La traque, par tous les moyens

La traque, par tous les moyens
19 avril 2018

Confrontés aux pires exactions que l’être humain puisse commettre, les 19 agents de l’OCLCH, gendarmes et policiers, déploient tous leurs talents de fins limiers pour traquer les auteurs et les complices des crimes internationaux les plus graves.


Anthony est un des quatre policiers qui travaillent au sein de l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre. S’il y a trouvé sa voie, rien ne le destinait cependant à rejoindre ce service aux missions si particulières. « Avant d’entrer à l’office, je n’avais travaillé qu’en territoriale, en Seine-Saint-Denis, où j’ai fait un début de carrière « classique » de policier de terrain : voie publique, brigade des stups, lutte contre les vols avec violence, service judiciaire de nuit... Mais mon goût pour les enquêtes de police judiciaire, mon attrait pour les relations internationales comme ma conviction que les auteurs de crimes internationaux doivent répondre de leurs actes, m’ont conduit sans hésiter à postuler », confie ce brigadier en poste à la division « investigations » de l’OCLCH depuis le 1er janvier 2017. S’il y a retrouvé les techniques habituelles d’enquête prévues pour les infractions relevant de la criminalité organisée, avec son lot d’écoutes téléphoniques, de surveillances, de filatures et autres gardes à vue, il a dû également s’adapter à des méthodes de travail spécifiques. « À ce titre, je dois dire que j’ai été très bien intégré dans une équipe composée essentiellement de gendarmes. Nous partageons une culture commune, reconnaît-il. La formation initiale dispensée dès mon arrivée, doublée de nombreux conseils donnés par les « anciens » m’ont permis de plonger rapidement dans le bain. »

Coopération internationale

La première particularité, « c’est qu’on travaille beaucoup à l’étranger, explique celui qui a déjà effectué trois missions au Rwanda dans l’année écoulée. Il s’agit d’abord de maîtriser les procédures internationales, notamment en matière de coopération policière ou d’entraide judiciaire : nous agissons dans le cadre de demandes d’entraide pénale internationale (DPI), sur commission rogatoire du juge d’instruction ou sur soit-transmis du procureur de la République. Nous nous déplaçons avec l’accord des autorités judiciaires locales qui nous autorisent à prendre contact avec les services d’enquête sur place.

Dans le cadre de l’article 18.5 du code de procédure pénale introduit en 2004, nous pouvons désormais procéder directement, avec l’accord des autorités compétentes des États concernés, à des auditions de témoins ou de personnes impliquées. Cette disposition facilite grandement notre travail », se félicite le brigadier.

L’autre aspect spécifique des missions de l’office, c’est la capacité d’appréhension du contexte qui entoure les dossiers traités. « Une grande part de notre travail consiste aussi à effectuer des recherches et des analyses documentaires dans le but de comprendre l’environnement géopolitique dans lequel nous allons évoluer », explique Anthony qui montre une pile d’une vingtaine de rapports sur lesquels il est en train de plancher pour préparer un déplacement organisé très prochainement en Côte-d’Ivoire. « Nos sources proviennent essentiellement des organisations internationales, telles que l’ONU ou la CPI, qui publient des rapports très complets sur les problématiques qui nous intéressent : enfants soldats, trafics d’armes, génocides, etc., mais aussi des ONG qui œuvrent sur les mêmes théâtres d’opérations, et dont les restitutions apportent de précieux éléments à l’enquête. »

Appui stratégique

Une partie essentielle de ce travail de recherches et d’analyse est également effectuée par l’autre division de l’office, dédiée celle-ci à l’appui aux enquêtes, au renseignement et à la stratégie. Elle emploie de fins limiers de la gendarmerie, rompus aux méthodes d’investigation documentaire, notamment sur Internet. C’est le domaine d’Émilie, maréchal des logis-chef, qui met toute son expérience au service des enquêteurs de l’OCLCH.

« Je suis rentrée à l’office en février 2017 après avoir servi à la section de coopération opérationnelle de police (SCOOPOL) puis à la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS) de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

J’y étais spécialisée en enquête sous pseudonymes, notamment dans des affaires de terrorisme et de pédo-pornographie. » C’est dire si Émilie maîtrise parfaitement l’environnement numérique dans lequel elle évolue au profit de ses collègues enquêteurs. « Il s’agit d’exploiter tout ce qui est disponible en « open sources », c’est-à-dire les contenus publics sur Internet : aujourd’hui, tout un chacun y laisse de nombreuses traces, et le numérique – quelque soit le support, ordinateur ou téléphone portable - est devenu un espace privilégié d’informations et d’indices au profit d’enquêtes de dimension internationale », explique le maréchal des logis-chef qui dispose d’une habilitation spéciale pour naviguer dans les méandres de la Toile. « Pour autant, il ne s’agit pas de cyber infiltration, qui repose, elle, sur d’autres méthodes d’investigation, et qui pourra être mise en œuvre par l’OCLCH quand l’article 706-87-1 du Code de procédure pénale aura enfin été modifié », précise-t-elle. Ses connaissances, ses techniques de recherches, ses astuces, la gendarme les partage volontiers à travers des formations internes qu’elle dispense à ses autres collègues de l’office. En propre, Émilie travaille également sur les fugitifs recherchés dans le cadre d’enquêtes sur des crimes internationaux. « J’ai actuellement trois dossiers en cours, dont un pour lequel je suis directrice d’enquête », confie-t-elle.

Pour Éric Émeraux, le patron de l’office, « les policiers et les gendarmes qui ont choisi de travailler à l’OCLCH sont des agents motivés par cette matière. Travailler sur les crimes internationaux les plus graves est très particulier. Il faut se projeter dans des dimensions qui n’ont rien de comparable avec les enquêtes de droit commun. L’espace d’abord : les enquêteurs de l’office travaillent sur des théâtres qu’ils n’ont jamais vus, qu’ils ne verront jamais, et qu’ils doivent reconstituer avec des témoignages et autres éléments de toute nature. Le temps d’action ensuite : ils œuvrent parfois sur le long terme, engrangeant des éléments et des informations, les vérifiant et les recoupant inlassablement, mais qui ne seront exploitables que plusieurs années après, à la faveur des évolutions géopolitiques et diplomatiques. La récompense de tous ces efforts, c’est la lourdeur des peines prononcées contre les responsables d’atrocités et la protection de la sécurité nationale et internationale auxquelles ces enquêtes contribuent efficacement. C’est tout le sel de ces métiers d’exception ».