Moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme

Moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme
10 février 2017

Audition devant la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.


- Seul le prononcé fait foi -

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Je veux tout d’abord vous remercier de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui devant vous, dans le cadre de la mission de suivi qui vous a été confiée, le 21 septembre dernier, par la Commission des Lois, concernant le rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Au terme de plusieurs mois d’un travail important et documenté, vous avez avancé 40 propositions, dont la mise en œuvre relève, pour bon nombre d’entre elles, du ministère de l’Intérieur. Ce dernier a évidemment prêté tout son concours à vos travaux. Il a mobilisé les services concernés, vous a permis de participer à des exercices, bref il s’est efforcé de vous faciliter la tâche et de vous apporter tous les éléments susceptibles d’éclairer vos réflexions, à l’exception, bien sûr, des éléments concernant les procédures judiciaires alors en cours.

Le Gouvernement est en effet convaincu – je le suis moi-même, comme l’était mon prédécesseur Bernard CAZENEUVE, que vous avez auditionné par deux fois – qu’il est indispensable de faire preuve de la plus grande transparence possible, y compris en matière d’antiterrorisme. La démocratie ne peut que sortir renforcée d’une telle démarche, dès lors que celle-ci est conduite avec toute la rigueur nécessaire.

C’est la raison pour laquelle, comme vous l’avez souligné, le ministère de l’Intérieur vous a d’ores et déjà transmis des éléments précis sur l’état d’avancement de 22 propositions parmi les 40 que vous avez faites – plus de la moitié, donc –, et ce dans différents domaines : le renseignement, la protection du territoire national, l’organisation des secours ou encore la coopération à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, je souhaite, dans le cadre de mon audition, vous apporter des éléments de réponse complémentaires.

Évidemment, et cela ne surprendra personne, je m’inscris dans la continuité de l’action conduite par mes prédécesseurs. Il y a là une cohérence globale à laquelle le Gouvernement est attaché. Néanmoins, cela n’interdit pas des évolutions ni des améliorations. Par définition, nul dispositif n’est jamais absolument parfait ni définitivement figé, dans la mesure où il doit aussi, pour être pleinement efficace, s’adapter à l’évolution des menaces. De même, il n’existe pas de « dispositif-miracle », si j’ose dire, qui garantirait un risque zéro, chacun d’entre nous en a conscience.

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Avant de rappeler brièvement quelques évolutions de notre politique antiterroriste, notamment parmi les plus récentes, je souhaite faire un point avec vous sur l’état de la menace djihadiste et vous communiquer les chiffres les plus récents.

Si DAESH et les groupes appartenant à la nébuleuse d’Al-Qaïda subissent aujourd’hui de graves revers en Irak et en Syrie, grâce à l’action de la coalition, la menace n’en demeure pas moins à un niveau extrêmement élevé. En témoignent les attaques qui ont eu lieu sur notre sol au cours de ces derniers mois, à Nice, à Magnanville, à Saint-Etienne-du-Rouvray, et encore la semaine dernière, au Carrousel du Louvre, où le pire a pu être empêché grâce au courage et à la réactivité des militaires de l’opération Sentinelle.

Notre vigilance est donc maximale, comme l’est la mobilisation des forces de sécurité intérieure.

A l’heure actuelle, 695 ressortissants français ou résidents habituels sur notre sol sont présents sur le théâtre des opérations en Syrie et en Irak. Parmi eux, l’on dénombre 291 femmes et une vingtaine de mineurs combattants. 173 individus sont actuellement en transit vers la zone des combats, tandis que l’on estime à près de 980 le nombre de velléitaires susceptibles de chercher à rejoindre les groupes djihadistes. Enfin, plus de 240 individus ont été tués sur place, et plus de 200 sont d’ores et déjà revenus sur le territoire national. A l’égard des returnees, je rappelle d’ailleurs que notre politique est d’une fermeté absolue : notre objectif est que chacun d’entre eux soit pris en compte par nos services, et ce en vue d’une judiciarisation.

J’ajoute que, sur le plan administratif, nous utilisons également l’ensemble des mesures qui sont à notre disposition, notamment celles qui ont été introduites dans notre arsenal juridique par la loi du 13 novembre 2014. A ce jour, plus de 450 interdictions de sortie du territoire ont été prononcées à l’encontre d’individus cherchant à rejoindre les théâtres d’opérations terroristes. Plus de 210 interdictions d’entrée et de séjour ont été prononcées contre des ressortissants étrangers soupçonnés d’être en lien avec des réseaux djihadistes. Enfin, une trentaine d’expulsions a été mise en œuvre depuis le 1er janvier 2015 contre des prêcheurs de haine de nationalité étrangère.

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Face à une telle menace, la première urgence consistait à renforcer et à réformer notre dispositif de renseignement, son organisation, son cadre d’action et les moyens dont il dispose, qu’il s’agisse de la surveillance du haut du spectre ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation. C’était là une nécessité absolue, et un sujet qui a, bien sûr, été largement abordé au cours de vos discussions et dans votre rapport.

Je ne vais pas vous refaire l’historique des décisions que nous avons prises depuis le début du quinquennat, vous les connaissez parfaitement. Je me contenterai de rappeler qu’après la réforme de 2008, qui avait entraîné la disparition des RG, il était indispensable de réorganiser notre dispositif en profondeur. C’est ce que nous avons fait avec la création de la DGSI, confortée et placée au même niveau que la DGSE, et surtout avec la création du SCRT, service de renseignement territorialisé et agissant en milieu ouvert, dont nous avons renforcé le positionnement par rapport aux anciens RG pour qu’il puisse contribuer directement à la prévention du terrorisme. Je n’évoque pas le rehaussement des effectifs, dans la mesure où nous en parlerons tout à l’heure au cours de notre échange.

Il y avait donc besoin d’une réforme, et celle-ci a été faite. Désormais, je crois que les services ont avant tout besoin de stabilité. J’entends les propositions qui sont faites, nous aurons, là aussi, l’occasion d’en parler. Mais ce dont avons besoin, aujourd’hui, j’en suis convaincu, c’est moins d’un bouleversement des structures que d’un travail approfondi et continu sur la méthode, la coopération entre les services, les cultures professionnelles, bref la réalité du travail quotidien des agents.

C’est la raison pour laquelle nous avons fait voter la loi du 24 juillet 2015 qui a élargi les techniques de renseignement à la disposition des effectifs, en les adaptant aux évolutions de la technologie et du droit. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons créé l’EMOPT qui assure le pilotage du suivi des individus radicalisés. Je pense aussi aux échanges de personnels entre la DGSI et la DGSE, à la création d’une cellule DGSE au sein de la DGSI. Je pense au travail important mené au sein de l’Académie du renseignement en matière de formation initiale et continue des agents. Je pense, enfin, au renforcement de l’articulation entre les services du « premier cercle » et ceux du « second cercle ». A cet égard, la DGSI est représentée et associée au travail du SCRT via le bureau central de liaison et de coordination, ce qui permet une relation directe et quotidienne, y compris avec la SDAO. La Gendarmerie participe également à la cellule ALLAT dans les locaux de la DGSI. Dans le but de renforcer encore davantage les échanges opérationnels, la DGSI est d’ailleurs prête à nommer un officier de liaison auprès de la DGGN. Ce faisant, nous tenons compte des préoccupations que vous avez-vous-mêmes exprimées à travers les propositions 13 et 14 de votre rapport. Nous en reparlerons plus en détail au cours de la discussion.

D’une manière générale, nous avons changé de paradigme : l’antiterrorisme n’est plus seulement une affaire de services spécialisés, mais mobilise aussi l’ensemble de nos forces de police et de gendarmerie, qui constituent des capteurs précieux sur l’ensemble du territoire national.

Tout ceci va donc dans le sens d’une évolution de notre dispositif de renseignement au plus près du travail des agents, pour favoriser l’évolution des habitudes et des cultures professionnelles dans le sens d’une coopération renforcée. Jamais les services n’ont autant travaillé ensemble que depuis les attentats de 2015. Moi-même, je réunis, chaque lundi, un état-major spécifique au ministère de l’Intérieur, tandis qu’un Conseil de défense a lieu chaque semaine ou presque à l’Élysée, sous l’autorité du Président de la République.

A tous les niveaux, nous avons donc fait en sorte de renforcer la coordination et le partage d’informations, sur le terrain, dans les territoires, à l’échelon central, au plus haut niveau du pilotage de notre dispositif antiterroriste. Je pense, par exemple, à la gestion de l’attaque au Carrousel du Louvre. Dès 13h45, après avoir écourté un déplacement en Dordogne, j’ai réuni le Préfet de Police et  l’ensemble des services mobilisés, comme je le fais de façon hebdomadaire, pour faire le point sur les faits, les mesures prises et à prendre. Et j’ai pu constater la réalité d’échanges constants et en temps réel pour recueillir, analyser, partager les informations, décider des initiatives adéquates. Chaque service était dans son rôle et a mobilisé ses ressources pour une meilleure efficacité collective. C’est ce que nous avons pu constater et c’est ce qu’a relevé le Procureur MOLINS. Tout cela, j’y insiste, a renforcé cette certitude : les méthodes de travail et la confiance réciproque produisent souvent de bien meilleurs résultats que les organigrammes et les mécanos administratifs.

C’est d’ailleurs de cette façon que nous obtenons des résultats. Au cours de la seule année 2016, 17 projets d’attentats ont ainsi été déjoués grâce à l’action de nos services. La DGSI a procédé à l’interpellation de 223 individus soupçonnés d’être liés à des activités terroristes.

Parmi eux, plus de 141 ont été mis en examen, 112 ont été écroués et 29 sont sous contrôle judiciaire. Depuis le début de l’année 2017, nous travaillons sur le même rythme. 18 individus en lien avec des réseaux djihadistes ont été interpellés, 11 ont été mis en examen, 10 ont été écroués. Je tiens également à souligner la pertinence de notre action et de notre dispositif : 75% des perquisitions qui ont eu lieu depuis le 26 juillet 2016 ont concerné des individus inscrits au FSPRT.

Donc, oui, de la stabilité, de la fluidité, de l’efficacité – mais pour autant pas d’immobilisme. Comme je l’ai dit, je ne suis fermé à aucune évolution, dès lors qu’elle va dans le sens d’un renforcement de notre système de renseignement. Une mission a ainsi été confiée à l’IGA concernant le rapprochement de la DGSI et de la DRPP – cela renvoie à votre proposition 14 –, et ses conclusions me seront bientôt rendues. De même, avec le Garde des Sceaux, nous avons considérablement avancé au sujet du renseignement pénitentiaire, sur lequel vous insistez à juste titre dans votre rapport (proposition 15). Le ministre de l’Intérieur a ainsi mis des ressources à disposition de l’administration pénitentiaire, sur le volet renseignement. La DGSI et le SCRT ont fait des offres de formation, tandis que le SCRT a affecté en permanence l’un de ses officiers auprès de ce nouveau service en cours de constitution.

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Je voulais insister, vous comprendrez pourquoi, sur la question du renseignement, en dans mon propos liminaire. Bien sûr, nous avons également avancé sur d’autres aspects importants de notre système global de sécurité, en lien avec les préconisations que vous avez faites.

Je pense par exemple à notre action au niveau européen. C’est là le défi principal qui se présente à nous. Nous avons fait déjà beaucoup, nous avons été à l’avant-garde, avec l’Allemagne – je pense au PNR européen, à la directive sur les armes, au renforcement de l’agence Frontex et du contrôle des frontières extérieures, à l’interopérabilité des fichiers. Nous devons aujourd’hui continuer en ce sens, et c’est ce que nous faisons. C’est très largement la clé de la sécurité pour l’Union européenne bien sûr, mais aussi pour la France.

Nous continuons donc de réaliser un important travail de conviction auprès de nos partenaires européens. Et ce travail porte ses fruits.

Ainsi, la Commission a récemment proposé trois nouveaux règlements européens pour améliorer l’actuel Système d’information Schengen (SIS II), et nous soutenons l’idée de rendre désormais possible son accès à Europol et à la nouvelle Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes qui succèdera à Frontex. Dès mars 2017, le Fichier des personnes recherchées (FPR 2) permettra de mentionner spécifiquement, dans le SIS, si la personne signalée fait l’objet d’activités liées au terrorisme.

Par ailleurs, pour consolider la protection des frontières extérieures, il est nécessaire de renforcer le nombre d’agences déployés dans les hotspots en Grèce. C’est pourquoi la France a proposé de participer à la constitution du vivier d’agents Europol.

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Sur le plan juridique, nous avons également renforcé le cadre de notre action, renforcé les moyens à notre disposition, et ce en plusieurs domaines. Là aussi, cela croise un certain nombre de vos propositions.

Par exemple, dans le cadre de la loi du 3 juin 2016, nous avons ainsi renforcé considérablement la protection des témoins. Le dispositif prévu pour les repentis a été élargi aux témoins qui pourront bénéficier de mesures de protection, de réinsertion et d’une identité d’emprunt. Ce renforcement de la protection s’est traduit également par la création du statut de témoin confidentiel pour préserver certains témoins de toute pression éventuelle. Enfin, nous avons élargi et renforcé les conditions du huis clos des audiences pour favoriser la sécurité des personnes concernées. Tout cela a d’ailleurs été fait dans la continuité du décret du 17 mars 2014, par lequel nous avons installé la « Commission repentis ».

Dans le cadre du projet de loi sur la sécurité publique, qui vient d’être adopté par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale, nous avons également complété certaines dispositions de la loi Savary du 22 mars 2016 pour tirer les conséquences des enquêtes administratives concernant des salariés occupant des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes au sein de certaines entreprises de transport. Par ailleurs, le projet de loi prévoit d’ouvrir, de manière strictement encadrée, la possibilité d’un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes, lorsque celles-ci sont exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique. Des dispositions ont d’ailleurs été introduites visant à créer une filière spécifique de surveillance armée, dans un cadre très strict d’exercice de cette activité sous le contrôle de l’autorité administrative et n’induisant aucune confusion entre les missions des uns et des autres. Nous faisons donc en sorte d’accompagner et de mieux encadrer l’activité de sécurité privée.

Enfin, concernant les propositions (5 à 9) que vous avez faites en matière d’organisation des secours, nous avons procédé à des avancées significatives, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir au cours de la discussion. Je pense ainsi à l’adaptation des plans ORSEC aux risques d’attentats multi-sites, notamment de type NRBC. Mais aussi à l’élaboration d’une doctrine d’intervention des secours en cas de tuerie de masse, en lien avec les forces de l’ordre et prévoyant des corridors d’extraction des victimes. Je pense également au déploiement du Système d’information numérique standardisé (SINUS), qui permet de recenser les victimes d'un attentat et d'assurer le suivi nécessaire. Ce système, d’ores et déjà mis en place dans plus d’une trentaine de départements, sera généralisé, dès cette année, à l’ensemble du territoire national. Enfin, en 2016, une grande campagne nationale de formation « aux gestes qui sauvent » a été menée, permettant à plus de 100.000 Français, partout dans le pays, de se former à ces techniques de premier secours.

Voilà ce que je voulais vous dire en guise d’introduction à nos échanges. Comme vous pouvez le constater, nous ne cessons d’avancer, de nous adapter aux évolutions des menaces et de l’environnement – juridique, technologiques, opérationnel – dans lequel nous faisons en sorte d’assurer la sécurité des Français et l’intégrité du territoire national. Votre rapport constitue une contribution importante à cet effort collectif, une contribution dont le Gouvernement a tenu compte dans ses propres réflexions et que je veux donc à nouveau saluer. Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous souhaiterez me poser.

Discours de M. Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur
Audition devant la Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015
Assemblée nationale – 10 février 2017