Intervention de M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur, à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), 14 août 2015
Seul le prononcé fait foi.
Monsieur le Préfet des Hauts-de-Seine,
Monsieur le Délégué interministériel à la sécurité routière,
Monsieur le Secrétaire Général adjoint de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris,
Monsieur le Directeur de l’hôpital Raymond-Poincaré,
Monsieur le Professeur Denis SAFRAN,
Mesdames et messieurs,
Je suis particulièrement ému d’être aujourd’hui à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, qui accueille et aide tant de personnes gravement accidentées de la route à se soigner et à se reconstruire. Je remercie très sincèrement l’équipe de direction et toute l’équipe médicale et administrative de Garches de nous accueillir ici.
Par ma présence ici, je veux donner un visage, celui de vos patients, celui de vos soignants, aux froides statistiques de la sécurité routière. Il est essentiel, en effet, de rappeler que, derrière ces chiffres, il y a des drames, des personnes qui souffrent, des vies brisées, des familles dévastées. Il y a des hommes et des femmes qui luttent pour se reconstruire, et des hommes et des femmes qui leur donnent leur temps, leurs compétences et leur talent pour les soigner et les aider. Parmi les victimes de la violence routière, certaines ne parleront ou ne marcheront plus, d’autres devront abandonner leur passion sportive ou culturelle, d’autres encore suivront de longues et douloureuses années de rééducation pour retrouver leurs facultés, dans un centre comme celui-ci où un travail formidable est réalisé. Je veux aujourd’hui être aux côtés de ces victimes, de leurs familles et de leurs proches, dans ce centre de référence où des professionnels d’excellence les accompagnent au jour le jour d’une vie qui ne sera jamais plus la même.
La bataille de la sécurité routière est un enjeu d’humanité. Il s’agit de sauver des vies, et c’est la raison pour laquelle c’est une priorité absolue du Gouvernement. La violence routière n’est pas une fatalité, elle doit être surmontée par l’engagement déterminé des pouvoirs publics et le comportement de chacun.
Je rappelle d’abord le constat. Comme l’a indiqué hier Emmanuel Barbe, le nombre de morts sur les routes de France constaté au moins de juillet 2015 par rapport à juillet 2014 a augmenté de 19,2%, et celui des accidents, des blessés et des blessés hospitalisés est en hausse respective de 6,7%, 7,7 % et 13,8 %. Ce mois de juillet a été le plus meurtrier de l’année 2015, alors que le mois de juillet 2014 avait été marqué par la plus faible mortalité jamais enregistrée au cours d’un mois de juillet. Au lendemain de l’annonce de ces chiffres, je suis ici pour souligner les ravages que peuvent causer les accidents de la route. Au mois de juillet, 360 personnes sont décédées sur la route. Des familles et des destins ont été brisés, des femmes et des hommes ont été enlevés à l’affection de leurs proches. 6617 personnes ont également été blessées, dont 2668 ont été hospitalisées.
Les utilisateurs des deux roues, plus vulnérables, sont les plus concernés par cette hausse. Par rapport à 2014, le nombre de tués chez les usagers de deux-roues-motorisés notamment augmente ainsi de +57 %, soit 67 tués en juillet 2014 contre 105 en juillet 2015, à ce jour. A eux seuls, ils représentent plus des deux-tiers de la hausse de la mortalité du mois de juillet 2015. Les enquêtes portant sur ces accidents nous permettront dans les jours et mois qui viennent d’obtenir une analyse, la plus fine possible, des causes et des responsabilités. D’ores et déjà, il est évident que les conditions climatiques favorables du mois de juillet ont généré une hausse sensible du trafic routier qui n’est pas sans conséquence sur l’accidentalité. Par ailleurs, les conditions météorologiques favorables incitent, en deux roues notamment, à une moindre utilisation des équipements de protection.
Mais la météorologie ne saurait expliquer à elle seule les mauvaises statistiques que nous constatons. Les premières causes des accidents restent bien évidemment liées aux comportements inadaptés des usagers de la route, qu’il s’agisse de la vitesse excessive, de la conduite en état d’imprégnation alcoolique ou sous l’empire de produits stupéfiants, du défaut de maîtrise, de la distraction générée par l’usage des téléphones portables en conduisant, de la somnolence, ces facteurs pouvant bien entendu se cumuler.
S’il y a relâchement des comportements, il nous faut réfléchir et agir sur leurs causes structurelles, et pas seulement conjoncturelles. Et ce d’autant plus que ce phénomène n’est nullement une exception française, mais un phénomène d’ampleur européenne : le délégué interministériel à la sécurité routière a rappelé hier qu’aucun Etat de l’Union ne connaît récemment de baisse régulière et continue de la mortalité routière, et la hausse du nombre de morts de morts sur la route est de l’ordre de 7 % au niveau européen pour le mois de juillet.
J’ai donc engagé mes services dans un travail très détaillé et très fin des causes des accidents, qui se poursuivra et qui livrera des enseignements utiles pour sauver des vies. Mais il y a d’ores et déjà une hypothèse dont nous devons prendre conscience. Avec des infrastructures routières plus sûres et modernisées, avec des véhicules qui ont beaucoup évolué ces dernières années notamment du point de vue de la protection des conducteurs, certains ont peut être parfois - trop - le sentiment qu’ils sont en sécurité dans leur voiture ou sur leur moto, a fortiori s’ils sont près de chez eux, sur un parcours qu’ils connaissent bien pour le pratiquer quotidiennement, ou sur une route dégagée. Ce sentiment peut induire que l’on peut se permettre de s’affranchir des règles. C’est là que le danger pointe. La modernisation des routes et des automobiles, la multiplication des radars et des mesures de protection n’est pas une assurance tous risques contre le danger au volant
Face à ce contexte, le Gouvernement a depuis longtemps pris des mesures. Il en prendra d’autres. Nous devons en effet agir avec volontarisme, détermination et constance, en dialogue avec tous les acteurs de la sécurité routière, comme en témoigne le plan que j’ai lancé au mois de janvier. 19 des 26 mesures annoncées sont déjà entrées en application et nous en attendons des résultats concrets. Je vais y revenir en détail. Bien sûr nous devons en prendre de nouvelles, et le comité interministériel à la sécurité routière, que j’avais évoqué dès le mois de mai, et que le Premier Ministre a décidé de réunir au sortir de l’été, y contribuera
Mais laissez-moi vous dire une chose : toutes les mesures que nous prendrons seront vaines s’il n’y a pas une prise de conscience collective, si nous ne changeons pas collectivement notre comportement sur la route.
C’est la raison pour laquelle je veux, ici à Garches où l’on soigne les accidentés de la route et en leur présence, au lendemain de la publication des derniers chiffres et à la veille du week-end du 15 août qui voit traditionnellement un chassé-croisé s’opérer sur les routes de France, lancer un appel solennel à la responsabilité. Ce week-end les français seront très nombreux sur les routes, pour partir ou revenir de vacances, pour aller déjeuner en famille ou s’adonner à leurs loisirs.
Je veux dire gravement à tous ceux qui prendront la route dans les heures et jours qui viennent qu’ils doivent être sur la route exemplaires et responsables. Et pas seulement ce week-end ; mais à chaque fois qu’ils prennent le volant. Responsables de leur vie, responsables de la vie de ceux qu’ils transportent, responsables de la vie de ceux qu’ils croisent.
Lorsque vous conduisez, votre vie, celle de ceux que vous transportez, celle de ceux que vous croisez, est entre vos mains.
Les conducteurs ont certes un droit à conduire et à circuler, mais ce droit les soumet à une série de devoirs exigeants. Ne pas prendre le volant après avoir bu de l’alcool, ne pas téléphoner en conduisant, ne pas monter sur sa moto sans les équipements nécessaires quelle que soit la température, ne pas enfourcher son cyclomoteur sans avoir attaché son casque, respecter scrupuleusement les limitations de vitesse et la signalisation, adapter en toutes circonstances sa conduite aux conditions météorologiques, à la densité du trafic, à la nature de l’infrastructure routière, ces comportements les seuls qui permettent d’épargner des vies et des souffrances. Chaque mort, chaque blessure grave sur la route est inacceptable car chacune, ou presque, aurait pu être évitée si les règles du Code de la route et les consignes les plus élémentaires de prudence avaient été respectées. A la veille d’un week-end ou nos concitoyens vont prendre la route massivement, je veux le répéter à nouveau, soyez responsables, soyez irréprochables. La route est un espace public partagé, et la citoyenneté ne peut pas y être mise entre parenthèse, ni abandonnée dans son garage ou au parking.
Nous parlons souvent de ce qui nous rassemble tous : la République, ses valeurs, ses principes. Parmi ces principes, il y en a particulièrement un qui ne doit souffrir d’aucune exception : je veux parler du respect. Conduire prudemment, en respectant les règles, c’est se respecter et respecter les autres, et c’est aussi les épargner.
La sécurité routière est donc une co-production entre les pouvoirs publics et les usagers de la route. C’est une responsabilité collective, et une responsabilité individuelle, de chacun, au quotidien.
Bien entendu, les pouvoirs publics sont entièrement mobilisés pour faire appliquer ces règles. Le gouvernement, face à cette situation, prend ses responsabilités. Depuis le début de l’été, 14 000 policiers et gendarmes sont mobilisés chaque week-end de chassé-croisé sur les routes de France pour assurer la sécurité des usagers. Ils contrôlent bien sûr la vitesse mais également l’ensemble des comportements à risques, l’alcool et les stupéfiants, le port de la ceinture ou l’usage du téléphone au volant. J’ai inauguré au début de l’été le premier radar chantier, un radar mobile qui a déjà permis de détecter plus de 62 000 excès de vitesses dans des zones particulièrement dangereuses. J’ai donné aux forces de l’ordre des consignes très strictes pour la répression des comportements dangereux qu’ils constateront.
Que chacun en ait bien conscience. Ma détermination et celle du Gouvernement est totale.
Outre la mobilisation des forces de l’ordre, le gouvernement a pris des mesures fortes au début de l’année 2015. J’ai annoncé en janvier un plan global, cohérent et précis de 26 mesures. Où en est-on ? Nous sommes allés vite. 19 d’entre elles sont déjà en application.
De ces mesures, nous attendons des résultats dans la durée. Et nous allons aller plus loin.
Le Premier ministre l’a annoncé lundi, un Comité interministériel de Sécurité Routière aura lieu à la rentrée. J’avais exprimé le souhait d’une telle mobilisation à l’occasion de la présentation des 26 mesures du plan au mois de janvier et je participerai activement à la préparation de ce CISR et à l’élaboration des mesures nouvelles qu’il contiendra.
Dans cette perspective, un bilan des mesures du plan d’action de janvier dernier sera tiré. En l’annonçant, j’avais indiqué qu’il ne constituait pas « un solde de tout compte ». En tant que ministre en charge de la sécurité routière, je souhaite que ce CISR réfléchisse à une nouvelle stratégie des radars automatisés pour renforcer l’efficacité des contrôles de vitesse. Il devra également cibler la lutte contre les pratiques addictives au volant (alcool, stupéfiants), la protection des populations particulièrement vulnérables (usagers de deux roues motorisés, cyclistes, piétons qui paient un lourd tribut à la mortalité routière). Et puisque, selon l’adage bien connu, la sagesse commence avec la peur du gendarme, du policier ou du juge, le volet répressif sera renforcé. Je n’ai, à cet égard, aucun état d’âme vis-à-vis de ceux qui se mettent en danger tout en exposant de manière inacceptable la vie ou l’intégrité physique de leurs prochains. Enfin, mais j’aurais pu commencer par cela, le développement de la prévention constituera un autre axe structurant et majeur de nos échanges interministériels, dont je viens de dresser quelques pistes, et je ferai des propositions à ce sujet également.
Il est en effet aujourd’hui nécessaire de parler encore davantage de sécurité routière aux Français.
Après ce mois de juillet meurtrier, le gouvernement est absolument déterminé à retrouver une dynamique de baisse de la mortalité sur les routes de France. Mais je le répète, il serait vain de croire, dans notre pays où l’on a trop tendance à s’exonérer de sa propre responsabilité en la transférant sur la collectivité, que la puissance publique détient seule la clé du succès de cette entreprise. C’est un défi civique, collectif et individuel qui nous concerne tous. Ma présence, parmi vous, aux côtés des victimes et de ceux qui les prennent en charge, n’a pas d’autre sens que de rappeler à chacun ses devoirs, face aux insupportables conséquences de comportements irresponsables.
La sécurité routière est un sujet grave qui doit nous rassembler tous. Certaines polémiques ne servent à rien. Je l’ai dit lundi dernier aux côtés du Premier Ministre : on ne lutte pas contre les excès de vitesse par des excès de langage. Ils ne sont pas de mise, car la responsabilité se conjugue mal avec l’outrance de penser qu’une seule mesure pourrait suffire à elle seule à maîtriser une situation complexe, où un ensemble de comportements individuels explique un relâchement général, relève d’une forme de dogmatisme de nature à créer de la division, là où la responsabilisation commence toujours par l’adhésion. Ce qui est efficace, ce qui est courageux, c’est l’analyse objective des causes. A cet égard, je veux rappeler que jusqu'à présent 40% des accidents mortels n'entraient dans aucune des catégories utilisées par les forces de l’ordre pour renseigner sur les causes de ces accidents. C'est la raison pour laquelle, dès la fin de l’année dernière, j'ai demandé que la grille des causes d'accidents, sur laquelle nous fondons désormais notre analyse, soit enrichie et précisée : celle-ci compte désormais 14 critères, et non plus 5 comme c'était le cas jusqu'à présent. Ce qui est efficace, c’est aussi bien sûr la détermination à prendre les mesures pour protéger davantage, et l’incitation à changer les comportements dangereux sur la route par l’éducation, la prévention, la responsabilisation, mais aussi la répression.
En analysant l’histoire des politiques de sécurité routière en France depuis 50 ans, on ne peut que constater les progrès enregistrés depuis les années 1960. Le nombre de morts sur les routes a considérablement baissé. Mais il reste insupportable et inacceptable. Sur le fond, comme lors d’une ascension ou d’un marathon, ce sont les derniers mètres qui sont les plus difficiles à franchir : l’amélioration des infrastructures routières, les normes de sécurité imposées aux véhicules, le durcissement de la réglementation (ceinture, vitesse, alcool, permis à points …) ont permis d’engranger des gains considérables.
Mais nous entrons maintenant dans le plus « dur » du sujet : les comportements individuels (conduites dangereuses, non-respect du code de la route, …).
C’est donc sur ce point qu’il faut collectivement concentrer nos efforts, par l’éducation des jeunes conducteurs et les messages de prévention, et de nouvelles mesures adaptées aux nouveaux comportements dangereux. C’est d’ailleurs la stratégie qui est la mienne, par exemple en décidant l’interdiction de la pratique de l’oreillette afin de lutter contre l’usage du téléphone au volant, facteur aggravant d’accidents.
La réglementation, les normes doivent donc encore progresser, comme la répression des comportements délibérément inadaptés. Le CISR sera saisi de différentes propositions d’actions à cet égard. Elles allieront mesures d’éducation, de protection des usagers vulnérables, d’efficience des mesures répressives, dans le droit fil des recommandations du récent rapport interministériel d’inspection.
Ce rapport, c’est le Gouvernement qui l’a commandé en janvier 2014, précisément pour dresser un état des lieux de ce qui marche et de ce qu’il faut améliorer. Et bien loin de l’enterrer, nous avons repris ses recommandations : parmi les 26 mesures que j’ai annoncées en janvier, 19 sont issues de ses travaux.
Gageons que ces mesures, comme celles que nous prendrons par la suite, déclencheront, comme à chaque fois, des débats et des critiques sur des sujets sensibles, pour lesquels les lobbies sont nombreux et contradictoires, pour lesquels chacun pense avoir SA solution au problème et n’admet la contrainte que lorsqu’elle porte sur les autres usagers. Cela a été le cas en son temps pour la ceinture obligatoire, pour l’instauration du permis à points, pour la multiplication des radars automatiques. Aujourd’hui ces mesures ont sauvé des milliers de vie et sont admises par tous ; il doit en être de même pour les nouvelles règles, en particulier celles concernant l’alcool et l’oreillette.
La sécurité routière est un défi aux autorités publiques, certes. C’est aussi et surtout un défi à la société, à la fois collectif et individuel. Il n’est finalement question que de civisme routier, où chacun est acteur. La route, comme la rue, est un espace public avec des règles, dans la République, et ces règles doivent être absolument respectées.
Pour sa part, le Gouvernement est totalement déterminé à poursuivre l’objectif : pour le tenir, il est nécessaire que la mortalité sur la route baisse de 8% par an, chaque année jusqu’en 2020.
Le Gouvernement assumera donc pleinement ses responsabilités, en continuant l’énorme travail de sensibilisation et d’éducation entrepris, en protégeant les usagers vulnérables, en sanctionnant sans état d’âme ceux qui choisissent de s’affranchir des règles applicables sur un espace public partagé qui impose des devoirs autant que des droits. Il continuera d’aider de toutes ses forces ceux qui comme vous ici à Garches, aider celles et ceux qui sont victimes de la violence routière à se reconstruire.
Il continuera aussi, inlassablement, à appeler tous nos concitoyens au respect des règles de la sécurité routière, qui représente aujourd’hui une condition sine qua non du vivre-ensemble, dans notre pays.
Je vous remercie.