Examen du projet de loi pour la Sécurité publique

Examen du projet de loi pour la Sécurité publique
7 février 2017

Le projet de loi pour la Sécurité publique a été présenté par le ministre de l'Intérieur à l'Assemblée nationale le 7 février 2017.


- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Député(e)s,

Vous comprendrez aisément que je commence mon intervention en saluant une nouvelle fois le courage, le jugement et la détermination des militaires du 1er régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers, déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle. Ils ont fait face avec sang-froid et professionnalisme à l’agression terroriste dont ils étaient la cible vendredi dernier au Carrousel du Louvre.  Je veux leur rendre hommage et les féliciter, comme j’ai eu l’occasion de le faire, le jour même, avec Jean-Yves LE DRIAN et Audrey AZOULAY,  pour leur réactivité et leur parfaite maîtrise de la situation.

Je veux également souligner le sang-froid et la parfaite maîtrise là aussi, des personnes qui étaient présentes sur les lieux, dans ce cœur battant de la France touristique et culturelle, que représente le musée du Louvre, cette foule de parisiennes, de parisiens et de touristes venus du monde entier. « La menace est là, elle demeure » : le Président de la République l’a rappelé. Elle se situe à un niveau qui est élevé. Particulièrement et durablement élevé – j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises.

La permanence de cette menace mobilise pleinement nos forces de sécurité – vous le savez.  Mais celles-ci restent également pleinement mobilisées pour assurer leurs missions de sécurité publique, de lutte contre le crime et la grande criminalité, les réseaux et les trafiquants. Elles restent pleinement mobilisées pour contribuer à la gestion de la crise migratoire que connaît l’Europe. Nos forces de sécurité restent également pleinement mobilisées pour veiller à la sécurité quotidienne et à la tranquillité de nos concitoyens.

Je souhaite, Mesdames et Messieurs les Députés, que nous puissions tous ensemble, sur l’ensemble de ces bancs, en remercier chaque fonctionnaire de police, chaque gendarme. Ils sont et les uns et les autres en toute première ligne pour garantir la paix publique ! Ils remplissent leurs missions dans des situations difficiles et souvent éprouvantes. Ils le font au risque de leur vie – ne l’oublions pas ! L’attentat de vendredi dernier, le prouve une fois de plus : porter un uniforme fait de vous une cible. L’année dernière, 26 policiers et gendarmes ont perdu la vie en service, tandis que plus de 16 000 ont été blessés.

A cet instant, je pense notamment aux fonctionnaires de police gravement blessés à Viry-Chatillon, je pense à Jean-Baptiste SALVAING, à Jessica SCHNEIDER et au major de gendarmerie Christian RUSIG.

Je veux aussi revenir brièvement sur ce qu’il s’est passé à Aulnay-sous-Bois. La Justice est saisie. Il lui revient désormais d’établir très clairement et sans aucune ambiguïté les conditions de cette interpellation. J’ai pour ma part pris immédiatement les mesures administratives nécessaires. Je veux simplement ici rappeler avec la plus grande solennité le devoir d’exemplarité qui doit guider l’action des forces de sécurité, même et surtout lorsque la force et la contrainte légitimes doivent être employées. C’est dans le rapport respectueux entre la population et les forces de l’ordre que notre pacte Républicain puise sa force. J’aurais l’occasion d’y revenir.

J’en viens Mesdames et Messieurs les députés, au texte qui nous occupe aujourd’hui et qui se veut précisément une des réponses aux difficultés d’exercice du métier de policier, de gendarme et plus généralement de dépositaire de l’autorité publique.

Répondre à ces difficultés, et conforter nos forces de sécurité, c’est aussi leur donner plus de sérénité et favoriser par là même un exercice plus apaisé des missions.

Je dois le dire : je suis très heureux et très fier de défendre ce projet de loi devant vous. C’est un des derniers textes importants de cette mandature et il porte sur la sécurité publique. Je veux y voir, le signe d’une mandature pleinement déterminée à faire des enjeux de la sécurité intérieure un des socles du pacte républicain qui nous unit tous au sein de cet hémicycle et au delà.

Entre 2012 et 2016, vous aurez voté quatre lois, quatre lois sur le renforcement de la lutte antiterroriste et contre la criminalité organisée, ainsi que sur le renseignement. Chacun de ces textes a été adopté à une large majorité, à l’issue d’échanges constructifs. Il y a là, à n’en pas douter, le signe d’une maturité démocratique concernant les enjeux de la sécurité publique. Cette maturité démocratique peut nous permettre de dessiner les contours d’un consensus républicain autour de cette nécessité centrale pour  la cohésion de la Nation, qu’est la sécurité de nos compatriotes –  je vous invite à y contribuer. J’y reviendrais si vous le permettez à la fin de mon intervention.

Avant de présenter les principales dispositions du texte qui nous occupe aujourd’hui et qui s’inscrit pleinement – vous l’aurez compris – dans la continuité des lois précédemment votées,  je veux remercier le président de la commission des lois, Dominique RAIMBOURG, pour le travail remarquable qui a été fait et –si vous me permettez – au delà de ce texte, pour l’ensemble du travail qui a été conduit sous sa présidence au cours de cette mandature. Je veux également remercier Yves GOASDOUE, le rapporteur  et l’ensemble des membres de la commission des lois, tout particulièrement Pascal POPELIN pour leurs apports constructifs. Je veux enfin souligner l’esprit républicain qui a prévalu lors de l’examen du projet de loi au Sénat et qui a conduit à l’adoption d’un texte qui est resté équilibré, malgré certaines modifications introduites que le gouvernement n’a pas souhaité soutenir.

Je l’ai dit, le texte qui est soumis à votre examen se veut une réponse à la demande légitime de protection exprimée par les fonctionnaires de police. Il constitue le volet législatif  d’un plan pour la sécurité publique décidé à l’automne dernier par le gouvernement et qui a permis de déployer 250 millions d’euros pour remplacer et moderniser les équipements de protection, les armes et les véhicules mis à la disposition des fonctionnaires de police et des gendarmes. D’autres mesures vont être prises à la lumière de la concertation qui a été conduite pendant plusieurs semaines et dont les conclusions seront prochainement présentées.

Dans le texte initial du gouvernement, trois dispositions principales étaient introduites pour augmenter le niveau de protection des forces de l’ordre :

  • Création d’un cadre juridique stabilisé et modernisé d’usage des armes, commun aux policiers, aux gendarmes mais aussi aux douaniers et aux militaires déployés dans le cadre de réquisitions  - ceux en particulier mobilisés dans l’opération Sentinelle, à qui j’ai rendu hommage au début de mon intervention.
  • Protection de l’identité des policiers et des gendarmes dès lors que  la révélation de leur identité constitue un danger pour eux-mêmes ou pour leur famille. Nous parvenons je crois à un dispositif conciliant protection, respect des droits de la défense et souci de simplicité de la procédure.
  • Augmentation des peines encourues en cas d’outrage à toute personne dépositaire de l’autorité publique.

Des dispositions complémentaires concernant les peines encourues pour les faits de rébellion et de refus d’obtempérer ont été introduites par le Sénat. Rejoignant l’objectif de protection et de respect des forces de l’ordre poursuivi par le gouvernement, je les ai accueillies favorablement.

Des amendements sont proposés pour adapter les pénalités encourues pour d’autres infractions portant atteinte aux dépositaires de l’autorité publique mais également aux sapeurs-pompiers, eux aussi trop régulièrement victimes dans l’exercice de leurs missions. J’en ai pris connaissance avec attention et certains d’entre eux me semblent équilibrés et pertinents.

Je m’arrête un instant sur le cadre commun d’usage des armes, tel que prévu à l’article 1. Pour dire trois choses en écho à certaines critiques formulées:

  • Premier élément : ce cadre nouveau d’usage des armes ne substitue pas au cadre général de la légitime défense,
  • Deuxième précision : il est régi par les principes d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité. Il décrit d’ailleurs précisément les situations dans lesquelles  les forces de sécurité peuvent faire usage de leur arme.
  • Troisième élément : il présente toutes les garanties des jurisprudences de la Cour européenne des Droits de l’Homme et de la Cour de Cassation, notamment celles qui sont relatives aux conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité, que je viens d’évoquer.

Avec ce texte, dont la qualité a été soulignée par le Conseil d’Etat, nous avons eu le souhait de parvenir à un point d’équilibre.

Les rédactions des 3° et 4° de l’article 1er ont suscité des interrogations conduisant à l’adoption d’une nouvelle formulation qui me semble lever celles-ci.

Enfin, le Sénat a souhaité étendre aux polices municipales les cadres d’usage des armes prévus au 1° et 5° de l’article 1er. Si je m’en suis remis à la sagesse de la haute assemblée sur le 1°, j’ai fait part de mon profond désaccord sur le 5°. Nous devons être très vigilants pour ne pas glisser vers la confusion des missions, cette vigilance n’excluant nullement, et le gouvernement l’a montré, une attention particulière quant au cadre d’exercice des policiers municipaux.  Je n’oublie ni Clarissa Jean-Philippe, ni Aurélie Fouquet.

Mais nous y reviendrons au cours du débat, comme nous reviendrons sur la disposition que souhaite introduire M. Georges FENECH, qui permettrait aux policiers et aux gendarmes porteurs de leur arme hors service de pouvoir pénétrer dans un établissement privé accueillant du public sans que l’exploitant ne puisse s’y opposer. Je comprends le souhait que vous exprimez, Monsieur le Député. Il me paraît néanmoins délicat à concrétiser pour des raisons que j’aurai toute à l’heure l’occasion de développer.

Je voudrais également, Mesdames et Messieurs les députés, aborder les autres dispositions du texte.

Le projet de loi entend compléter des dispositions de la loi Savary du 22 mars 2016, relative à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Il se propose de tirer les conséquences des enquêtes administratives concernant des salariés occupant des emplois en lien direct avec la sécurité des personnes au sein de certaines entreprises de transport. Le Sénat a introduit des garanties supplémentaires.

Je comprends parfaitement les interrogations que vous avez eues sur le caractère obligatoire ou facultatif du licenciement du salarié occupant un emploi pour lequel un avis d’incompatibilité aura été émis. Je les ai eues également.

Le Conseil d’Etat a considéré qu’en raison de considérations de sécurité publique, le licenciement devait être automatique. Si le gouvernement n’a pas fait ce choix dans le projet de loi, c’est pour laisser ce débat prospérer au Parlement. La commission des lois a fait ce choix et le gouvernement n’entend nullement revenir dessus.

Si le développement des enquêtes administratives tel qu’il est mis en place au travers de la loi du 22 mars 2016 est pertinent, je veux néanmoins mettre en garde contre la tentation d’un développement trop large de ces enquêtes, qui n’ont de véritable pertinence que pour certaines professions présentant un risque particulier et qu’à la condition que leur volume contenu permette de préserver leur qualité.

C’est ce même souci d’efficacité qui me conduit à vous inviter à la plus grande prudence dans la volonté d’élargissement du partage de l’information en matière de prévention de la radicalisation et de lutte contre le terrorisme.

Si les sénateurs ont introduit des possibilités bienvenues de partage encadré de l’information entre autorités judiciaires et  autorités administratives, ils ont rejeté un amendement relatif à la transmission des fiches S aux maires.

Ces fiches résultent d’une activité de renseignement et celle-ci doit rester une prérogative exclusive de l’Etat, comme le prévoit d’ailleurs la  loi sur le renseignement du 24 juillet 2015.

L’activité de renseignement se nourrit d’informations confidentielles venant notamment de services étrangers. Toute action tendant à laisser penser que le résultat de ces échanges n’est pas hermétique nuirait gravement à la collaboration entre services.

Le travail de renseignement ne peut s’inscrire que dans un impératif de confidentialité qui conduit à limiter le partage d’information aux strictes nécessités. Vouloir partager le renseignement c’est remettre en cause l’activité de renseignement en prenant le risque de dévoiler à ceux qui sont surveillés qu’ils le sont effectivement.

Pour ces raisons essentielles, il ne me paraît pas opportun de partager ces informations avec les collectivités locales. Les élus locaux sont associés aux dispositifs de prise en charge et de prévention de la radicalisation conformément à plusieurs circulaires récentes sur ce sujet et c’est là une bonne chose. Ils peuvent l’être encore davantage,  mais ne mélangeons pas les responsabilités des uns et des autres. Ne créons pas des zones de confusion. Ne bridons pas l’action de nos services de renseignement.

Par ailleurs, le texte prévoit d’ouvrir, de manière strictement encadrée, la possibilité d’un armement des agents de sécurité privée exerçant des activités de protection des personnes, lorsque celles-ci sont exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique.

Quelques mots sur les dispositions introduites au Sénat créant une filière spécifique de surveillance armée. Le gouvernement ne s’y est pas opposé s’agissant de dispositions :
s’appuyant sur un principe préexistant mal encadré
fixant un cadre très strict d’exercice de cette activité sous le contrôle de l’autorité administrative
n’induisant pas de confusion des missions des uns et des autres.

Des amendements sont déposés pour encore mieux encadrer l’activité de sécurité privée. Ils recevront le soutien du gouvernement.

Plusieurs dispositions du projet de loi concernaient également  la lutte contre le terrorisme pour compléter ou préciser certaines dispositions. Elles ont été enrichies et pour aller au bout de cette logique le gouvernement vous proposera un amendement visant à ratifier l’ordonnance du 1er décembre 2016 renforçant la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Le président Raimbourg, dans le prolongement des travaux qu’il a conduits sur la mise en œuvre de l’état d’urgence propose un ajustement de certaines dispositions de la loi de 1955. J’en salue dès à présent la pertinence.

Le projet de loi contient également deux articles qui concernent plus particulièrement le ministère de la Justice, et un article relevant du ministère de la Défense.

Concernant la Justice, le texte prévoit donc tout d’abord d’étendre les prérogatives de certains agents de l’administration pénitentiaire, afin de leur permettre d’exercer des missions de contrôle et de surveillance autour des établissements pénitentiaires. Cette mesure doit permettre de mieux lutter contre l’introduction illicite d’objets dans les prisons. Il y a dans cette disposition une logique d’efficacité et de complémentarité avec l’action des services de police et de gendarmerie dans la lutte contre ces actes de délinquance.

Par ailleurs, nous proposons d’élargir, à titre expérimental et pour trois ans, les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, afin de lui permettre d’intervenir dans la prise en charge, au titre de l’assistance éducative, de certains mineurs, notamment ceux qui reviennent d’Irak ou de Syrie.

Le garde des sceaux aura bien sûr l’occasion de revenir sur ses dispositions.

Enfin, comme je l’ai dit, un article concerne le ministère de la Défense, portant sur le service militaire volontaire et visant à créer un statut spécifique combinant celui de militaire et celui de stagiaire de la formation professionnelle. Vos inquiétudes s’agissant de l’appellation de ce nouveau dispositif ont bien été entendues et le gouvernement veillera à la préservation de l’existant.

Pour conclure, je voudrais rapidement revenir sur ce que j’ai esquissé au début de mon intervention.

Je le dis sans naïveté  - je connais les emballements politiques ! Je connais la facilité qu’il y a à utiliser les questions de sécurité pour se démarquer, pour cliver, et espérer grappiller des voix - mais je le dis, ici, ce soir, dans cet hémicycle, avec une certaine gravité et d’une manière un peu solennelle : je crois que nous pouvons dans notre pays bâtir un consensus républicain  autour de l’enjeu de la sécurité intérieure et sanctuariser ce que j’appelle « le socle de sécurité » nécessaire à notre pays dans les temps présents et pour les années qui viennent.

Je ne veux pas nier les différences d’approches qui existent entre nous et en particulier dans le type de réponse pénale qu’il s’agit d’apporter à certains faits mais je crois  - et je le redis ce quinquennat l’illustre d’une certaine manière, au delà du brouhaha médiatique – je crois que nous pouvons définir ensemble ce « socle de sécurité » nécessaire à notre pays, qui doit faire face à une menace durable, je le rappelle,  et une exigence de sécurité légitimement demandée par nos concitoyens. Sur le niveau des effectifs, sur les doctrines d’emploi, sur la nécessité d’un effort budgétaire soutenu pour rehausser le niveau des matériels et de fonctionnement des services, sur la stabilisation des structures du renseignement – j’y insiste- sur tous ces sujets et sur d’autres que je pourrais évoquer, nous devons pouvoir dégager un cadre commun et républicain.

Ce consensus républicain serait à même, en lui même, de conforter le travail des policiers et des gendarmes de France, comme ce texte se propose de le faire, comme je me propose de le faire, dans les semaines qui viennent.

Je vous remercie.

Discours de M. Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur, le mardi 7 février 2017 à l'Assemblée nationale.