« Permettre au futur policier d’être en capacité d’agir »

« Permettre au futur policier d’être en capacité d’agir »
11 avril 2018

Entretien avec Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la Police nationale (DCRFPN).


Votre direction est née en janvier 2017, pouvez-vous en présenter les évolutions par rapport à la direction des ressources et de la compétence de la Police nationale (DRCPN) qui gérait la formation auparavant ?

On pourrait avoir l’impression que l’histoire bégaie car la formation a tour à tour été intégrée à la direction de l’administration de la Police nationale (DAPN), a été séparée, puis réintroduite dans l’ancienne DRCPN. C’est la première fois qu’il y a le « R » dans sa dénomination : le recrutement, sujet que l’on a tendance à oublier et qui est pourtant important.

En 2012, nous comptions 487 élèves gardiens de la paix dans nos écoles, nous en avions 4 800 l’an passé. Le nombre d’élèves a été multiplié par dix en cinq ans. Le paysage de la formation entre 2010 et aujourd’hui a donc fondamentalement changé avec un nombre de structures de formation à peu près stable. Le métier de policier, quel que soit son corps ou son grade, a évolué de manière considérable en une dizaine d’années. Outre les actes terroristes, la délinquance a évolué, on parle de cybercriminalité, la procédure pénale a été modifiée, le rôle du renseignement était très cloisonné sur des directions spécialisées... Aujourd’hui, tous ces thèmes sont abordés dans la formation initiale de gardien de la paix.

Quelle est la bonne formule entre les formations initiale et continue ?

Traditionnellement, dans les services, lorsqu’un fonctionnaire arrivait, on lui disait : « Tout ce que tu as appris à l’école, tu l’oublies, tu vas dorénavant entrer dans la vraie vie ! » C’est bien sûr extrêmement réducteur car la formation initiale est là pour doter le fonctionnaire de fondamentaux sur tous les domaines : apprentissages techniques, comment réaliser une interpellation, comment manipuler et utiliser son arme de service, comment intervenir en sécurité... Ce sont des fondamentaux qui doivent être utilisés dans le quotidien. Ce sont des techniques établies, patinées par les formateurs, qui se révèlent essentielles tout au long de la carrière du gardien de la paix. Il y a bien sûr l’apprentissage nécessaire qu’ils recevront de leurs pairs en service, un gradé qui leur apprendra et leur fera découvrir la circonscription dans laquelle ils travailleront. Ce partage d’expériences, cette formation invisible, est une étape très importante, qui fait partie intégrante de la « maison ».

La formation continue est un enjeu de notre direction centrale : faire rentrer l’idée qu’elle n’est pas une perte de temps et ne doit pas se limiter à des apprentissages uniquement tournés vers des nouveautés : tablette numérique, nouvelle arme... Le fonctionnaire et sa hiérarchie doivent comprendre qu’il est très important de se former.

La complémentarité est là : il faut garder ce socle de la formation initiale, l’entretenir et le réactualiser régulièrement par de la formation continue.

Ce socle de formation s’élargit, proposant un apprentissage dense aux élèves gardiens de la paix.

C’est un vrai sujet. C’est pourquoi nous devons nécessairement nous poser la question suivante : quelle prestation doit être rendue par notre direction ? Pour y répondre, on se doit d’écouter ce que demandent, ce que veulent, les services qui recevront ces nouvelles recrues. Qu’allez-vous leur demander ? Quelles seront leurs missions ? Ce sont des personnes qui sortent d’un an d’école, sans expérience, peut-on tout leur confier ? Quand une promotion rentre en école, qu’elle compte 50 ou 600 élèves, on a 50 ou 600 profils différents : des gens qui ont un master, d’autres une expérience professionnelle solide, certains ont déjà travaillé dans la police, d’autres sont un peu là par hasard, ou veulent encore devenir officier ou commissaire, d’autres sortent à peine des études... Nous avons des profils sociologiques totalement différents dans les écoles, la formation doit donc ressembler à un « formatage » sur les techniques nécessaires, pour permettre aux futurs policiers d’être en capacité d’agir.

Quel est l’impact des annonces politiques en termes de recrutement sur votre travail ?

La gestion de certaines annonces politiques en matière de recrutement dans la police est parfois complexe, en particulier dans leur mise en place. Les structures n’étant pas extensibles, nous avons adapté notre organisation sur neuf promotions, suite au passage de 487 à 4 800 gardiens de la paix, en plusieurs phases. Lorsque François Hollande s’est présenté, il s’est engagé à recruter 2 500 gardiens de la paix par an. Nous avons eu la première vague d’attentats avec Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, qui a entraîné un plan de lutte contre le terrorisme et donc des recrutements en hausse. Nous avons eu ensuite le début de la crise migratoire, avec un plan de recrutement contre les phénomènes d’immigration irrégulière, puis nous avons eu le Bataclan qui a fait naître le pacte de sécurité.

Tout cela a successivement chargé les écoles. Il y a d’un côté l’engagement politique et de l’autre son application : lorsque le politique annonce le recrutement de 3 000 gardiens de la paix, il ne faut pas omettre que, derrière, il va falloir un an pour organiser le concours puis un an pour les former. L’arrivée des recrues survient donc plus de deux ans après l’engagement politique, ce qui lui fait perdre largement de sa visibilité vis-à-vis de la population. Il a donc fallu adapter les modalités de recrutement - notamment avec la mise en place d’un concours exceptionnel -, la durée de scolarité, en la réduisant sur neuf promotions entre 6 à 10,5 mois au lieu des douze habituels. Depuis septembre 2017, nous sommes revenus à une scolarité normale de douze mois.

Nous préparons  actuellement une nouvelle scolarité, qui sera mise en place à partir de juin 2018. Nous avons travaillé sur un référentiel des missions, sur les compétences attendues, avec les directions « employeuses » - PP, DCSP, DCCRS, PAF... - avec des rencontres en Centrale, avec des gardiens, des gradés, des commissaires. Nous élaborons actuellement la traduction de ce référentiel de missions en référentiel de compétences, puis en formations. Nous repasserons à deux périodes d’alternance au lieu d’une, la première au moment de l’apprentissage des fondamentaux et la seconde vers la fin de scolarité pour « digérer » tout l’enseignement. Le but est de s’adapter à la commande politique et aux impératifs pédagogiques.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis d’un formateur en école de police ?

J’attends de lui qu’il fasse passer de l’expérience. Je rêve que le passage par la formation soit un impératif dans la carrière du policier, tous corps confondus, que cela devienne un passage obligé. Le formateur va transmettre aux autres ses connaissances, mais surtout son expérience. C’est un des métiers les plus complets de la Police nationale, car vous avez certes des connaissances techniques à acquérir, mais les métiers sont d’une telle complexité qu’ils font appel à de nombreuses compétences : contact, gestion du stress, polyvalence, judiciaire, renseignement... Le formateur doit aussi savoir s’adapter à son auditoire, extraire par exemple l’expérience d’un ADS pour la partager avec les autres, savoir gérer un élève surdiplômé comme celui qui a quitté le monde scolaire depuis de nombreuses années. C’est aussi de la gestion de groupe, de la curiosité, de l’empathie, de la bienveillance. Notre rôle est primordial, essentiel, car nous sommes le premier maillon pour former des gens qui resteront 35 à 40 ans dans une institution, qui porteront une arme, qui seront au contact de la population. C’est à travers eux que l’on va juger l’institution. Le formateur a donc un rôle considérable.