Discours de M. Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur au Sénat, lors du débat sur les moyens du renseignement intérieur, le 23 mars 2016
- Seul le prononcé fait foi -
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Les tragiques attentats commis hier à Bruxelles, faisant suite à plusieurs attaques perpétrées au cours de ces derniers mois, nous l’ont une fois de plus démontré : nous sommes aujourd’hui confrontés à une menace terroriste d’une nature et d’une ampleur sans précédent. Récemment, la Côte d’Ivoire a elle aussi été prise pour cible, tandis que le Mali a dû faire face, il y a deux jours à peine, à une nouvelle attaque, heureusement déjouée. En Europe comme en Afrique et au Moyen-Orient, aucun pays n’est donc à l’abri.
Aussi, il est indispensable que la Nation soit rassemblée face à une telle menace. Pour vaincre nos ennemis, nous avons besoin d’unité, de rigueur et de la mobilisation de tous. C’est la raison pour laquelle je veux vous remercier, et notamment les membres de la Commission des finances du Sénat, d’avoir suscité ce débat consacré aux moyens que le Gouvernement accorde aux services de renseignement intérieur. Je salue le travail réalisé par le rapporteur DOMINATI, dont les recommandations en la matière ont mobilisé toute mon attention.
Vous avez rendu votre rapport le 7 octobre dernier, donc avant les attentats du 13 novembre. Par définition, depuis lors, la situation a considérablement évolué et, en conséquence, comme il était normal de le faire, le Gouvernement a pris plusieurs décisions importantes pour adapter et renforcer notre dispositif antiterroriste.
Mon propos vous permettra donc, je n’en doute pas, de constater les efforts nécessaires que le Gouvernement a consentis depuis 2012 pour donner enfin à nos services de renseignement intérieur les moyens de lutter efficacement contre une menace d’une portée tout à fait inédite.
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Aujourd’hui, le terrorisme djihadiste, quel que soit le visage qu’il emprunte – DAESH, Al-Qaïda, AQMI, etc. –, constitue de loin le principal défi auquel nos services de renseignement doivent répondre. Chacun doit bien comprendre que la France constitue l’une des cibles prioritaires des djihadistes.
S’il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières, d’autres attaques ont été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai très court – et jusqu’alors connues des services de police pour de simples faits de délinquance.
Dans ce contexte, notre objectif prioritaire consiste à prévenir et à empêcher la commission de nouveaux attentats. Et pour cela, chacun en conviendra, nous avons besoin de services de renseignement efficaces et extrêmement mobilisés. Leur rôle est absolument décisif. A cet égard, je tiens à leur rendre hommage pour l’opiniâtreté dont ils font preuve afin de garantir la sécurité de notre territoire et la protection de nos concitoyens. Je veux ainsi rappeler que, depuis 2013, grâce à leur travail minutieux, nous avons déjoué pas moins de 11 projets d’attentats, dont six depuis janvier 2015.
Le Gouvernement accorde une extrême importance à l’activité de nos services de renseignement. C’est la raison pour laquelle, dès 2012, nous nous sommes employés à la fois à renforcer les moyens dont ils disposent, à améliorer leur organisation et à moderniser le cadre juridique de leur action. Il y avait là une urgence et une nécessité absolues pour tirer les leçons des tueries survenues à Toulouse et à Montauban entre le 11 et le 19 mars 2012 (que nous venons de commémorer) et éviter par là même que notre pays ne se retrouve dans une situation d’extrême vulnérabilité.
Je veux donc revenir sur les principales décisions que nous avons prises depuis le début du quinquennat pour renforcer nos capacités de renseignement intérieur, qu’il s’agisse de la surveillance du haut du spectre (confiée à la DGSI) ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation (confiée au SCRT et aux autres acteurs du « deuxième cercle »).
Je commencerai par les renforts en effectifs et en matériels dont ont bénéficié les services afin d’organiser leur « changement d’échelle » (recommandations 1, 4 et 5 du rapport). Puis, je reviendrai sur les réformes que nous avons conduites pour consolider leur architecture globale et leur cadre d’action afin de leur faire gagner en efficience (recommandations 2, 3 et 6). Enfin, j’aborderai les enjeux plus spécifiques liés aux ressources humaines : j’entends par là la diversification du recrutement et de la formation des agents (recommandations 7 et 8).
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Avant toute chose, je veux rappeler que notre politique de relance des recrutements ne concerne pas seulement les services de renseignement. Depuis 2012, c’est bien l’ensemble des forces de sécurité dont nous augmentons nettement les effectifs. En raison de l’ampleur de la menace, il était en effet indispensable qu’un tel mouvement affecte les forces de l’ordre dans leur intégralité.
Vous me permettrez donc de rappeler quelques faits incontestables, accompagnés des chiffres précis qui les illustrent et les confortent.
D’une manière générale, le Gouvernement a ainsi consenti un effort national sans précédent sur le plan des recrutements au sein de la Police et de la Gendarmerie. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit et affaibli les effectifs des forces de sécurité entre 2007 et 2012.
Au cours du précédent quinquennat, la Police nationale a perdu très exactement 6 276 postes, et la Gendarmerie nationale 6 243 postes, soit un total de 12 519 postes supprimés, tous services et toutes unités confondus. Dois-je préciser que ces 12 519 postes nous ont sans conteste manqué depuis 2012, alors que nous affrontons une menace terroriste sans précédent ? La destruction regrettable de tous ces emplois a constitué une lourde erreur.
Pour combler un tel manque, nous avons donc pris la décision de remplacer tous les départs à la retraite, et nous avons recréé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces.
Par ailleurs, dès après les attentats de janvier 2015, nous avons continué d’organiser la montée en puissance de notre dispositif grâce à différents plans de recrutements concernant la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l’immigration clandestine ou encore le renfort de nos unités de forces mobiles et de sécurité publique.
Au total, entre 2012 et 2017, les effectifs des services concourant à la sécurité des Français auront augmenté de 9 341 postes nouveaux, dont 5 744 dans la Police et 3 199 dans la Gendarmerie. Pour ne prendre que l’exemple de la Police, en 2016 comme en 2017, plus de 4.600 gardiens de la paix sortiront de nos écoles, pour chacune de ces deux années. Ils étaient seulement 488 en 2012.
Bien entendu, nos services de renseignement intérieur ont bénéficié prioritairement de ces ressources nouvelles.
Trois vagues successives de renforts ont ainsi été décidées.
1. Dès 2013, un premier plan spécifique a été initié pour renforcer les effectifs de la DGSI. Ce plan prévoit d’ici 2018 la création totale de 432 postes supplémentaires.
2. Le Plan de lutte anti-terroriste (PLAT) de janvier 2015 a prescrit sur le triennal 2015-2017 la création nette de 1 400 emplois, dont 1 100 viendront grossir les rangs du renseignement intérieur :
3. Le Pacte de Sécurité, annoncé par le président de la République devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre et qui porte sur un total de 5 000 créations nettes d’emplois prévoit, pour la DGSI, 225 effectifs supplémentaires, dont la création est répartie sur 2016 (112 postes) et 2017 (113 postes). En outre, 130 effectifs supplémentaires (policiers et gendarmes) viendront renforcer le SCRT.
Si l’on fait preuve d’objectivité dans le bilan de ces différents plans de renforcement, que constate-t-on aujourd’hui ?
Concernant tout d’abord la DGSI, les postes supplémentaires prévus entre 2013 et 2015 ont tous été pourvus, soit 389 postes.
Par ailleurs, d’ici 2018, la DGSI aura gagné au total 1 157 effectifs supplémentaires, parmi lesquels, notamment, des analystes techniques, des informaticiens et des linguistes, pour renforcer ses capacités d’analyse, de détection et de prévention des risques terroristes.
Ensuite, comme vous pouvez le constater, les services du « deuxième cercle », et notamment le SCRT, ne constituent certainement pas le « parent pauvre » du renseignement intérieur.
En décembre 2013, le SCRT comptait 1 847 agents. Il en compte actuellement un peu plus de 2 160. Nous prévoyons d’atteindre en 2017 environ 2 490 agents (2 326 dès cette année). La progression est donc continue. En quatre ans, le SCRT aura au total gagné environ 640 effectifs supplémentaires, ce qui représente un effort particulièrement significatif.
Voilà donc les faits. Voilà donc les chiffres.
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Par ailleurs, sur le plan des capacités technologiques de surveillance et de recueil de renseignements, nous avons également consenti un effort important, dans le cadre du plan de renforcement des moyens d’équipement, d’investissement et de fonctionnement du ministère de l’Intérieur.
Au titre du Plan antiterroriste de janvier 2015, ce sont 233 millions d’euros sur trois ans qui ont été ouverts, dont 90 millions d’euros pour la modernisation et le renforcement des infrastructures et applications informatiques.
En 2015, ce plan a permis un investissement de 98 millions d’euros, auxquels 67 millions d’euros viendront s’ajouter en 2016. Ces investissements ont d’ores et déjà été alloués aux services concernés pour qu’ils puissent accomplir leurs missions de la façon la plus efficace possible.
Par ailleurs, le Pacte de sécurité prévoit pour 2016 un volume d’investissement de 245,8 millions d’euros supplémentaires, dont 116,4 millions pour les services de police et 93,4 millions pour ceux de la Gendarmerie. Ces moyens s’ajoutent au plan de janvier 2015. L’effort sera encore amplifié en 2017, avec 228 millions d’euros supplémentaires de moyens d’équipements, d’investissement et de fonctionnement pour les forces.
Au total, alors qu’entre 2007 et 2012, ces moyens d’action ont diminué de 16% pour la Police et de 18% pour la Gendarmerie, ils auront augmenté entre 2012 et 2017 respectivement de 16% pour la Police et de 10% pour la Gendarmerie.
Par ailleurs, d’un point de vue plus qualitatif, si l ‘exploitation des sources humaines demeure bien entendu indispensable, Internet et les réseaux sociaux doivent aussi faire l’objet d’une extrême vigilance. Je pense notamment aux usages criminels qui peuvent être faits des réseaux officieux de type darknet, ou encore, d’une manière générale, à la partie d’Internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques et où circulent une masse importante d’informations émises par des organisations criminelles, y compris djihadistes.
Il est impératif que le renseignement intérieur accède à un niveau d’expertise et de parfaite maîtrise de ces canaux empruntés par nos ennemis. Ses ingénieurs et ses techniciens, mais aussi ses analystes, doivent être en mesure d’y détecter les prémisses des actions susceptibles d’être commises sur notre sol pour que les sources humaines puissent être sensibilisées quand cela est nécessaire.
Nous mettons donc en œuvre des moyens exceptionnels, à la hauteur des enjeux, pour garantir la capacité opérationnelle de nos services de renseignement.
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Pour donner à nos services de renseignement intérieur une capacité pleine et entière d’action, il nous fallait aussi rationnaliser leur organisation et moderniser le cadre juridique de leur action.
Dès 2013, nous avons ainsi commencé à les réformer en profondeur afin de clarifier l’architecture générale de notre dispositif reposant sur une articulation dynamique entre le « premier cercle » (la DGSI) et le « deuxième cercle » (le SCRT et la DRPP).
Nous avons d’abord transformé la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI) en Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), créée par le décret du 30 avril 2014 et directement placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. Gagnant ainsi en autonomie, la DGSI a également gagné en efficacité.
Surtout, dès 2012, le Gouvernement a recréé un véritable service de renseignement de proximité en milieu ouvert. Il y avait là en effet une urgence absolue. Car la réforme conduite en 2008 par la majorité précédente, en supprimant les Renseignements généraux sans pour autant leur substituer un nouveau modèle permettant la détection des signaux faibles, a nettement diminué nos capacités de renseignement et de détection des phénomènes de radicalisation.
La réalité, c’est que la fusion de la DST et des RG pour constituer la DCRI a affaibli notre dispositif de renseignement intérieur en méconnaissant les spécificités de ces deux services complémentaires. En dehors de la DCRI ainsi constituée, et dont la vocation était exclusivement consacrée au « haut du spectre », le reste du renseignement intérieur a ainsi été réduit à un simple service d’information générale, en charge – pour l’essentiel – des phénomènes économiques et sociaux, ainsi que de la surveillance du hooliganisme. Ce service d’information générale n’avait aucune attribution en matière de terrorisme, pas même le bas du spectre ni la détection des signaux faibles. L’accès aux principaux fichiers de police lui était même interdit.
Par souci de cohérence, nous avons par ailleurs renforcé le positionnement du SCRT par rapport aux anciens RG. Les attributions du RT ont été ainsi clairement élargies pour lui permettre de retrouver pleinement ses compétences d’appui à la prévention du terrorisme, notamment par la détection en amont des signaux faibles de radicalisation. C’est la raison pour laquelle son maillage, en métropole comme outre-mer, a été renforcé pour densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du RT dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela se révèle nécessaire. Une telle proximité est absolument indispensable.
Pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace djihadiste, ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a par ailleurs été donnée à la coopération et au partage de l’information entre les différents services. Nous avons consolidé l’articulation entre le « premier cercle » et le « deuxième cercle ». A cet égard, l’Unité de Coordination de la Lutte antiterroriste (UCLAT) joue bien sûr un rôle décisif. Des « cellules de coordination » ont été mises en place, qui rassemblent l’ensemble des services de renseignement dans une organisation réactive et fluide.
A cet égard, je constate que vous vous interrogez sur l’articulation entre l’UCLAT et l’EMOPT. Permettez-moi de vous répondre précisément.
C’est pour renforcer notre effort de coopération qu’en juin 2015, après le drame de Saint-Quentin-Fallavier, j’ai créé un Etat-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), directement rattaché à mon cabinet. Son rôle est de coordonner, d’animer et de contrôler à l’échelon central le suivi des personnes radicalisées pour s’assurer que celui-ci est bien effectif. Pour ce faire, l’EMOPT réunit désormais des représentants de tous les services impliqués dans la lutte contre le terrorisme, dans une logique de décloisonnement et de transversalité. Son rôle est donc complémentaire de celui de l’UCLAT, qui, tout en participant à cet état-major, développe par ailleurs l’expertise indispensable à la compréhension du phénomène de la radicalisation violente.
Je dirais donc que l’EMOPT, qui s’appuie sur le Fichier de Traitement des Signalements, de la Prévention de la Radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), est avant tout une méthode, laquelle nous permet de garantir la fiabilité de l’information afin de resserrer les mailles du filet de l’antiterrorisme. Avec l’EMOPT, les préfets disposent enfin d’un interlocuteur clairement identifié vers lequel ils peuvent se tourner pour orienter leur propre action sur le terrain. Par là même, le renseignement contribuant à la lutte contre la radicalisation est devenu une mission fondamentale des représentants de l’Etat dans les départements.
Notre dispositif global repose donc sur une architecture claire et cohérente. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas convaincu, Monsieur le Sénateur, par votre volonté de « regrouper – je vous cite – les services concourant au renseignement de proximité afin de permettre le passage de quatre à deux services de renseignement intérieur ». Je comprends qu’à la DGSI et au SCRT, vous associez la DRPP et la SDAO (Sous-direction de l’anticipation opérationnelle) de la Gendarmerie. Je vous le dis en toute sincérité : je ne crois pas à la pertinence d’une telle démarche. Pour une raison simple : votre proposition, par une forme de rétropédalage, reviendrait à procéder à nouveau à des fusions non justifiées dont on a pourtant constaté par le passé les effets négatifs qu’elles étaient susceptibles d’entraîner.
J’ajoute que l’existence de la DRPP s’explique tout simplement par la nécessité de couvrir le ressort territorial de la Préfecture de Police à Paris et dans l’agglomération parisienne.
Quant à la SDAO, dont vous semblez faire un service de renseignement à part entière, je veux être là aussi très précis. Il s’agit avant tout d’un service destiné aux chefs opérationnels de la Gendarmerie, auxquels il transmet chaque jour les informations nécessaires pour conduire leurs opérations dans des conditions optimales. Bien entendu, si les informations recueillies dans ce cadre intéressent le SCRT, elles lui sont immédiatement transmises.
Fusionner la SDAO avec le SCRT reviendrait donc à priver la Gendarmerie d’un outil précieux et à la rendre en quelque sorte aveugle. Il est en effet évident que le SCRT ne pourrait en aucun cas assurer la diversité des missions de suivi opérationnel que remplit la SDAO. Je vous donne deux exemples récents : la traque des frères KOUACHI et la gestion des conséquences du crash de l’Airbus de la « GermanWings ». Jamais nous n’aurions pu agir avec autant d’efficacité si la Gendarmerie n’avait pu compter sur le soutien apporté par la SDAO. Votre proposition de fusion n’est donc tout simplement pas adaptée à la réalité opérationnelle des missions accomplies par la Gendarmerie.
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Par ailleurs, avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, nous avons élaboré, pour l’activité de nos services, un cadre légal moderne et cohérent, adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes et à l’évolution du droit national et international. Ce cadre fixe, pour la première fois dans l’histoire de la République, des règles d’emploi claires des techniques de renseignement afin de protéger les agents qui y ont recours tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d’évaluation de l’action des services.
Je signale d’ailleurs à votre attention que l’ensemble des décrets d’application a été publié dans des délais très rapides, entre le 28 septembre 2015 et le 29 janvier 2016, nous permettant de commencer à mettre en œuvre des innovations aussi décisives que le Fichier des antécédents judiciaires terroristes (FIJAIT) ou, dans une logique de décloisonnement et de partage de l’information, d’élargir l’accès administratif au traitement des antécédents judiciaires ou aux données de connexion pour les services qui en avaient besoin et ne pouvaient jusqu’à présent y accéder.
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Enfin, la question du renforcement des effectifs ne peut être seulement posée en termes quantitatifs. A mes yeux – et je sais que vous en serez d’accord avec moi – il est indispensable que nos services diversifient le recrutement et la formation de leurs agents, comme le recommande d’ailleurs le sénateur DOMINATI lui-même. C’est là une exigence d’autant plus importante que les menaces que nous affrontons sont en constante évolution.
C’est la raison pour laquelle nous devons nous ouvrir davantage aux apports de la recherche universitaire – notamment dans les sciences humaines et sociales – si nous voulons renforcer nos capacités d’analyse et par là même d’anticipation. Je pense par exemple aux mutations qu’a connues le phénomène djihadiste au cours de ces dix dernières années et que des chercheurs tels que Gilles KEPEL ont su parfaitement décrire. Il me semble donc important de recruter davantage de personnels formés aux sciences sociales, maîtrisant les langues extra-européennes et les technologies les plus avancées. Qu’il y ait davantage de fluidité dans le passage d’un univers à l’autre.
Nous nous y employons, et j’ai moi-même délivré un certain nombre de consignes allant en ce sens auprès des responsables du renseignement intérieur.
Nous faisons ainsi en sorte d’assouplir les conditions de recrutement des contractuels, tandis que nous nous efforçons d’élaborer une stratégie adaptée pour attirer au sein des services les profils spécialisés dont ils ont besoin.
Aujourd’hui, dès lors qu’il leur est impossible d’y entrer par concours dans la mesure où leur compétence serait par trop spécialisée pour être exercée par un corps existant de fonctionnaires, l’intégration de contractuels dans les services ne présente aucune véritable difficulté. Au cours de l’année 2015, nous avons ainsi procédé à plusieurs recrutements extérieurs.
Le SCRT a notamment recruté plusieurs spécialistes de haut niveau, universitaires, informaticiens, linguiste et psychologue, lesquels, par leurs analyses croisées, lui ont d’ores et déjà permis d’affiner sa compréhension du phénomène de la radicalisation violente.
De son côté, la DGSI n’hésite pas non plus à faire appel à des contractuels extérieurs pour intégrer les compétences ultraspécialisées dont elle a besoin. Depuis 2013, les trois plans successifs de recrutement en son sein ont tous permis d’intégrer des contractuels. Compte tenu des renforts programmés, le taux de contractuels au sein des services de la DGSI devrait être, à la fin de l’année 2018, de 14, 5%, contre 10,5% à l’heure actuelle, dans la mesure où – je le répète – nous n’avons fixé aucun plafonnement de ces types d’emploi.
Parallèlement, il est tout aussi indispensable que nous continuions de diversifier la formation initiale et continue de nos agents.
A cet égard, l’Académie du Renseignement joue bien sûr un rôle crucial par les enseignements qu’elle dispense à des stagiaires de toutes générations, issus des différentes composantes de la communauté française du renseignement. J’ai moi-même participé, voici près de deux semaines, à l’ouverture de la 12e session de formation initiale de l’Académie, où j’ai pu insister sur l’importance de la mission que celle-ci remplissait pour permettre à nos agents non seulement d’acquérir une véritable connaissance de notre politique publique du renseignement, mais aussi de maîtriser les enjeux liés à l’évolution des menaces. Ainsi, un séminaire ad hoc a été consacré, en septembre dernier, à la lutte contre la radicalisation violente, tandis que certaines formations s’ouvrent désormais aux personnels du SCRT, de la DRPP et de la DAP (Direction de l’administration pénitentiaire).
D’autres institutions de formation des agents ou des futurs agents œuvrent dans le même sens. Je pense notamment à l’Ecole Nationale Supérieure de la Police. Celle-ci tient en effet pleinement compte de l’importance du renseignement dans la formation initiale et continue qu’elle dispense aux commissaires et aux officiers de police, tout en faisant appel à des intervenants eux-mêmes issus des services de renseignement ou du monde universitaire. D’une manière générale, des liens étroits ont été noués avec l’Université. Un Master 2 sur la sécurité, en partenariat avec l’Université Lyon-III, est ainsi proposé aux futurs commissaires. Des conventions ont également été passées avec plusieurs écoles doctorales, ainsi qu’avec le CNRS.
D'autres formations spécifiques existent, qui proposent des modules consacrés à la question du terrorisme et à la lutte antiterroriste. C’est par exemple le cas du master en droit et stratégies de la sécurité, fruit d’un partenariat entre l'Université Paris-2 Assas et l'Ecole des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN).
Bien sûr, pour renforcer les liens entre les mondes du renseignement et de la recherche, l’impulsion doit également venir de l’Université elle-même, laquelle doit accorder en son sein une plus grande place aux intelligence studies, sur le modèle de ce qui est proposé dans le monde anglo-saxon où les cursus de formation et de recherche dans le domaine du renseignement et de l’antiterrorisme se sont multipliés dès le début des années 1990 et surtout au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Des exemples intéressants existent, à l’IEP de Paris ou bien à l’Université de Bordeaux, qui doivent nous encourager à aller plus loin.
Plusieurs réflexions ont été lancées sur ce sujet. Pour ma part, j’ai confié deux missions sur la fonction de prospective au sein du ministère de l’Intérieur : l’une au préfet DE BOUSQUET DE FLORIAN, ancien directeur de la DST, et l’autre au préfet BURG, visant à renforcer la coordination des travaux stratégiques et à rapprocher les mondes de la sécurité et de la recherche.
Je tiens beaucoup à cette dimension prospective de notre action. Je crois en effet qu’elle est indispensable pour assurer sur le long terme la sécurité de notre pays, dont on sait que les menaces qu’il combat s’inscrivent malheureusement dans un temps long.
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Mesdames et Messieurs les Sénateurs, face à une menace terroriste d’une exceptionnelle gravité, les services de renseignement français jouent un rôle capital, aux côtés de l’ensemble des forces de sécurité. Et, comme vous avez pu le constater, le Gouvernement a fait en sorte, depuis 2012, de leur donner les moyens nécessaires pour assumer pleinement ce rôle. Ils sont en première ligne, et une grande partie de la sécurité de notre pays repose sur eux. C’est la raison pour laquelle il était urgent de réformer et de renforcer notre dispositif de renseignement intérieur. Ce que nous avons fait, au service de la République et de la France.
Je vous remercie.