3 questions à Jacques Witkowski, préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion de crise

3 questions à Jacques Witkowski, préfet, directeur général de la sécurité civile et de la gestion de crise
31 octobre 2018

Civique : Le mécanisme européen de protection civile a été institué depuis 2001 par l’Union européenne et permet  aux pays participants de prêter assistance et de coordonner leur aide à l’international en cas de catastrophe. Comment cette solidarité fonctionne-t-elle dans la lutte contre le feu de forêt ?

Jacques Witkowski : Les pays de l’Union européenne, ainsi que la Turquie, ont enregistré les moyens qu’ils peuvent mettre à disposition, dans une base de données commune que l’on appelle le « volontary pool ». En tout, 59 moyens sont ainsi  répertoriés (par exemple une colonne feu de forêt ou une colonne d’avion), et la France se place en tête en proposant 23 moyens. Le pays touché formule sa demande d’assistance à travers cette base, et les États membres ont un délai de quatre heures pour y répondre. Le coût opérationnel de déploiement est ensuite couvert à 85 %par l’Union européenne. En juillet, par exemple, la France est venue en aide sur les feux de forêt qui touchaient la Suède, en y envoyant des avions bombardiers d’eau (Canadair), des avions de commandement et d’investigations (Beech), un dispositif terrestre de spécialistes de la lutte contre les feux de forêt de l’UIISC7 et du SDIS de la zone Sud, ainsi que des techniques d’investigation par drone.

Civique : Le savoir-faire français de lutte contre le feu de forêt résulte de formations techniques, mais aussi d’une chaîne de commandement rigoureuse. Comment est-elle organisée ?

Jacques Witkowski : En feu de forêt comme pour toute gestion de crise, il y a toute une chaîne qui permet aux pompiers sur le terrain de performer. En France, nous sommes en capacité d’engager jusqu’à 35 000 hommes par jour et cela suppose des contraintes  de logistique et de commandement qu’il est indispensable de maîtriser. Lors d’un feu de forêt, le centre de commandement de la zone de défense concernée fait office d’état-major de proximité. Si le feu prend de l’ampleur, le COGIC (centre opérationnel de gestion interministérielle des crises) peut entrer en jeu. Le COGIC, situé à Paris, est un élément de commandement et de synthèse de toutes les informations des SDIS de France. Les SDIS et zones de défense rendent compte en direct de leur situation et des moyens qu’ils déploient. En fonction de certains critères, nous évaluons si les moyens sont suffisants et le COGIC peut passer en posture de commandement pour faire monter en puissance les moyens. Lorsqu’il y a plusieurs « chantiers » (feux simultanés), je dois faire des arbitrages en termes de moyens à déployer. Le commandement est à la fois très militaire, et en même temps l’initiative des opérateurs locaux doit rester très forte.

Civique : L’analyse du risque est cruciale et passe par plusieurs techniques de prévision et de prévention. Quelles sont-elles ?

Jacques Witkowski : Nous avons une vision météo à dix jours, assez précise, affinée jour après jour par nos experts sécurité civile et Météo France. Ce faisceau d’analyse nous permet de cartographier les risques et de projeter les moyens en prévision. Nous    avons également les historiques des feux depuis 1945 ! Nous savons que les feux de forêt naissent toujours au même endroit et suivent les mêmes chemins. L’addition de compétences acquises au fil des années aux niveaux national, zonal et   territorial permet de nous améliorer. En France, l’idée est qu’il n’y ait pas de dégâts, et il n’est pas question de laisser entrer le feu dans une zone urbanisée. Mais on se pose la question tous les jours : jusqu’à quel point va-t-on aller pour défendre des végétaux ? Car derrière, il y a les vies des sapeurs-pompiers en jeu. La prévention est aussi importante que l’action. Si l’on est bon en France, c’est parce que l’on a des plans de prévention des risques. La conception de l’urbanisme est prise en compte, les élus prévoient des réserves d’eau, veillent à l’entretien des pistes forestières, du débroussaillage... C’est l’addition de toutes les actions de prévention et de vigilance qui font que nous sommes efficaces ou non sur un feu de forêt.

Floriane Boillot