Réunification des familles séparées par des conflits : mission statutaire de la Croix Rouge

Réunification des familles séparées par des conflits : mission statutaire de la Croix Rouge
15 juin 2016

Discours de Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, sur la proposition de loi relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux à l'Assemblée nationale le 15 juin 2016


Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Madame la Rapporteure,

Mesdames et Messieurs les Députés,

La proposition de loi « relative à l’exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux », est la concrétisation d’un engagement pris, voici deux ans, par le Président de la République, pour donner à la Croix-Rouge française les outils juridiques indispensables à l’exercice d’une de ses missions d’intérêt général, qui est celle de la réunification de familles séparées par les conflits armés, les catastrophes, et les crises humanitaires.

Le Gouvernement soutient pleinement les objectifs de cette proposition de loi, qui répond aux attentes légitimes de la Croix-Rouge française tout en garantissant le strict respect de la vie privée et du « droit à l’oubli » des personnes recherchées.

Je tiens à remercier très chaleureusement la députée Françoise DUMAS, qui a permis de faire aboutir ce sujet majeur pour tant de familles déchirées, déracinées. Le Gouvernement vous remercie Madame la députée et la Croix Rouge peut être sensible à l’action qui a été la vôtre.

Depuis 1949, la Croix-Rouge française œuvre à rechercher les membres de familles dispersées, à rétablir et à maintenir le lien familial, et à réunir ces familles. Je rappelle à cet égard que la France a ratifié les quatre conventions de Genève de 1949 et les Protocoles additionnels de 1977, qui prévoient la facilitation du regroupement des familles dispersées et l’appui aux organisations humanitaires qui se consacrent à cette tâche.

En 2015, 562 demandes de recherche ont été traitées par la Croix-Rouge française, et 23 familles ont pu être réunifiées grâce au travail de longue haleine de l’ensemble des salariés et bénévoles du Comité international de la Croix-Rouge.

Bien que les deux-tiers de ces demandes concernent des personnes séparées pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nombreux conflits et catastrophes humanitaires qui agitent le monde, notamment à la frontière de l’Europe, donnent à cette mission de rétablissement des liens familiaux une actualité nouvelle.

Je pense en particulier à la crise migratoire qui nous concerne directement. Nous accueillons tous les jours en France des populations déplacées ayant fui, dans de terribles conditions, les conflits armés dont elles sont les premières victimes, empruntant un chaotique chemin de l’exode durant lequel certaines familles ont été dispersées.

Notre responsabilité, pas seulement celle que le droit international nous confère, mais bien notre responsabilité morale, c’est de tout faire pour donner une chance à ces familles déchirées, qui ont tout perdu, de se retrouver.

Jusqu’en 2013, les préfectures participaient à cette mission, à travers de ce que l’on appelait alors « les recherches dans l’intérêt des familles ». Ce dispositif créé au sortir de la Première Guerre Mondiale mettait les outils de recherche de la puissance publique au service de particuliers recherchant un membre de leur famille disparu, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’un mineur ou d’une disparition inquiétante.

Dans les faits, le nombre de demandes a constamment diminué d’année en année, de telle sorte que la procédure est progressivement tombée en déshérence. Parallèlement, les préfectures ont fait face à l’augmentation de la part des demandes sans lien direct avec le rapprochement des familles, qui consistaient le plus souvent à rechercher des débiteurs d’aliments.

Par ailleurs, le développement des réseaux sociaux sur Internet a également permis de faciliter les recherches des demandeurs pour les cas les plus simples.
C’est dans ce contexte que mon prédécesseur a pris la décision, en 2013, d’abroger le dispositif de recherche dans l’intérêt des familles.

Dès lors, la Croix-Rouge française est devenue la seule instance de recours des particuliers pour les aider dans leurs démarches, dès lors que les circonstances de la disparition sont celles d’un conflit, d’une catastrophe naturelle ou d’une crise humanitaire.

Or, la Croix-Rouge n’a actuellement, du point de vue du droit, aucun accès spécifique aux informations détenues par l’administration. Il lui est donc régulièrement opposé la non-communicabilité de documents administratifs qui pourraient pourtant aider à l’aboutissement des recherches de personnes disparues.

Je veux donc à présent en venir au contenu de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Ce texte introduit 3 dérogations dans le droit existant pour permettre à la Croix-Rouge française, dans sa mission de rétablissement des liens familiaux, d’obtenir de la part des administrations d’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics administratifs, des organismes de sécurité sociale et des organismes qui assurent la gestion des prestations sociales, les informations indispensables à la détermination du sort de la personne recherchée.

Il appartiendra à ces organisations, sous le contrôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, d’apprécier le caractère « indispensable » des informations demandées, ce qui introduit une certaine souplesse dans le dispositif pour éviter les demandes superflues ou celles qui excèdent les limites de la mission de rétablissement des liens familiaux.

La Croix-Rouge française pourra également obtenir communication des copies intégrales et extraits d’actes de l’état-civil, et vérifier l’inscription d’une personne sur les listes électorales.

L’article 4 de la proposition de loi rappelle les principes déjà appliqués par la Croix-Rouge française dans le traitement du rétablissement des liens familiaux, à savoir le consentement écrit préalable de toute personne retrouvée avant communication de ses coordonnées aux membres de la famille qui la recherchent.

Accorder à la Croix-Rouge française de telles dérogations pour améliorer l’exercice d’une mission d’intérêt général est une marque de confiance qui puise sa source dans le sérieux, le professionnalisme et la crédibilité de l’association.

Je rappelle que la Croix-Rouge française adhère pleinement aux valeurs fondamentales du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge que sont : l’humanité, l’impartialité, la neutralité, l’indépendance, le volontariat, l’unité et l’universalité. C’est la garantie, maintes fois constatée dans les faits, que chaque personne qui fera appel à la Croix-Rouge française dans sa mission de rétablissement des liens familiaux, bénéficiera d’un traitement impartial, quels que soient sa nationalité ou ses origines.

Par ailleurs, le réseau international des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge est indispensable à l’exercice d’une telle mission, et aucune autre association ne dispose, à ce jour, d’un tel maillage international. Plusieurs Etats étrangers l’ont déjà reconnu en confiant ainsi à leur société nationale des droits spécifiques dans la communicabilité des documents administratifs.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi, dont les mesures ont fait l’objet d’une concertation permanente entre la rapporteur et les services placés sous mon autorité, et qui va je l’espère recueillir un consensus de l’ensemble des bancs de cette assemblée.

Je vous remercie.