Discours de M. Bernard CAZENEUVE, ministre de l’Intérieur, à l'ouverture de la réunion nationale avec les Préfets et les Procureurs, le 7 novembre 2016 à l'École militaire (Paris).
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Mesdames et Messieurs les Procureurs généraux,
Mesdames et Messieurs les Procureurs de la République,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec un grand plaisir que je me trouve parmi vous, ce matin – je dirais même que c’est là un privilège que de prendre la parole devant une telle assemblée, composée à la fois de Préfets, de Procureurs généraux et de Procureurs de la République. Sans être complètement inédite, la réunion d’aujourd’hui est suffisamment rare pour constituer à mes yeux un véritable événement, particulièrement utile et précieux dans le contexte actuel.
Car, Mesdames et Messieurs, nous avons changé d’époque et, à bien des égards, nous avons aussi changé de monde. Comme je l’ai rappelé ici-même, le 12 octobre dernier, devant les états-majors des forces de sécurité intérieure, nous sommes désormais entrés dans une période nouvelle de notre histoire, marquée durablement par la menace djihadiste.
C’est la raison pour laquelle, avec Jean-Jacques URVOAS, nous avons souhaité réunir, dans une même enceinte, les autorités de la République qui, chaque jour, luttent contre le terrorisme et la radicalisation violente avec des outils juridiques qui, pour être différents, n’en traduisent pas moins une même conception de la République et de l’Etat de droit. Je me réjouis donc qu’une telle réunion puisse avoir lieu, car, si je considère pour ma part que le ministère de l’Intérieur est également le ministère du droit, j’ai peu l’occasion de m’adresser directement aux magistrats du parquet, même si bien sûr je vous rencontre régulièrement lors de mes déplacements.
Préfets et procureurs, vous incarnez, sur le ressort de vos territoires respectifs, un Etat de droit fort, contre les menaces et les différentes formes de criminalité. Fort, notamment, des principes de droit sur lesquels repose notre action, laquelle vise à les préserver en toutes circonstances.
Les uns et les autres, chacun dans votre sphère de compétence, vous dirigez l’action des forces de sécurité intérieure. Comme vous le savez, celles-ci sont aujourd’hui traversées par un malaise auquel nous avons déjà apporté, depuis plus de quatre ans, des réponses importantes en termes de moyens humains, matériels et juridiques. Ces réponses, nous continuons de les renforcer, avec l’adoption d’un Plan de 250 millions d’euros, décidé par le Président de la République et que j’ai annoncé le 26 octobre, pour réhausser les moyens dévolus à la Sécurité publique. Mais les femmes et les hommes de la sécurité intérieure ont aussi besoin de cohérence dans leur action quotidienne, et celle-ci procède en partie du dialogue qu’ils entretiennent avec vous, chaque jour, sur le terrain. C’est là un enjeu absolument central.
Voilà pourquoi je souhaite profiter de l’occasion qui nous réunit pour vous exprimer ma conception de la Justice et de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Cette indépendance a une valeur constitutionnelle. Elle implique, pour les acteurs publics, de ne pas mettre en cause les décisions qui sont rendues au nom du peuple français. Bien entendu, elle n’exclut pas, pour celles et ceux qui les rendent, de les expliquer en faisant œuvre de pédagogie – c’est même là une nécessité. Je note d’ailleurs avec satisfaction qu’à ce sujet, de véritables évolutions ont eu lieu ces dernières années, dans un sens positif.
Comme vous le savez, depuis que j’ai pris mes fonctions à la tête du ministère de l’Intérieur, je me suis toujours efforcé de ne jamais commenter les décisions prises par les autorités judiciaires. C’est là une position de principe, une volonté de responsabilité et de respect des règles de l’Etat de droit qui consiste aussi à ne jamais céder à la tentation de la confusion des rôles et des pouvoirs. Dans l’action quotidienne du ministère de l’Intérieur, les décisions du Conseil constitutionnel, les arrêts de la cour européenne des droits de l’homme, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, ne sont jamais perçus comme des obstacles, mais, bien au contraire, comme des garde-fous que nous devons absolument respecter. Ainsi, quand je sollicite le Conseil d’Etat, comme je l’ai fait l’année dernière, et que, dans un avis, il m’indique qu’en dehors de toute procédure pénale, la détention de personnes présentant des risques de radicalisation est exclue tant sur le plan constitutionnel que sur le plan conventionnel, j’en tiens compte, bien évidemment, je respecte cet avis et je m’y conforme.
Dans la lutte contre le terrorisme, de nombreuses mesures relèvent directement du ministre de l’Intérieur, et je peux vous assurer que, s’il a pu arriver que certaines de nos décisions soient annulées par les juridictions administratives – ce qui montre bien que les institutions fonctionnent et assument pleinement leur rôle –, j’ai le souci permanent de leur précision et de leur motivation. Car c’est le respect intangible de nos règles fondamentales qui donne sa force à l’Etat de droit, tout autant que le réhaussement de nos capacités de prévention et de répression.
Face à la menace, l’autorité judiciaire est elle aussi en première ligne, et je veux rendre hommage à l’action des parquets, lesquels font montre, dans la prévention de la radicalisation et la lutte contre le terrorisme, d’un engagement sans relâche et d’une réactivité exemplaire. Je veux notamment saluer l’action du parquet et du parquet général de Paris. Les services de mon ministère, qui travaillent en lien étroit avec vous et sous votre autorité, ont une parfaite conscience de votre rôle et de votre mobilisation, omniprésents également chez les magistrats du siège, tout particulièrement les juges d’instruction, en charge de la lutte contre le terrorisme.
Moi-même je mesure la très forte implication de l’ensemble des magistrats du ministère public, sous l’impulsion du garde des Sceaux. En me rendant à Nice, le soir du 14 juillet dernier, juste après l’attentat qui a semé l’effroi et la désolation sur la Promenade des Anglais, j’ai constaté l’extrême mobilisation des magistrats du parquet de Nice, rapidement rejoints par leurs collègues de la section C1 du parquet de Paris. La complémentarité entre le parquet local et le parquet de Paris répondait bien sûr à l’exigence d’efficacité et à l’évidence du moment, mais elle résultait aussi d’un travail d’anticipation engagé depuis plusieurs mois afin de mieux faire face à ce type de situations.
C’est d’ailleurs parce que je constate régulièrement l’efficacité dont font preuve les parquets dans la prise en charge des dossiers de terrorisme, dès lors qu’il s’agit d’identifier et de rechercher les auteurs de tels actes, avec le double souci de la vérité des faits et de la dignité des victimes, que je vous avoue ne pas comprendre que l’on puisse remettre en cause l’organisation existante, à travers un projet de création d’un parquet national en charge du terrorisme. Cette proposition est formulée par des personnes qui manifestement ne savent pas très bien de quoi elles parlent et qui n’ont pas pris la peine de discuter avec celles et ceux qui disposent d’une véritable expertise sur le sujet. Elle ne repose en effet sur aucune analyse sérieuse.
D’une manière générale, la complémentarité entre l’action judiciaire et l’action administrative se trouve au cœur des dernières évolutions législatives. Elle a été encore renforcée dans le cadre de la mise en œuvre de l’état d’urgence.
Depuis 2012, l’évolution de la législation permettant de lutter contre le terrorisme s’inscrit en effet dans une double volonté d’adaptation et d’anticipation de la menace, et ce dans le strict respect du cadre constitutionnel et des engagements internationaux de la France. Nous avons toujours cherché à concilier et à articuler les réponses administrative et judiciaire, selon trois lignes de force : l’élargissement du cadre préventif, le développement de nouveaux moyens d’enquête et, enfin, le durcissement de la réponse pénale.
Ainsi, lorsque la loi du 13 novembre 2014 a introduit dans notre législation l’interdiction de sortie du territoire, elle a créé, dans le même temps, un nouveau délit de préparation individuelle d’une entreprise terroriste. Grâce à ce même texte, nous avons également renforcé la répression des faits d’apologie et de provocation au terrorisme, et nous avons élargi les outils administratifs pour procéder à des blocages de sites Internet et au déréférencement d’adresses Internet.
La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a institué, quant à elle, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes. La loi du 3 juin 2016, en introduisant les contrôles administratifs des retours sur le territoire national, a créé, de son côté, des dispositions qui, en elles-mêmes, impliquent une articulation de l’action administrative et de l’action judiciaire, tout en posant un principe de primauté de cette dernière.
Enfin, la mise en œuvre de l’état d’urgence nous a conduits à renforcer cette complémentarité, absolument indispensable. Je veux m’arrêter un instant sur certaines dispositions adoptées dans la loi du 21 juillet 2016 qui, de manière légitime, ont pu susciter des interrogations parmi vous. Ce texte a, en effet, introduit un régime de contrôle d’identité préventif, à la suite d’amendements similaires déposés à la fois par la majorité et par l’opposition non pas en raison de difficultés liées à la mise en œuvre des réquisitions de contrôle d’identité que vous avez prises en très grand nombre, mais bien en vertu d’un choix délibéré du législateur, celui d’étendre le cadre de ces contrôles, de manière exceptionnelle et limitée à l’état d’urgence. Cette volonté n’est certainement pas une mesure de défiance à l’égard des procureurs de la République.
Je veux d’ailleurs profiter de ma présence parmi vous pour dresser un bilan à la fois quantitatif et qualitatif de l’état d’urgence et, d’une manière générale, de la mise en œuvre des mesures administratives que nous avons prises pour lutter contre la menace terroriste.
Depuis le début de l’année 2015, près de 80 arrêtés d’expulsion ont été pris contre des ressortissants étrangers liés à la mouvance djihadiste, notamment des prêcheurs de haine. Par ailleurs, 201 interdictions administratives du territoire (IAT) ont été délivrées à l’encontre d’étrangers dont la présence en France constituerait une menace grave pour l’ordre public ou bien pour la sécurité intérieure. Nous n’hésitons pas non plus à fermer les lieux de culte dès lors qu’ils constituent des foyers de radicalisation violente. Une vingtaine de mosquées et de salles de prières radicalisées ont ainsi été fermées, notamment dans le cadre de l’état d’urgence. D’autres dossiers sont actuellement en cours d’instruction.
Parallèlement, nous mettons en œuvre, avec la plus grande fermeté, les mesures créées par la loi du 13 novembre 2014. A ce jour, près de 430 interdictions de sortie du territoire (IST) ont été prononcées à l’encontre de Français soupçonnés de vouloir rejoindre les groupes terroristes actifs au Moyen-Orient. Les mesures de blocage administratif et de déréférencement des sites Internet illicites sont également pleinement appliquées pour contrer l’apologie et la provocation au terrorisme – et par là même le recrutement – sur le Web. A ce jour, 54 sites Internet ont ainsi fait l’objet d’une mesure de blocage pour de tels motifs, et 319 adresses électroniques ont été déréférencées par les moteurs de recherche.
Dans le cadre de l’état d’urgence, nous avons également pris, depuis le 13 novembre dernier, des mesures d’une très grande fermeté pour déstabiliser durablement les filières de recrutement djihadistes et les milieux propices au développement de la radicalisation. A ce jour, plus de 4 000 perquisitions administratives ont eu lieu. La loi de prorogation du 21 juillet a redonné de la vigueur à cette mesure, en ouvrant la possibilité de procéder à des saisies de données informatiques en vue de leur exploitation ultérieure. Plus de 80 ont eu lieu depuis fin juillet. Grâce à ces perquisitions, nous avons d’ores et déjà obtenu des résultats importants, qui se sont révélés fort utiles pour les enquêteurs.
Près de 600 armes à feu ont été saisies, dont 77 armes de guerre. Par ailleurs, près de 500 interpellations ont été réalisées, qui ont donné lieu à 426 gardes à vue. Concernant les assignations à résidence, 95 d’entre elles sont actuellement toujours en vigueur.
Dans ce contexte, le Gouvernement s’est montré particulièrement attentif à renforcer la complémentarité et l’articulation de vos missions et de vos prérogatives. Cela s’est fait en bonne intelligence. J’en veux notamment pour preuve les circulaires croisées, grâce auxquelles nous faisons coexister les mesures d’assignation à résidence et les mesures judiciaires.
Au-delà de ce qui a déjà été diffusé, la circulaire que le Garde des Sceaux et moi-même venons de vous adresser, préparée dans le cadre d’un travail commun entre la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, la Direction des Affaires criminelles et des grâces et la Direction de l’Administration pénitentiaire, entend définir le cadre d’une étroite concertation dans la mise en œuvre des mesures que nous prenons.
Je n’entrerai pas dans le détail technique de ces travaux communs, que développeront tout à l’heure Robert GELLI et Thomas CAMPEAUX, mais je souhaite tout de même m’arrêter un bref instant sur ce qui a guidé la rédaction de cette circulaire conjointe. En premier lieu, je pense au souci qui est le nôtre d’assurer à chacune des autorités concernées une meilleure visibilité sur l’activité de ses partenaires. Je pense aussi à la nécessité de garantir un meilleur partage de l’information dans le but de mieux articuler les mesures prises et de veiller à leur totale cohérence. Enfin, il y a un véritable impératif de continuité des mesures administratives et judiciaires, je pense tout particulièrement à la situation des personnes qui sortent de prison.
Au-delà des points développés dans la circulaire, je souhaite que l’action administrative puisse s’inscrire en complément de celle qui est menée par l’institution judiciaire. Je prends deux exemples : la fermeture de certains lieux de culte, d’une part, et la dissolution de l’association Sanabil, d’autre part. Au cours des derniers mois, nous avons en effet procédé, comme je l’ai dit, à la fermeture d’une vingtaine de lieux de culte, où les principes fondamentaux de la République étaient bafoués. Parce que l’on y prônait un islam radical allant à l’encontre de nos valeurs communes, incitant ouvertement au terrorisme, ces lieux devaient être fermés. C’est ce que nous avons fait, avec la plus grande détermination, et l’action que j’ai conduite dans ce domaine s’inscrit en parallèle de celle que vous conduisez. Certaines de ces mosquées sont en effet apparues dans le cadre des procédures judiciaires comme des lieux de recrutement ou de mise en relation de djihadistes.
J’en viens à la dissolution de l’association Sanabil. Depuis plusieurs mois, celle-ci constituait un vecteur de la radicalisation violente et de la propagande djihadiste, auprès des détenus en prison comme à l’extérieur. Des individus impliqués dans des affaires de terrorisme ont été engagés par l’association Sanabil. Les perquisitions administratives et le travail de renseignement, associant étroitement la Direction de l’Administration pénitentiaire, ont notamment permis de consolider les éléments recueillis sur cette association pour entamer une procédure de dissolution et prendre une mesure de gel des avoirs.
Dans ces deux exemples, vous le constatez, il y a une véritable complémentarité de l’action administrative et de l’action judiciaire, au service d’une plus grande efficacité de l’action de l’Etat, et, partant, au service de la sécurité des Français.
Au-delà du besoin renouvelé d’articulation entre les autorités préfectorales et le ministère public, nous assistons aujourd’hui à un accroissement parallèle des prérogatives de l’administration et de l’autorité judiciaire. Je veux m’y arrêter un instant avec vous, non seulement pour en rendre raison, mais surtout pour exposer ce qu’à mes yeux il implique pour l’avenir.
Cette évolution est bien sûr étroitement liée aux évolutions de la menace terroriste – notre objectif étant d’anticiper et de prévenir les passages à l’acte.
L’infraction d’association de malfaiteurs terroriste, clé de voûte des dispositions pénales, ainsi que la préparation individuelle d’une entreprise terroriste, constituent des « infractions obstacles » qui incriminent un comportement situé en amont du passage à l’acte violent. Dans une stratégie de prévention d’une menace permanente, les points de contact entre police administrative et police judiciaire se multiplient. En dotant les services de renseignement de possibilités jusque-là réservées à la police judiciaire, la loi du 25 juillet 2015 a encore accru ce rapprochement. De surcroît, le parlement a clairement fait le choix de développer les enquêtes administratives, avec la loi Savary du 22 mars 2016 et la loi du 3 juin 2016. Sans verser dans une logique de criblage généralisé – et je resterai toujours vigilant sur ce point –, cette orientation découle donc de notre souci d’anticipation et de prévention.
Je veux m’arrêter un instant sur la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et sur celle du 3 juin 2016. Avec la loi de juillet 2015, nous avons fixé un cadre à l’action des services de renseignement. Je le disais à l’instant, les dispositions issues de ce cadre prévoient désormais que les services peuvent recourir à des techniques jusque-là réservées aux autorités judiciaires. Par ailleurs, après que nous avons donné aux services de renseignement la possibilité de recourir à l’IMSI catcher, la loi du 3 juin a introduit ce nouvel outil de renseignement dans le code de procédure pénale. La police judiciaire et les services de renseignement ne peuvent pas constituer deux sphères qui s’ignorent l’une l’autre, tant les deux cercles de compétences encadrant leur action se recoupent. Des réflexions sont précisément en cours pour développer les échanges entre services de renseignement et autorités judiciaires.
L’indispensable mise en place d’un service de renseignement pénitentiaire, projet que porte aujourd’hui Jean-Jacques URVOAS, avec le préfet Philippe GALLI, et qui bénéficie du soutien du ministère de l’Intérieur, permettra encore d’accroître ce rapprochement.
La montée en puissance du renseignement pénitentiaire constituera, j’en suis convaincu, un outil précieux. Mais il ne sera pleinement efficace que s’il existe une étroite articulation entre l’action du renseignement pénitentiaire et celle des autres services.
S’il ne doit certes pas y avoir de confusion des rôles, il est néanmoins souhaitable que les autorités judiciaires et les services de renseignement se connaissent mieux. J’observe avec satisfaction que les dispositifs territoriaux de prévention de la radicalisation ont favorisé les échanges allant dans ce sens. Vous aurez d’ailleurs l’occasion, lors des tables rondes de la journée, d’évoquer le fonctionnement de ces dispositifs.
Depuis maintenant plus de deux ans, nous avons en effet créé et mis en place une politique publique innovante d’anticipation, de détection et de prévention des phénomènes de radicalisation. Notre stratégie et l’ensemble des dispositifs qui y participent sont pilotés, à l’échelle nationale, par l’Etat-Major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui s’appuie sur l’expertise de l’UCLAT et travaille en lien étroit avec les Préfets de zone. La place des parquets dans ces dispositifs est évidemment centrale. C’est la raison pour laquelle ils doivent y être le plus étroitement associés. Cet après-midi, je sais qu’il sera notamment question de l’exemple toulousain, région marquée par le terrorisme et le phénomène djihadiste ; c’est là, me semble-t-il, une illustration pertinente de notre action en la matière.
Par ailleurs, nous allons renforcer, dans le même esprit de coordination et de complémentarité, la place des collectivités locales dans ces dispositifs, je m’y suis engagé et c’est là aussi une nécessité. Mais, comme je l’ai dit aux élus locaux le mois dernier, en ouverture des Rencontres nationales de la prévention de la radicalisation, cette association se fera dans le respect des rôles de chacun.
Je veux terminer mon propos en évoquant la question du chiffrement.
En août 2015, François MOLINS, Cyrus VANCE, Javier ZARAGOZA et Adrian LEPPARD ont lancé, à ce sujet, une véritable alerte, à l’occasion de la publication dans le New York Times d’un article qu’ils ont co-signé. Lors la réunion, le 20 octobre dernier, du groupe quadripartite associant les autorités judiciaires françaises, belges, espagnoles et marocaines, cette préoccupation majeure a de nouveau été mise en avant.
L’initiative que j’ai moi-même prise cet été, avec mon homologue allemand Thomas de MAZIERES, s’inscrit précisément dans la continuité de l’initiative portée par ces grandes voix du ministère public. Désormais, le sujet est posé sur la table de la Commission européenne, et j’ai bon espoir que nous puissions parvenir à des avancées normatives pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Par-delà l’enjeu crucial du recueil d’informations, nécessaire pour lutter contre le terrorisme, cette question du chiffrement touche directement à l’idée que l’on se fait de l’Etat. Si je ne suis pas un adversaire du chiffrement qui apporte de la sécurité dans les transactions, dans la conservation ou bien dans la transmission de données personnelles – c’est là un enjeu de protection de la vie privée –, je ne peux me résoudre à ce que la police judiciaire, lors de faits d’une particulière gravité engageant la sécurité nationale, ne puisse, sur son territoire et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, accéder à des communications ou à des données décisives pour l’avancée des enquêtes. C’est là un enjeu d’efficacité opérationnelle, mais c’est aussi une question de souveraineté et de positionnement des Etats face à des acteurs privés.
Je le redis : je crois en un Etat de droit fort. Fort des femmes et des hommes qui le servent avec rigueur et dévouement, et que vous représentez aujourd’hui. Fort des principes sur lesquels il s’appuie et qu’il entend protéger, ces mêmes principes qui doivent nous conduire à toujours rechercher la complémentarité et l’articulation des réponses administratives et judiciaires, sans néanmoins jamais céder à la tentation facile et démagogique de la confusion des genres.
Tous ici, nous poursuivons un seul et unique objectif : le bien-être et la sécurité des Français, dans le strict respect de nos lois et de nos principes. Car, Mesdames et Messieurs, c’est cela, la République. Avant de céder la parole au Garde des Sceaux, je vous souhaite des échanges riches et fructueux. Je ne doute pas qu’ils le seront. Je vous remercie.