Un office au service de la Justice

Un office au service de la Justice
19 avril 2018

En matière de répression des crimes internationaux les plus graves, l’OCLCH enquête à la demande de la section AC5 du parquet de Paris, créée en 2012 et chargée des crimes contre l’humanité, des crimes et des délits de guerre. Aurélia Devos, vice-procureur, dirige cette section du parquet au sein de ce pôle spécialisé du tribunal de grande instance de Paris qui comprend également trois juges d’instruction.


Civique : Quelles sont les compétences et les missions du pôle spécialisé du parquet de Paris ? De quels moyens dispose-t-il et comment est-il organisé ? Quelle est sa plus-value en matière de crime contre l’humanité et les crimes de guerre ?

Aurélia Devos : La section AC5 du parquet de Paris est compétente sur l’ensemble du territoire national, de manière concurrente. Elle est chargée des faits de torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture de 1984, des faits de crimes contre l’humanité, incluant au premier chef le crime de génocide, et des faits de crimes et délits de guerre. La section AC5 exerce pour ces crimes la compétence personnelle active et passive, la compétence territoriale pour les faits éventuels commis en partie en France ou les faits de complicité pouvant y être commis, mais également la compétence extra-territoriale. Cette  compétence quasi universelle est prévue par les articles 689 et suivants du Code de procédure pénale.

Les missions de la section AC5, composée de trois magistrats, de trois assistants spécialisés, juristes, et d’une assistante de justice, sont des missions classiques de direction d’enquête, de suivi des dossiers d’instruction et de participation aux audiences correctionnelles et permanences générales du parquet de Paris. La section AC5 est également compétente pour l’exécution des demandes d’entraide pénale internationale dans son domaine de compétence, en particulier provenant d’autres pôles spécialisés dans le monde ou des juridictions pénales internationales. Les missions sont variées au service de l’action publique : développements de contacts et de partenariats au niveau national et international, réflexions juridiques et force de proposition de modifications législatives, travail de coordination et d’échanges autour de ce contentieux dans les cénacles les plus variés.

Ce pôle spécialisé est un atout indispensable dans le traitement de ces dossiers complexes et chronophages, tant dans la détermination de contacts uniques et identifiés pour les plaignants et les interlocuteurs internationaux dans le cadre de l’entraide pénale internationale, que dans la spécialisation juridique et le développement de pratiques spécifiques aux crimes de masse.

Civique : Le système français actuel de compétence quasi universelle se révèle-t-il satisfaisant pour traiter les auteurs de crimes internationaux les plus graves ?

Aurélia Devos : Le système actuel permet de poursuivre déjà très largement. Outre les victimes françaises et les auteurs français, le système actuel permet de prendre en considération les auteurs présumés présents sur le territoire ou y ayant une résidence habituelle. Il faut noter qu’aujourd’hui nous traitons de dossiers fondés sur l’ensemble des compétences possibles, tout comme nous traitons de personnes physiques comme de personnes morales, d’exécutants comme de supérieurs hiérarchiques.

La variété des qualifications et des fondements de compétence est notable, et a permis le développement du contentieux. D’une vingtaine de dossiers traités en 2012 à l’origine du pôle, l’activité est désormais de plus de
80 dossiers, informations judiciaires et enquêtes préliminaires confondues.

Civique : Comment le travail s’effectue-t-il avec l’OCLCH en matière de recueil de preuves (méthodes d’enquête) et quel rôle jouent les ONG, notamment en matière de signalement ?

Aurélia Devos : Le travail avec l’OCLCH s’effectue de manière très naturelle entre un parquet et ses services d’enquête. Il ne faut pas perdre de vue, au-delà des particularités indéniables du contentieux, les réflexes classiques d’enquête et la nécessité de démontrer les responsabilités individuelles au cœur de ces crimes collectifs. Le parquet est nécessairement très impliqué tout au long de l’enquête préliminaire, la plupart des preuves se situant à l’étranger et nécessitant des demandes d’entraide ou des recherches créatives pour contourner l’impossibilité d’en émettre. Ces enquêtes sont des échanges permanents entre les enquêteurs et le parquet, dans un travail collectif pour faire progresser les dossiers.

Les ONG quant à elles ont des rôles divers. Certaines d’entre elles ont développé, outre leur rôle de plaidoyer, une activité judiciaire de soutien des victimes en tant que parties civiles. Dans ces cas, elles participent d’une certaine manière à la recherche de la preuve en favorisant le témoignage  de victimes, en leur permettant d’accéder à la justice. Elles sont aussi une source d’informations par leurs rapports ou les contacts développés dans les zones difficiles d’accès pour  les autorités judiciaires ou policières.

La section AC5 a par ailleurs développé depuis cinq ans une consultation annuelle de la société civile consistant en un échange informel sur les sujets d’intérêts de ces différentes ONG documentant les crimes les plus graves, en dehors de toute considération pour les dossiers individuels bien entendu.

Civique : Quelles sont les différentes options pénales et possibilités de poursuite contre les Français partis combattre en Syrie ou en Irak dans les rangs de Daesh ? Quel est l’enjeu dans le choix d’une qualification pénale par rapport à une autre ? Plus largement, comment fonctionne la coopération judiciaire internationale dans le traitement de ce type de dossiers ?

Aurélia Devos : Les Français ayant rejoint les rangs de Daesh sont poursuivis sur le fondement des qualifications terroristes, par souci d’efficacité eu égard aux possibilités procédurales et au niveau de preuve nécessaire. Il s’agit d’un choix de politique pénale. Rien n’interdit à l’avenir, dans le cadre d’un cumul idéal d’infractions, d’envisager d’y adjoindre d’autres qualifications de droit pénal international, mais, eu égard à la difficulté de l’enquête et au niveau de preuve qui sera alors requis, tout cela s’envisage dans une temporalité différente.

Nous sommes à la croisée des chemins, notre souci est l’efficacité de la réponse judiciaire et son adéquation aux faits reprochés. Les mécanismes habituels de l’entraide pénale internationale sont mis en œuvre dans ce type de dossiers.

Les organisations internationales

Scoopol
L’OCLCH coopère avec plusieurs organisations internationales et agences européennes par l’intermédiaire de la section centrale de coopération opérationnelle de police (Scoopol) de la DCPJ. La Scoopol centralise la coopération opérationnelle policière internationale.

Interpol
Par ce biais, l’office coopère avec l’organisation internationale de police criminelle (OIPC-Interpol) et reçoit les « notices rouges » émises par cette organisation suite à la transmission de demandes d’arrestation provisoires émanant des juridictions pénales internationales ou étrangères qui vont justifier que l’office diligente ensuite une enquête sur un criminel en fuite.

L’agence européenne des services répressifs - Europol
Compétente, depuis l’entrée en vigueur de son nouveau statut le 1 er  mai 2017, pour les crimes internationaux les plus graves, Europol est un partenaire de l’OCLCH à qui elle met à disposition sa messagerie sécurisée SIENA qui permet des échanges sécurisés d’informations. La création en cours d’un fichier d’analyse « Crimes de guerre » permettra à l’avenir à l’OCLCH et aux services d’enquêtes étrangers homologues de nourrir ce fichier d’éléments tirés des procédures et de bénéficier des analyses et rapprochements faits par cette agence européenne.

Le réseau européen « Génocides » - Eurojust
Créé en 2002 et installé au sein de l’agence européenne de coopération judiciaire (Eurojust), ce réseau de points de contacts des services d’enquêtes et de poursuite des États membres de l’Union européenne mais aussi des États-Unis d’Amérique, du Canada, de la Suisse et de la Norvège permet des échanges réguliers sur des enquêtes en cours dans les États membres ou les bonnes pratiques concernant les stratégies d’enquêtes et de poursuites adoptées.

Le M3I
Créé par l’assemblée générale des Nations unies, le « mécanisme international, indépendant et impartial pour la collecte de preuves en Syrie » (M3I) va rassembler des preuves pouvant être mises à la disposition des services d’enquêtes et des autorités judiciaires nationales pour des enquêtes portant sur des crimes internationaux commis en Syrie.

L’équipe d’enquête internationale d’appui aux autorités irakiennes
Créée par le conseil de sécurité de l’ONU, l’équipe d’enquête en appui aux autorités irakiennes sera chargée de documenter les crimes commis en Irak et d’établir les responsabilités de manière impartiale et indépendante.

Le paysage des juridictions internationales

La cour pénale internationale (CPI)
Créée par le Statut de Rome, entrée en vigueur en 2012, la cour pénale internationale est la juridiction pénale internationale permanente. Elle a vocation à poursuivre et juger les auteurs de crimes internationaux les plus graves dont les auteurs ou les victimes sont des ressortissants des États ayant ratifié son statut, à moins que le conseil de sécurité des Nations unies ne s’accorde pour la saisir de crimes internationaux n’ayant pas de lien de rattachement avec l’un des États ayant ratifié son statut.

Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
Créé en 1991, le TPIY a poursuivi et jugé les auteurs de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. Considérant que cette juridiction pénale internationale a rempli sa mission, le conseil de sécurité des Nations unies a mis fin à son mandat le 31 décembre dernier.

Le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
Créé par le conseil de sécurité de l’ONU en 1994, ce tribunal pénal international est compétent pour poursuivre et juger les auteurs du génocide rwandais commis au Rwanda et sur le territoire des États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

Les juridictions pénales internationalisées ou hybrides
À côté de ces tribunaux pénaux internationaux, entièrement composés d’enquêteurs, de procureurs et de juges internationaux, les Nations unies ont promu, au fil des années, d’autres formes de juridictions pénales dont l’originalité est d’appliquer à la fois le droit de l’État dans lequel les atrocités ont été commises, et les règles du droit pénal international.

Ces tribunaux internationalisés sont composés de procureurs et de juges ressortissants du pays en question et d’autres États. L’intérêt est que ces juridictions sont plus proches des pays où les infractions ont été commises et de leurs systèmes juridiques, tout en les aidant à appliquer une justice conforme au droit international et aux droits de l’homme (victimes et accusés).

Parmi eux, on peut citer le tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé en 2002, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, créés en 2003, ou encore la cour pénale spéciale pour la République centrafricaine créée en 2015.