté en France : 120 000 demandes en 2018. C’est un record. C’est plus de 20% d’augmentation par rapport à 2017. Dans le même temps, la demande d’asile baissait de 18% en Allemagne.

Ces données doivent nous interroger. Elles ont des conséquences sur notre capacité à bien traiter les demandes de ceux qui ont un réel besoin de protection et qui sont, disons les choses, les premières victimes d’un système en tension.

A ce titre, nous devons être en mesure d’expliquer aux Français qu’un nombre important de demandes d’asile proviennent de pays considérés comme sûrs.

Cette liste de pays sûrs est établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais découle aussi de la jurisprudence du Conseil d’État qui a été souvent amené à se prononcer. Pour le dire simplement, un pays sûr, c’est un pays où non seulement l’État n’est pas une menace pour ses citoyens, mais aussi où existe un système juridictionnel performant, garant de l’État de droit.

Ainsi, parmi les pays dont la demande d’asile croît de manière importante en France, on trouve la Géorgie et l’Albanie avec des demandes en forte hausse sur un an : 86% pour l’un et 35% pour l’autre.

A ces demandes de ressortissants de pays sûrs, s’ajoute la défaillance du système Dublin puisque près de 30% des demandes d’asile sont effectuées par des personnes qui ont déjà entamé une procédure dans un autre pays d’Europe.

Nous devons regarder les choses en face. Ces chiffres montrent que notre système est peut-être en partie dévoyé, détourné.

Ils montrent la très forte pression qui pèse sur nos services publics. Je pense aux préfectures, bien sûr, mais aussi à d’autres services, et parmi eux, évidemment, notre système de soins et de santé.

Ils justifient notre décision d’augmenter nos capacités d’hébergement depuis le début du mandat. Ainsi, 7500 places pour demandeurs d’asile et 5000 places pour les réfugiés ont été créées. C’est un effort concret. C’est un effort effectif : ces hébergements sont ouverts, ils sont occupés. C’est un effort sans précédent, aussi, et nous l’avons fait.

Enfin, depuis mai 2017, nous avons sincérisé le budget de l’allocation pour les demandeurs d’asile. Cet effort attendait depuis trop longtemps et nous l’avons produit.

***

Mesdames et Messieurs les députés,

Dès le début de la législature, nous nous sommes saisis des questions d’immigration, d’asile et d’intégration. Nous l’avons fait avec sérieux et sérénité – forts de la conviction que la parole ne doit pas seulement être donnée à ceux qui ne parlent de cette question que par amalgames et par contre-vérités.

La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Les lois de finances successives les ont concrétisées de manière volontariste, et vous le savez, cet effort sera encore amplifié dans le projet de loi de finances pour 2020.

Aujourd’hui, un an après sa promulgation, la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie est pleinement entrée en vigueur. Toutes les mesures réglementaires nécessaires à son application ont été prises et les crédits budgétaires, les moyens matériels et les mesures d’organisation ont été au rendez-vous.

Je retiens que ce texte a permis des avancées fortes. Des avancées nécessaires et utiles. Et je voudrais dès maintenant vous en donner deux exemples concrets.

Le premier, c’est l’allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours des étrangers qui sont en situation irrégulière.

Vous aviez débattu, et c’était tout à fait légitime, de la proportionnalité de la mesure et du risque qu’elle conduise à la rétention dans des lieux fermés d’un trop grand nombre de personnes, sans certitude sur l’utilité de ces mesures privatives de libertés :

  • premier constat : cette mesure n’a pas conduit à augmenter la durée moyenne des placements en rétention ;
  • deuxième constat : seulement 10 % des personnes placées en rétention y séjournent plus de 45 jours ;
  • troisième et dernier constat : dans 40 % des cas de séjour de plus de 45 jours en centre de rétention administrative, des éloignements effectifs du territoire sont réalisés. Sans la loi adoptée, nous n’aurions pas pu opérer ces reconduites.

Le deuxième exemple que je voulais citer, c’est la possibilité pour les préfets de prendre, dans certains cas et notamment pour les demandes émanant de pays sûrs ou pour des personnes qui ont troublé l’ordre public, des mesures d’éloignement dès que l’OFPRA rend une décision de rejet de la demande d’asile, et que celle-ci est confirmée par les juridictions.

Depuis son entrée en vigueur, cette disposition a permis aux préfets de prendre plus de 3000 obligations de quitter le territoire français.

Cette mesure est simple. Elle est efficace. Et elle est très compréhensible pour les filières qui organisent l’arrivée sur notre territoire de personnes qui entendent dévoyer notre tradition d’asile.

Sachez aussi qu’avec Laurent Nuñez, nous multiplions nos déplacements dans les pays d’origine concernés et les contacts avec leurs autorités, pour bâtir des coopérations de confiance.

Ces démarches sont efficaces, j’en veux pour preuve non seulement le niveau de coopération inédit que nous avons atteint avec les pays d’origine des étrangers en situation irrégulière pour la délivrance des documents consulaires nécessaires aux éloignements, mais aussi la réussite d’opérations d’éloignement complexes.

Aide au retour volontaire, avec un dispositif mieux calibré et mieux ciblé, contrôles aux frontières intérieures et enfin éloignements forcés, qui ont augmenté de 10 % en 2018, et progressent encore en 2019 : dans le domaine de la lutte contre l’immigration irrégulière, tous les outils sont mobilisés.

Bien sûr, des chantiers restent à mener. C’est précisément l’objet de ce débat.

Nous devons, par exemple, tenir compte du souhait de la plupart des réfugiés de résider dans des grands centres urbains. C’est là qu’existent la plupart des opportunités de travail et je suis convaincu que c’est notamment par l’insertion professionnelle que nous réussirons l’intégration.

Nous recevrons bientôt, avec Julien Denormandie, des maires qui se sont engagés pour réussir cela, ou qui ont signalé leur disponibilité pour y contribuer. Mais nous devons aussi veiller à ce que les opportunités de logement, d’emploi, qui existent dans les plus petites villes soient elles aussi saisies. C’est l’idée de l’orientation directive, sur laquelle nous travaillons.

***

Mesdames et messieurs les députés,

Vous le savez, notre politique d’immigration vise à un aboutissement : l’intégration de celles et ceux que nous choisissons d’accueillir.

Des mesures fortes ont été prises. Nous avons revu notre parcours d’intégration pour doubler le nombre d’heures de français et de formation civique. Nous avons aussi renforcé considérablement les programmes qui favorisent et permettent l’insertion professionnelle. Les moyens budgétaires dédiés aux politiques d’intégration ont été portés en deux ans, à des niveaux sans précédents dans l’histoire de ce pays.

Il y a quelques mois, encore, je me suis rendu avec Muriel Pénicaud à Juvisy auprès de personnes bénéficiant du programme HOPE d’intégration par le travail. J’ai constaté son efficacité. Cela confirme le choix que nous avons fait, en juin dernier, à la suite du rapport d’Aurélien Taché, d’étendre à l’insertion professionnelle nos politiques d’intégration.

Mais nous devons encore aller plus loin, et j’ai la conviction que nous pouvons mieux faire encore : pour les femmes ; pour les réfugiés qualifiés, qui ne peuvent pas toujours exercer les professions auxquelles ils ont été formés ; pour les secteurs en tension, qui peinent à recruter.

A ce dernier sujet, nous avons engagé une réflexion, pour simplifier les procédures et revisiter la liste des métiers dits « en tension », dont l’OCDE nous rappelle régulièrement les limites et les imperfections.

Mesdames et messieurs les députés,

Comme vous, je me rends sur le terrain, j’écoute les Français, leurs remarques et leurs craintes. De toutes ces rencontres, je tire une conviction : le but de notre politique d’immigration, c’est la réussite de l’intégration.

C’est la clé de notre pacte républicain. C’est le meilleur rempart, aussi, contre le communautarisme.

Car l’intégration ne sera un succès que si nos règles, claires et lisibles, sont respectées. Les valeurs de la République sont une ligne rouge sur laquelle on ne peut transiger. Notre devoir est d’y veiller.

C’est un devoir vis-à-vis des Français. Un devoir vis-à-vis de celles et ceux qui nous demandent l’accueil.

C’est un devoir vis-à-vis de nos valeurs aussi.

Nous avons besoin de lucidité, pas de fantasmes.

Nous avons besoin de courage, pas d’à-priori.

Nous devons être à la hauteur des enjeux, à la hauteur des attentes et ne laisser aucune question sans réponse, aucun aspect sans débat.

Avant de vous remercier, je voudrais m’excuser de devoir quitter nos débats alors qu’ils ne seront pas terminés mais je vais recevoir tout à l’heure les familles des personnes décédées jeudi dernier à la Préfecture de police afin de préparer avec elles l’hommage qui leur sera rendu demain matin.

Je vous remercie.