Discours de Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, lors de la conférence de presse commune avec Thomas de Maizière, ministre de l'Intérieur de la République Fédérale d'Allemagne, le 23 août 2016 à Paris
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Ministre, Cher Thomas de MAIZIERE,
Mesdames et messieurs,
C’est à la fois un grand honneur, et comme toujours un plaisir de recevoir ce matin à l’Hôtel de Beauvau le ministre de la République Fédérale d’Allemagne, quelques semaines après sa participation au Conseil des ministres à Paris en juin dernier et après avoir moi-même, en janvier de cette année, eu l’honneur de participer au Conseil des ministres à Berlin. C’est là aussi une nouvelle preuve que la France et l’Allemagne sont toujours main dans la main pour prendre l’initiative de nouvelles avancées au sein de l’Union européenne, en l’occurrence sur le plan de la sécurité intérieure, de la lutte antiterroriste, dans un contexte particulier. La menace terroriste reste extrêmement élevée comme nous l’ont malheureusement rappelé cet été les attentats de Nice et de Saint-Etienne du Rouvray en France, mais aussi ceux de Würzburg et Ansbach, en Allemagne. Le Président François HOLLANDE et la Chancelière Angela MERKEL l’ont rappelé hier lors du sommet informel qui les réunissait : la sécurité et la lutte contre le terrorisme constituent aujourd’hui la première priorité, pour nous européens. Face à cette menace terroriste, il est indispensable de rehausser collectivement notre niveau de sécurité.
Depuis un an et demi, et particulièrement sous l’impulsion de nos deux pays, nous avons déjà accompli des avancées décisives au plan européen :
Après plusieurs années d’âpres négociations, le PNR a enfin été adopté par le Parlement le 14 avril. C’est un progrès indispensable pour mieux détecter les mouvements des djihadistes et les intercepter avant qu’ils ne passent à l’acte. Nous travaillons, Thomas et moi, pour que chaque État membre le rende opérationnel le plus vite possible. Le PNR français sera pleinement opérationnel d’ici la fin de l’année.
Nous avons également obtenu en décembre 2015 la modification de l’article 7-2 du Code frontière Schengen permettant d’effectuer des contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’espace Schengen, sur toutes les personnes entrant ou sortant, y compris pour les ressortissants bénéficiant de la libre-circulation. Le Parlement européen doit désormais approuver ce texte au plus vite.
De plus, l’Agence européenne des garde-frontières et garde-côtes - idée franco-allemande à l’origine et sur laquelle les États membres ont désormais trouvé un accord – doit maintenant pouvoir être opérationnelle dans les meilleurs délais, nous allons y revenir. Tous les États membres doivent y apporter les ressources nécessaires. Je rappelle que la France et l’Allemagne mettront ensemble à disposition 395 personnels (dont 170 pour la France) pour le vivier permanent qui sera composé au total de 1500 personnels qui pourront être déployés en 5 jours en cas de crise.
Nous sommes également parvenus à réviser la directive « armes à feu », qui permet maintenant un meilleur encadrement et une meilleure traçabilité des armes à feu au niveau européen. Le Parlement européen doit terminer le travail à ce sujet. Des normes européennes pour la neutralisation des armes en circulation ont également été adoptées, ce qui constituait un enjeu crucial, on l’a vu avec les armes utilisées par les terroristes en janvier et en novembre 2015.
Je rappelle enfin que nous avions amorcé, dès octobre 2014 à Luxembourg, un dialogue avec les opérateurs Internet pour lutter efficacement et au niveau international contre la propagande terroriste sur la toile. Depuis, je me suis rendu à deux reprises aux États-Unis, d’abord en février 2015 dans la Silicon Valley à la rencontre de ces mêmes opérateurs, mais également en mars 2016 à New-York et à Washington pour échanger à ce sujet avec les autorités américaines.
Je me réjouis des avancées obtenues, notamment du dispositif mis en place ici-même à Beauvau avec les opérateurs pour obtenir un retrait rapide des contenus à caractère terroriste et d’incitation à la haine, à l’image de l’annonce par Twitter la semaine dernière de la fermeture de 235 000 comptes au contenu incitant au terrorisme au cours des six derniers mois.
Ces progrès indéniables s’ajoutent bien entendu au renforcement des législations nationales, notamment en France et en Allemagne, enregistré dans la lutte contre le terrorisme, et au travail de partage de l’information entre services de renseignements.
Grâce aux mesures que nous avons mises en place, grâce au travail de nos services de police et de renseignement, dont nous avons considérablement renforcé les moyens et qui connaissent une activité extrêmement intense ces derniers mois, nous obtenons des résultats significatifs dans la guerre que nous menons contre le terrorisme. Ainsi, le nombre d’individus en lien avec des réseaux terroristes interpellés dans les six premiers mois de l’année en France est équivalent à celui de la totalité de l’année 2015. Pour le seul mois d’août, la Direction Générale de la Sécurité Intérieure a procédé à l’arrestation de 7 individus, tous écroués, et dont trois au moins avaient des projets constitués.
Néanmoins, le niveau de la menace, la nature et la diversité des formes nouvelles du terrorisme djihadiste, le contexte de crise migratoire dans lequel il se déploie et les tentatives de dissimulation des terroristes, ainsi que les nouveaux moyens technologiques qu’ils utilisent et notamment le cryptage ou le chiffrement de plus en plus systématique des communications, nous obligent à prendre de nouvelles décisions.
C’est pourquoi, avec Thomas de Maizière, nous présentons aujourd’hui une nouvelle initiative franco-allemande pour la sécurité intérieure en Europe, sur trois plans :
Nous demandons en premier lieu à la future Agence de garde-frontières européens d’organiser d’ici la fin de l’année un exercice de simulation de crise, sur le terrain, aux frontières extérieures de l’Union, afin de tester l’efficacité et la rapidité de déploiement du personnel de cette force. Nous devons en effet gagner rapidement en capacité opérationnelle d’intervention.
Nous souhaitons ensuite que cette agence mette en place un dispositif de formation en matière de lutte contre la fraude documentaire. Il faut de plus que ces garde-frontières soient équipés du matériel adéquat et des dernières applications technologiques pour faciliter le contrôle de chaque personne entrant ou sortant de l’espace Schengen. Ils devront dans ce cadre avoir accès aux fichiers nationaux et européens.
Nous voulons également que l’usage de la biométrie soit renforcé. En effet, étant donnée l’utilisation frauduleuse de vrai-faux passeports volés syriens et irakiens, notamment par Daech, la biométrie est le seul moyen de réellement garantir l’identité d’une personne. Par ailleurs, la France a, dans le cadre des règles du Code Frontières Schengen, rétabli ses contrôles aux frontières intérieures depuis le 13 novembre dernier. Je l’ai déjà dit, nous maintiendrons ces contrôles aussi longtemps que le niveau de la menace le nécessitera. Il nous faudra dans ce contexte faire évoluer les règles européennes en la matière, afin de rendre plus flexible le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en cas de menace grave.
Pour que les contrôles aux frontières soient efficaces, il faut un partage systématique de l’information dans les fichiers européens. Il est bien entendu essentiel que ces fichiers soient systématiquement alimentés par tous les États membres. La France fait partie des pays qui les alimentent le plus. Mais ce préalable n’est pas suffisant. D’où notre proposition : les différents fichiers doivent être interopérables, c’est-à-dire reliés entre eux. Il est en effet impératif que nos policiers et gendarmes sur le terrain disposent d’une interface unique, interrogeant de manière simultanée tous les fichiers nationaux et européens, pour mener les vérifications nécessaires à notre sécurité. Nous ne pouvons pas accepter qu’une information disponible dans un fichier et cruciale pour notre sécurité, ne soit pas rapidement accessible, notamment lors de contrôles.
Nous proposons également que soit mis en place, à l’image de ce qui existe déjà aux États-Unis, au Canada, ou en Australie, ce que l’on appelle un « ESTA » européen, c’est-à-dire un système électronique d’autorisation de voyage concernant les personnes non soumises à visa, avant qu’elles n’entrent sur le territoire européen. Avec Thomas de MAIZIERE, nous avons par ailleurs lancé un projet pilote, baptisé ADEP, permettant une transmission automatisée des antécédents judiciaires entre nos services de police. Six États membres, la Finlande, l’Espagne, la Hongrie, l’Irlande, la France et l’Allemagne font déjà partie de ce projet. Nous demandons aujourd’hui que ce projet, qui fonctionne bien, soit étendu à tous les États membres de l’Union.
Toujours au chapitre des échanges d’informations, nous avons, soutenu en janvier dernier la mise en place du centre européen de lutte contre le terrorisme d’Europol. Cette structure doit monter en puissance. La France et l’Allemagne sont prêtes à y contribuer ensemble. La Task force « fraternité » mise en place entre la France et la Belgique après les attentats de novembre avait en effet été d’une grande aide pour les services nationaux. Il nous faut institutionnaliser et dupliquer ce type de coopération au niveau européen.
Enfin j’en viens au 3ème chapitre, concernant la question du cryptage ou du chiffrement des communications utilisés par les terroristes.
Que les choses soient bien claires pour éviter toute polémique inutile : il n’a bien sûr jamais été question de remettre en cause le principe du chiffrement des échanges : le chiffrement permet de sécuriser les communications, y compris des États. A titre d’exemple, il permet au quotidien de protéger les transactions financières.
Ce que nous affirmons, en revanche, c’est que les échanges de plus en plus systématiques opérés via certaines applications, telle que Telegram, doivent pouvoir, dans le cadre des procédures judiciaires - j’insiste sur ce point - être identifiés et utilisés comme éléments de preuve par les services d’investigations et les magistrats.
Au niveau national, grâce à un dialogue de qualité avec les acteurs de l’Internet, l’action des services est aujourd’hui plus rapide et plus efficace pour accéder à certaines données. Ce n’est toutefois pas toujours possible, et le niveau de coopération n’est pas le même suivant les opérateurs – je pense notamment à l’application précitée pour laquelle les États ne disposent d’aucun interlocuteur.
Nous proposons donc aujourd’hui, avec Thomas de MAIZIERE, que la Commission européenne étudie la possibilité d’un acte législatif rapprochant les droits et les obligations de tous les opérateurs proposant des produits ou des services de télécommunications ou Internet dans l’Union européenne, que leur siège juridique soit ou non en Europe.
Si un tel acte législatif était adopté, cela nous permettrait, au niveau européen, d’imposer des obligations à des opérateurs qui se révéleraient non coopératifs, notamment pour retirer des contenus illicites ou déchiffrer des messages, exclusivement dans le cadre d’enquêtes judiciaires.
En parallèle, au niveau international, nous appelons à la signature et à la ratification de la Convention de Budapest sur la Cybercriminalité. En effet, la France estime que l’article 18 de cette Convention peut conférer une base légale à des réquisitions adressées par les autorités compétentes d’un pays partie à la convention en direction d’un fournisseur de services établi physiquement ou légalement à l’étranger, mais qui offre des prestations sur son territoire.
En outre, concernant la coopération avec les opérateurs, il est nécessaire d’harmoniser les pratiques des différents États membres, en particulier les processus de requêtes transmises par les services de sécurité aux opérateurs pour retirer les contenus à propagande terroriste, comme nous le faisons en France avec efficacité depuis maintenant plus d’un an grâce au groupe de contact permanent que j’ai mis en place ; j’en parlais tout à l’heure à propos de Twitter. Enfin, pour accentuer la lutte contre la radicalisation, en particulier sur internet, nous proposons de renforcer le RAN, réseau qui rassemble au niveau européen les acteurs de terrain et professionnels, auquel la France participe activement.
Au niveau européen, au sein d’Europol, une unité référente Internet (IRU), commandée par un policier français est opérationnelle depuis un an. Son action a permis la suppression de plus de 10 000 contenus en ligne incitant au terrorisme et à la haine. Cette unité doit être renforcée, et nous nous engageons en ce sens avec l’Allemagne, pour en faire un véritable centre européen d’expertise.
Nous souhaitons que ces propositions, formulées aujourd’hui par l’Allemagne et par la France, soient discutées lors du Sommet des 27 chefs d’Etat et de Gouvernement, qui aura lieu à Bratislava le 16 septembre prochain.
Je me réjouis qu’un commissaire européen, spécifiquement en charge des questions de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme, Julian KING, ait été désigné. Encore une fois, parce que la sécurité est aujourd’hui, légitimement, la première préoccupation des citoyens européens, l’Europe doit être à la hauteur.