Dans les coulisses de l'élection présidentielle

Dans les coulisses de l'élection présidentielle

Dimanche 7 mai s’est tenu le second tour de l’élection présidentielle. Recueillant la majorité absolue des suffrages exprimés, Emmanuel Macron est devenu le 8e président de la Ve République.


Au cœur de ce scrutin majeur, les agents du ministère de l’Intérieur étaient mobilisés place Beauvau et dans les préfectures, à l’exemple de celle d’Eure-et-Loir, pour veiller au bon déroulement des opérations.

Dimanche 7 mai 2017 - 08h00

Les 66 500 bureaux de vote du territoire métropolitain ouvrent officiellement leurs portes pour le second tour de l’élection présidentielle.   

47 568 693 électeurs inscrits sur les listes électorales sont appelés à élire le 8e président de la Ve République française, le 25e depuis Louis-Napoléon Bonaparte élu en décembre 1848. Emmanuel Macron (24,01 % des voix au 1er tour) et Marine Le Pen (21,30 %) s’affrontent. Dans un pays en état d’urgence, cette élection est placée sous très haute surveillance avec la mobilisation de 50 000 policiers et gendarmes, appuyés par les militaires de l’opération Sentinelle.

Une circulaire ministérielle, envoyée à l’ensemble des préfets, a rappelé les mesures de prévention à mettre en place pour les deux tours, comme de privilégier les patrouilles de police dynamiques autour des bâtiments.

Au sein du secrétariat général du ministère de l’Intérieur, la direction de la modernisation et de l’action territoriale (DMAT) est en charge de l’organisation du scrutin. Dès mai 2016 elle a préparé cette élection en produisant notamment près d’une cinquantaine de textes, décrets, arrêtés, instructions ou autres circulaires, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, gardien de l'élection : circulaires d’organisation adressées aux maires et aux préfets, mémento de l’élection donnant tous les détails de l’organisation aux candidats, formulaire de présentation d’un candidat pour l’élection présidentielle, convocation des électeurs, transmission des procès-verbaux des commissions locales de recensement au Conseil constitutionnel, instructions relatives à la sécurité.

« Compte tenu des différentes menaces susceptibles de peser sur les processus électoraux, il était primordial de rédiger pour les services des instructions parfaitement détaillées, claires, pour protéger nos concitoyens et sécuriser les bureaux de vote », indique le préfet Alain Espinasse, directeur de la DMAT.

Une tradition préfectorale au cœur de la vie démocratique nationale

Sophie Brocas, la préfète d’Eure-et-Loir, le rappelle : « L’organisation des élections est une grande tradition de la vie des préfectures. Pour autant, pour chacun d’entre-nous, des agents aux collègues du corps préfectoral, c’est le sentiment, à chaque fois, de participer directement, concrètement, à un moment important de la vie du pays. Il y a une certaine gravité, mais une fierté aussi, d’être ainsi les artisans de l’histoire démocratique qui est en train de s’écrire. En tout cas, je suis impressionnée par la réactivité, l’organisation, l’adaptation même – nous avons dû cette année faire face à un renforcement des mesures de contrôle et de sécurité - des personnels de la préfecture qui se mobilisent, au-delà des contraintes et de la fatigue, pour ces journées et ces nuits exceptionnelles »

10h00 - Salle des fêtes du ministère de l’Intérieur

Journalistes

L’élection présidentielle passionne bien au-delà de nos frontières. Plus de 360 journalistes et techniciens de presse ont été accrédités pour suivre l’évènement place Beauvau. Face à l’affluence des médias, une seconde salle de presse a été aménagée pour la première fois dans le salon Erignac.

« La presse est largement conviée à venir prendre connaissance des résultats, des taux de participation et de l’ensemble des informations mises à sa disposition le jour du scrutin, précise le délégué à l’information et à la communication (DICOM), David Julliard. Plus d’une centaine d’organes de presse du monde entier sont présents. »

Autre mission dévolue à la DICOM, aux côtés de personnels de la DSIC : apporter un soutien à la commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle (CNCCEP), installée au Conseil d’État. « Nous y veillons Internet et les réseaux sociaux pour nous assurer que tout se déroule conformément aux règles, qu’il n’y ait pas d’entorses à la réglementation qui régit le bon déroulement démocratique de la campagne électorale », continue David Julliard.

11h25 - Place Beauvau, Bureau des élections

À quelques minutes du premier temps fort de la journée, les agents du bureau des élections attendent les remontées d’estimation du taux de participation des trois bureaux de vote-tests identifiés dans chaque département. L’objectif est de recevoir, d’ici 11 h 40 sur le système d’information « Élections » (SIE, l’application nationale de collecte et de centralisation des résultats), l’intégralité des chiffres des préfectures pour pouvoir établir le premier taux de participation à l’échelle nationale. La tension est palpable, les préfectures répondront-elles en temps et en heure ?

Quelques instants plus tard les chiffres tombent simultanément sur les ordinateurs de la cheffe du bureau des élections et des études politiques (BEEP), Sylvie Calves, et de ses trois adjoints. L’un d’entre eux, Cyriaque Bayle, réagit alors que les premiers résultats apparaissent sur son écran : « Il a fallu que la machine soit parfaitement huilée pour que tout remonte à ce moment précis. Nous avons fait pas mal de piqûres de rappel aux services des élections des différentes préfectures via des circulaires, des mails, des coups de téléphone. Il est impératif que le ministère communique à 12h et à 17h sur les taux de participation ».

Après quelques secondes de calculs, le SIE lâche le chiffre tant attendu : le taux de participation est de 28,23 % à 12 h 00 dans les 96 départements métropolitains. Le Gers (37,56 %), la Haute-Marne (35,93 %) et l’Aude (35,65 %) sont les bons élèves en termes de participation, alors que l’Ile-de-France est à la traîne avec la Seine-Saint-Denis (19,54 %), le Val-de-Marne (19,84 %) et Paris (21,79 %).

11h30 - Préfecture d’Eure-et-Loir, à Chartres

Toutes portes fermées, la préfecture d’Eure-et-Loir est encore calme. Seuls les reflets démultipliés du large drapeau tricolore qui flotte devant la façade vitrée du bâtiment administratif donnent un mouvement singulier à cet étonnant vaisseau de verre. Et pourtant, au dernier étage, dans le bureau de Christophe Lantéri, le directeur de cabinet de la préfète, on s’active. Et pour cause : le temps presse ! Peu avant midi, les chiffres de participation des trois bureaux de vote-tests du département doivent avoir été transmis place Beauvau pour l’annonce officielle de la participation nationale à la mi-journée. Sans attendre, le directeur de cabinet et son chef de bureau, François Perrin, appellent les trois agents que la préfecture a dépêchés sur place, afin qu’ils précisent le nombre d’électeurs ayant voté depuis l’ouverture des bureaux de vote concernés. À 11 h 35, ces trois chiffres-clés sont renseignés à temps dans le SIE. À midi précis, Béatrice Tanguy, chargée de communication de la préfecture, informe les médias locaux, par SMS et par communiqué de presse, du taux de participation des électeurs du département.

Bureaux-tests et analyses

Avant chaque nouvelle élection, sur la base des résultats des précédents scrutins locaux et nationaux, la DMAT établit, pour chaque département, une liste de bureaux de vote dont les résultats ont été les plus proches de ceux exprimés au niveau national. Il revient alors aux préfectures d’en choisir trois dans cette liste qui seront considérés comme bureaux-tests tout au long de la séquence électorale pour indiquer les taux de participation à midi et à 17 heures, et pour  recenser les cent premiers bulletins dépouillés lors des deux tours. « Notre responsabilité consiste à déterminer dans cette liste trois bureaux représentatifs du département, explique Christophe Lantéri, directeur de cabinet de la préfète d’Eure-et-Loir. Afin de respecter la physionomie du territoire, nous avons ciblé un bureau en zone rurale, un autre en milieu péri-urbain, et le troisième dans l’agglomération chartraine ».

Le directeur de cabinet et le chef du bureau du cabinet, François Perrin, sont aussi à la manœuvre pour analyser l’ensemble du scrutin sur le département, et notamment dégager les forces politiques en présence en perspective des scrutins suivants, notamment en vue des législatives le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle.

12h00 - Place Beauvau, Salle des fêtes

Taux de participation 12h

La DICOM vient de communiquer le chiffre national de la participation. Les directs des chaînes de télévision s’enchaînent dans la salle des fêtes pour annoncer et commenter le chiffre qui passe alors en boucle sur les chaînes d’information en continu.

14h15 - Place Beauvau

Dans les sous-sols du ministère, la cellule interministérielle de crise (CIC) Beauvau est en format « cellule de veille et de suivi ». Des représentants de la Police et de la Gendarmerie nationales, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC), de la DICOM, de la préfecture de Police et du ministère de la Défense sont réunis en salle situation.

Cellule veille CIC

L’objectif est d’assurer une remontée d’informations la plus rapide et la plus fiable possible par l’intermédiaire de tous les centres opérationnels. « Ce dispositif nous permet d’obtenir une vision directe des incidents survenus sur le terrain, et le cas échéant, de monter en charge et d'activer la CIC en mode « décision », explique Sandra Guthleben, chef du bureau planification, exercices et retours d’expérience à la DGSCGC. Nous prévenons dans les plus brefs délais le ministre et son cabinet de tout problème saillant survenu. »

15h30 - Cour Beauvau

De retour d’une réunion avec Jean-Marc Falcone, le directeur général de la Police nationale, Frédéric Auréal, chef du service de la protection (SDLP), détaille le rôle de ses hommes : « Le SDLP est mobilisé depuis le début de la campagne électorale avec la protection de 8 des 11 candidats du premier tour, avec des niveaux de protection différents et évolutifs. Les deux finalistes disposent chacun de 25 officiers de sécurité. La difficulté de cette mission est d’assurer la sécurité de candidats qui cherchent à aller au contact de leurs concitoyens. Il faut alors concilier la proximité, la liberté politique et les impératifs de sécurité. Sans compter les nécessités qui sont les nôtres en matière d’état d’urgence et d’un niveau de protection élevé par rapport à la menace terroriste qui pèse.

La sous-direction de la sûreté est également mobilisée avec une cinquantaine de policiers présents sur différents sites pour y assurer la sécurité des bâtiments. Notre seul objectif est de permettre à ce moment démocratique de s’exercer dans les meilleures conditions de liberté possible ».

16h15 - Chartres

Pendant que l’estimation de 17 heures se prépare, les agents techniques de la préfecture finissent d’installer le dispositif de la soirée électorale : un salon est aménagé à l’entrée du bureau de la préfète pour accueillir les personnalités et les élus locaux, et suivre les émissions en direct à la télévision. À l’autre bout du couloir, une grande table est dressée pour offrir un moment de détente aux agents qui seront chargés ce soir de la saisie et du contrôle des opérations électorales. C’est Patrick Roger, le chef cuisinier de l’hôtel préfectoral depuis 25 ans, assisté de Lydie Carvalho, qui assure la confection et la tenue du buffet. Partout, avec discrétion et efficacité, les logisticiens de la maison s’affairent pour que ce dimanche si particulier se passe sans accroc, et que chacun puisse travailler dans les meilleures conditions.

16h25 - Place Beauvau

Comme cinq heures auparavant, les membres du bureau des élections et des études politiques sont en attente des taux de participation des trois bureaux de vote-tests désignés par chaque préfecture. Une fois de plus, aucun impair n’est à noter, les chiffres arrivant tous à l’heure prévue. Sur les 96 départements, la moyenne des électeurs qui se sont rendus aux urnes est de 65,3 %. L’Allier (72,64 %), l’Eure (72,49 %) et les Deux- Sèvres (72,21 %) sont les bons élèves, alors que la Seine-Saint-Denis (54,65 %), le Val-de-Marne (57,59 %) et Paris (58,77 %) continuent à fermer la marche.

Taux participation 17h

18h30 - Chartres

Les premiers agents de la préfecture arrivent pour assurer la longue soirée électorale. Ils seront 19 volontaires sur le pont, sans compter les personnels du service interministériel départemental des systèmes d’information et de communication (SIDSIC). Véritables chefs d’orchestre de cette soirée, Laurent Boillée, directeur de la réglementation et des libertés publiques (DRLP), et Élisabeth Guibert, chef du bureau des élections et de la réglementation, sont quant à eux mobilisés depuis 7 h 45 pour répondre aux appels des bureaux de vote.

18h45 - Place Beauvau

Dans la salle des fêtes, les équipes de la DSIC sont sur le qui-vive, elles qui préparent cet évènement depuis de longs mois, avec une nouvelle problématique à gérer : sécuriser et fiabiliser la remontée des résultats par le système d’information « Élections ». « Le besoin de sécuriser les systèmes et applicatifs touchant aux élections est devenu particulièrement sensible dans un contexte international qui laisse à penser que si les systèmes sont faillibles, ils pourraient être utilisés ou détournés pour influer sur les résultats, déclare Ghislaine Chambre, adjointe au chef de bureau du pilotage des applications de la DSIC.

Pour accroître le niveau de sécurité, de nombreux travaux ont été réalisés pour un meilleur isolement de la sphère « Élections » : un durcissement des mots de passe, la mise en œuvre d’une gestion du poste de travail plus fine, notamment avec le blocage des clés USB et des accès Internet, et d’autres actions pour que le ministère soit doté ce soir d’un système d’information homologué à diffusion restreinte. »

Élection rime avec anticipation

« Entre les communes du département et l’administration centrale, nous intervenons à tous les stades du processus électoral, explique Carole Chevrier, secrétaire générale de la préfecture. Outre la partie réglementaire qui consiste à décliner les circulaires nationales et, entre autres choses, à prendre les arrêtés préfectoraux créant les bureaux de vote et fixant leur périmètre géographique, il nous revient, bien en amont du scrutin, de sélectionner, par le biais de marchés publics régionaux, à la fois l’imprimeur et le routeur de tout le matériel électoral : bulletins de vote, enveloppes et professions de foi des candidats. Ces opérations étant externalisées, nous assurons un contrôle nécessaire : des équipes de la préfecture sont envoyées chez les prestataires pour opérer des vérifications aléatoires par échantillonnage – contrôle des formats, polices de caractère, mise sous plis, expéditions, etc. – à chaque étape du processus ».

Mais le rôle de la préfecture ne s’arrête pas là. Il revient en effet au DRLP, ainsi qu’à la cheffe du bureau des élections et de la réglementation, d’assurer l’information des communes, chargées notamment de la révision des listes électorales, et particulièrement la communication des mesures de sécurité mises en place au niveau national (mot de passe, établissement des listes de contact, procédures de transmission des résultats, etc.).

19h00 - Chartres

Tout le monde est  maintenant réuni dans la grande salle du dernier étage, transformée en véritable centre d’appel. Autour de la table, les agents du SIDSIC ont disposé une vingtaine d’ordinateurs et de postes téléphoniques. Les bureaux de vote viennent de fermer.

Malgré le stress qui monte,  l’heure est encore à la détente. Dans la bonne humeur, chacun écoute les dernières consignes de sécurité que rappelle le DRLP : « Lorsque vous décrochez, n’oubliez pas de demander d’abord au président du bureau de vote le code confidentiel qui lui a été transmis au préalable ! », insiste-t-il. Une autre mesure de sécurité s’impose aussi cette année : la saisie informatique sur le SIE est également doublée par un relevé manuscrit sur des fiches papier. « Ce n’est que lorsque vous aurez effectué et vérifié cette double saisie que vous pourrez enregistrer vos résultats sur l’application », souligne le directeur. « Enfin, vous veillerez à rappeler au président du bureau de vote de ne pas oublier d’apporter son procès-verbal à la gendarmerie ! »

Le silence est revenu dans la salle. Chacun est désormais concentré et prêt à accomplir sa tâche. La secrétaire générale jette un œil sur sa montre : les premiers résultats ne vont plus tarder. Autour de la table, chacun s’observe nerveusement : qui décrochera le premier appel ? « Le gagnant offrira le champagne », lance un collègue... Rire général.

19h11 - Chartres

Dans son bureau, le directeur de cabinet vient de recevoir les résultats des cent premiers bulletins dépouillés dans les trois bureaux de vote-tests du département. Ils sont immédiatement transmis, via l’application Élections, au ministère de l’Intérieur. La préfète, Sophie Brocas, qui fait le tour du dispositif pour s’assurer que tout est en place, s’enquiert de ces premières estimations : Emmanuel Macron est en tête.

19h20 - Place Beauvau

L’heure fatidique approche, la tension monte au bureau des élections. Pour François Pesneau, DMAT adjoint, « lorsque les premiers résultats vont arriver dans quelques minutes nous effectuerons une estimation sur la base des 100 premiers bulletins dépouillés dans les trois bureaux-tests de chaque département. Nous avons demandé aux préfectures que les dépouillements se fassent rapidement et qu’elles dépêchent sur place des agents pour ne pas perdre de temps et que les résultats nous soient transmis dans les plus brefs délais ». La fenêtre de tir est réduite, les préfectures auront à peine quinze minutes pour renseigner l’application.

Tout se passe alors dans le bureau de Sylvie Calves. Autour de l’ordinateur de la cheffe du bureau des élections, une poignée de privilégiés : le secrétaire général, Denis Robin, le DMAT, le DMAT adjoint, et les cadres du bureau des élections sont penchés sur l’application Élections et sont les premiers Français à connaître l’issue du vote.

« L’application utilise des coefficients pour chaque département, précise François Pesneau, la Creuse n’ayant pas le même poids électoral que la Haute-Garonne. Ces coefficients permettent ensuite d’établir une projection des résultats. Celle-ci se révèle particulièrement fiable, grâce aux préfets qui possèdent une connaissance fine de leur territoire pour retenir un bureau de vote test. »

Les chiffres arrivent de toute la France. L’instant est solennel. Très vite, l’identité du vainqueur de l’élection ne laisse planer aucun doute : à peine les résultats des premières préfectures arrivés, la tendance donne 62,5 % pour Emmanuel Macron.

Au bout d’une poignée de minutes, près de 60 % des préfectures ont transmis leurs résultats partiels. « Attention ça bouge ! », entend-on de la bouche d’un adjoint du bureau des élections. Les résultats de l’Ain, de l’Ille-et-Vilaine et d’autres complètent la liste. La tendance montre un nombre très important de votes nuls et blancs. Denis Robin, le secrétaire général, saisit son téléphone pour appeler le directeur de cabinet du ministre et lui transmet les chiffres de chaque candidat, le nombre de votants et la participation, pour qu’il puisse informer le ministre de l’Intérieur.

« Il n’y a aucune diffusion de ces chiffres, précise Alain Espinasse. Ils permettent de donner une tendance et d’informer l’autorité politique. C’est sur cette base aussi que nous apportons notre analyse pour contribuer à la première intervention du ministre de l’Intérieur. »

La sécurité informatique renforcée

La sécurité des systèmes d’information et de communication est primordiale dans le processus électoral. « En lien constant avec la DSIC à Beauvau, nos équipes ont travaillé d’arrache-pied pour mettre en œuvre et garantir l’ensemble des dispositifs de sécurité du système d’information élection, explique Stéphane G., agent du service interministériel départemental des systèmes d’information et de communication (SIDSIC). Cette mise en œuvre porte principalement sur trois points : le réseau, qu’il faut maintenir hermétique ; la partie « unités centrales », c’est-à-dire l’ensemble des terminaux informatiques de saisie qu’il a fallu entièrement réinstaller et configurer ; et, enfin, le système proprement dit, entièrement dédié au processus élections ».

Pour prévenir tout problème, l’ensemble des réseaux ont été doublés. La téléphonie d’abord, avec, en parallèle du réseau classique utilisé pour la communication des résultats par les bureaux de vote, l’armement d’une flotte GSM, immédiatement opérationnelle après avertissement des présidents de bureaux de vote par SMS. Enfin, un dispositif de secours informatique a été mis en place dans une salle sécurisée de la préfecture. « Cette salle informatique est totalement étanche, et non reliée à un quelconque réseau. En cas de compromission, les résultats peuvent être enregistrés en temps réel sur une application autonome, de telle sorte que les chiffres aussitôt additionnés et vérifiés peuvent être communiqués dans les temps par la préfète aux autorités à Paris », explique le responsable informatique.

19h23 - Salle de réunion, Chartres

Un poste sonne. Le silence qui règne maintenant dans la pièce intimide la première opératrice que tout le monde cherche du regard. Elle a coiffé son micro-casque et décroche le téléphone. Sa voix se fait discrète. Heureusement pour elle, sa conversation est aussitôt couverte par un deuxième appel. Puis un troisième. En quelques minutes, la salle de réunion se transforme en véritable ruche : dans le brouhaha des appels, le DRLP, la chef du bureau des élections et sa collaboratrice Sylvie Davory (BDE), sollicités de toutes parts, se pressent de poste en poste pour répondre aux différentes questions qui se posent pendant la saisie, tandis que le directeur de cabinet et la secrétaire générale scrutent l’écran de l’ordinateur qui centralise en temps réel les premiers résultats.

20h00 - Place Beauvau

L’heure est grave dans la salle des fêtes. Le verdict tombe lorsque le visage d’Emmanuel Macron apparaît sur tous les écrans. Ce n’est pas l’endroit ni le lieu pour une quelconque effusion ou pour émettre le moindre commentaire. Au centre de la salle, douze terminalistes de la DSIC s’apprêtent à entrer en action. « D’un côté, les préfectures centralisent les résultats des bureaux et les intègrent dans l’application, continue Ghislaine Chambre de la DSIC. De l’autre, une équipe de terminalistes provenant de toutes les sous-directions sont les seuls habilités à consulter l’ensemble des résultats pour une ville, un département ou un résultat global sur la France. »

Techniciens, terminalistes, administrateurs réseau, la DSIC a mobilisé près de 150 personnels aujourd’hui en centrale et dans les préfectures, dix terminalistes étant même à l’Élysée, à Matignon, à l’Assemblée nationale mais aussi au Conseil constitutionnel, pour informer directement les responsables politiques et répondre à la presse. Un peu plus loin, l’équipe web de la DICOM publie les résultats sur le site Internet du ministère et sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram). Durant la journée, les deux taux de participation et de nombreux messages d’incitation à se rendre à voter ont été publiés sur les supports numériques du ministère.

Résultats

20h00 - Chartres

Dans le salon, la secrétaire générale, le directeur de cabinet et le directeur de la réglementation et des libertés publiques se sont rassemblés autour de la préfète. Immobiles un instant devant la télévision, ils assistent en direct à l’annonce des premières estimations nationales des instituts de sondage. Mais, sitôt le visage d’Emmanuel Macron apparu sur l’écran, et tandis que les premiers commentaires fusent sur les plateaux de télévision, chacun retourne à sa tâche : il reste encore à recevoir les résultats de plusieurs dizaines de bureaux de vote du département, et à préparer la suite de cette soirée électorale.

21h30 - Place Beauvau

Le ministre de l’Intérieur prend la parole devant la presse pour confirmer la tendance des résultats. Prudent, il souligne que « les résultats définitifs ne seront connus qu’à une heure très tardive. Ils seront proclamés par le Conseil constitutionnel en milieu de semaine ».

Matthias Fekl annonce les résultats

Matthias Fekl annonce les résultats partiels sur 18 millions de bulletins de vote dépouillés, en précisant : « L’avance d’Emmanuel Macron est claire et nette. Il est élu dès cet instant à plus de 60 % des voix. Une fois l’ensemble des bulletins dépouillés, ce pourcentage devrait encore augmenter significativement si l’on se réfère aux résultats observés lors du premier tour dans les bureaux dont le résultat n’est pas connu à cette heure ».

Le ministre se basant alors pour cette intervention sur l’analyse précise du bureau des élections et des études politiques. Et de conclure par un message « à toutes nos forces de l’ordre, de police, de gendarmerie, militaires, polices municipales, mobilisés dans un contexte élevé (...), je veux dire ma reconnaissance et ma gratitude (...) Leur travail exemplaire a permis à nos concitoyens d’aller voter en toute liberté et en sécurité. Je remercie donc une nouvelle fois nos forces de l’ordre d’avoir été les sentinelles de la démocratie, notre bien le plus précieux ».

21h35 - Chartres

Le DRLP fait un point sur le SIE et relance par téléphone les derniers bureaux qui n’ont pas encore transmis leurs résultats. Au même moment, le directeur de cabinet analyse les chiffres par cantons et par circonscriptions électorales : ils donnent des indications sur le paysage politique du département pour les scrutins à venir, notamment celui des législatives prochaines. La préfète Sophie Brocas s’enferme un instant dans son bureau pour communiquer ces résultats aux grands élus du département. Dans quelques minutes, elle accueillera d’ailleurs Jean-Pierre Georges, député-maire de Chartres, venu partager ce moment démocratique avec la représentante de l’État dans le département. Ils sont rejoints par les sous-préfets de Châteaudun et de Nogent-le-Rotrou, Emmanuel Baffour et Christian Védélago, par le commandant du groupement départemental de gendarmerie, le colonel Luc Guyennon, et par le directeur départemental de la sécurité publique, le commissaire Gérard Morena, qui ont assuré avec succès la sécurité du scrutin dans le département. 

À quelques pas de là, les agents qui ont effectué pendant plus de deux heures la collecte et la saisie des résultats sur le SIE soufflent un peu. Ils partagent maintenant leur repas autour d’une grande table, cette fois-ci débarrassée de tout ordinateur et de tout téléphone : l’heure est à la détente et à la convivialité. Il faut reprendre des forces, car la deuxième partie de la soirée, celle qui consiste à vérifier l’ensemble des procès-verbaux sous l’autorité de la commission départementale de recensement des votes, s’annonce bien longue...

22h35 - Chartres

La nuit est tombée sur la préfecture. Dans le hall, les premières patrouilles de la Gendarmerie nationale apportent, par caisses entières, les procès-verbaux  de chaque commune que les gendarmes ont centralisés dans les brigades chefs-lieux de canton. « Le travail des gendarmes – 85 sont mobilisés ce soir, et 55 policiers dans les zones urbaines – est essentiel, souligne Laurent Boillée. Outre la sécurisation des bureaux de vote qu’ils ont assurée tout au long de cette journée sensible, ils procèdent à un contrôle important en collectant, de manière précise et exhaustive, les plis de toutes les communes du département, brigade par brigade : c’est l’assurance pour nous de recevoir tous les procès-verbaux sans exception. »

Sitôt les caisses déposées dans le hall par le ballet des gendarmes, plusieurs agents de la DRLP s’affairent pour recenser chaque enveloppe et les classer par ordre alphabétique des noms de communes.

23h00 - Place Beauvau

Alors que la salle des fêtes se vide peu à peu des journalistes, le bureau des élections entre dans la phase de clôture des départements. Lorsqu’un département a reçu l’intégralité de ses résultats et qu’il les a saisis sur l’application, il demande au bureau des élections sa « clôture », son « quitus ».

« On observe alors si tout est cohérent, logique. Si l’un des deux candidats apparaît avec 99 % des voix ou si l’on observe seulement 5 % de participation sur un bureau de vote, il y a un problème quelque part. » Une fois la clôture accordée par la centrale, chaque préfecture peut alors finaliser les travaux de la commission de recensement des votes. Une partie de l’équipe du bureau des élections se penche sur la rédaction de la note d’analyse qui sera remise au petit matin au ministre.

Quels sont les reports de voix par rapport au premier tour ? Où a-t-on le plus voté pour Marine Le Pen ? Quels sont les résultats spécifiques dans un département, une ville, une région ? Tous les résultats sont décryptés, analysés, épluchés jusqu’au milieu de la nuit.

Au terme de cette journée, le secrétaire général, Denis Robin, tient à saluer l’implication des personnels du ministère : « J’ai bien conscience cette année d’avoir eu des exigences assez nouvelles par rapport à l’organisation des élections, comparé aux autres scrutins, parce que nous sommes en état d’urgence, parce qu’il y a des risques et parce que l’enjeu était essentiel. Personne n’aurait pu imaginer dans ce contexte que le moindre élément ne soit pas mis sous contrôle. J’ai bien conscience de cette organisation atypique et de l’impact qu’elle a eu mais, une fois de plus, le ministère de l’Intérieur et le réseau préfectoral ont fait preuve d’adaptation, de professionnalisme et sens du service du public. Ce réseau territorial est la grande force de notre ministère ! »

23h05 - Chartres

Le DRLP et l'adjoint au chef du SIDSIC informent le bureau des élections au ministère de l’Intérieur que les résultats des 563 bureaux de vote du département ont bien été enregistrés dans l’application Élections. Après vérification, ils obtiennent de Beauvau la clôture des opérations de vote. À cet instant, la pression redescend : aucun incident n’a été à déplorer dans le département et chacun se félicite de la bonne organisation de cette consultation majeure.

00h15 - Chartres

Malgré la fatigue, dans la grande salle du sous-sol de la préfecture, les agents sont à nouveau à leur poste. Ils se sont répartis en neuf binômes autour des tables qui ont été installées au centre de la pièce. Le long des murs, les 563 enveloppes des bureaux de vote du département ont été disposées par ordre alphabétique. Au bout des tables, trois magistrats du tribunal de grande instance composent la commission de recensement des votes. Sitôt installés, le travail peut commencer. Les enveloppes sont distribuées à chaque  binôme qui est ainsi chargé du contrôle. On compare les résultats portés sur les procès-verbaux avec ceux qui ont été transmis par téléphone quelques heures auparavant.

L’opération consiste aussi à recompter les bulletins blancs ou nuls qui ont été annexés aux PV des bureaux de vote. S’étalent alors sur les tables des dizaines de papillons de toutes sortes, raturés,  commentés, dessinés ou déchirés.  Certaines enveloppes contiennent parfois tout autre chose... Sans état d’âme, on compte et on recompte...

05h15

Les opérations de contrôle sont maintenant terminées et les magistrats de la commission de recensement annoncent la clôture des opérations : ils viennent de signer le procès-verbal départemental qui indique les totaux des suffrages exprimés et des voix obtenues par chacun des candidats, ainsi que la liste des communes dont le PV comporte la mention de réclamations. Tous les documents qui, il y a encore quelques minutes, jonchaient les tables, ont été soigneusement répertoriés, classés, conditionnés et seront archivés.

Alors que le soleil n’est pas encore levé, les collègues s’ébrouent maintenant vers la sortie. On se salue, on s’embrasse, tous ont la satisfaction du travail accompli. Les cernes qui trahissent la fatigue de certains, et les gobelets de café qui traînent encore ici et là, sont les derniers stigmates de cette longue nuit électorale. Dans quelques heures, c’est le chauffeur de la préfète qui prendra le relais : il doit déposer avant midi le procès-verbal départemantal au Conseil constitutionnel à Paris.

Nicolas Cervoni, Jacques Prévot et Richard Wawrzyniak

La proclamation des résultats

Résultats 2nd tour

Le juge de l’élection présidentielle est le conseil constitutionnel. Dès le lendemain de l’élection, ses membres se plongent dans les centaines de procès-verbaux des commissions locales de contrôle de chaque préfecture.

Le PV est alors « redressé » si des incohérences ont été signalées par une commission. Voici les résultats officiels annoncés le lundi 8 mai :

  • En raison d’irrégularités constatées lors du scrutin du 2nd tour dans 38 bureaux de vote sur 69 242 au total, le conseil a annulé 16 467 suffrages exprimés, soit 0.05% du total des suffrages exprimés.
  • Sur un total de 47 568 693 électeurs inscrits, le nombre de votants s’est élevé à 35 467 327, soit un taux d’abstention de 25,44%. Le nombre de bulletins blancs est de 3 021 499. Le nombre des suffrages valablement exprimés est de 31 381 603.
  • Emmanuel Macron : 20 743 128 voix, soit 66,10% des suffrages exprimés.
  • Marine Le Pen : 10 638 475 voix, soit 33,90% des suffrages exprimés.