Témoignages d'un commandant et d'un superviseur débruiteur de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, ainsi que d'un fonctionnaire au ministère de l'Intérieur.
"Le 13 novembre fut la plus grosse opération de secours que la BSPP ait eu à traiter depuis les attentats des années 80 : 125 engins, 430 sapeurs-pompiers sur le terrain dont 21 équipes médicales sur 7 sites et 250 dans le soutien et la chaîne de commandement.
Mais, la continuité de l’action n’aurait pas été possible sans les 1 700 sapeurs-pompiers de Paris pré-positionnés dans les centres de secours ou en états-majors opérationnels, pour assurer la couverture opérationnelle courante et anticiper l’éventualité d’une deuxième vague d’attaques.
Ce vendredi 13 restera marqué dans notre mémoire collective des Français et des sapeurs-pompiers de Paris en particulier.
Les attentats de Londres, de Madrid et du mois de janvier à Paris ont motivé l’organisation d’exercices cadres très réguliers avec l’ensemble des acteurs de la préfecture de Police mettant en œuvre des plans opérationnels éprouvés, dont le plus connu est le Plan rouge et sa version alpha mise au point par la Brigade depuis 2005. Il faut toutefois poursuivre notre préparation avec humilité et nous projeter sur l’évolution de la menace."
"La première alerte nous vient de la régulation médicale : une explosion aurait eu lieu au stade de France. Il y a un flottement de quelques secondes, nous attendons confirmation quand je reçois l’appel d’une dame : “Ça tire rue Bichat, il y a des gens au sol, ça masse.” Je lève la main et je dis “Fusillade”. Il y un grand silence, puis tous les postes se mettent à sonner. Chaque appel correspond à une demande de secours. Il ne s’agit plus de débruitage !
Tout s’enchaîne très vite. Les appels se suivent et se ressemblent malheureusement. J’ai au téléphone un peu plus tard un homme qui chuchote : “On est 40 bloqués dans le Bataclan, vous faites quoi ?” J’entends les terroristes tirer. Ma plus grande crainte est de perdre quelqu’un au bout du fil ! Je reçois beaucoup d’appels de personnes prisonnières de la salle de concert. Je les conseille comme je peux. Vers minuit, les sonneries se calment. C’est au tour des proches et des familles. Ils cherchent. Je n’ai malheureusement aucune réponse à leur donner..."
Le débruiteur filtre les appels pour ne garder que les demandes de secours.
"J’habite le 11 e arrondissement de Paris, et ce soir-là je me trouvais avec des amis dans un bar situé à une centaine de mètres du Bataclan. Nous avons entendu puis vu des gens qui venaient de la salle de spectacle annonçant qu’il y avait une fusillade à l’intérieur. Je me suis dirigé vers le Bataclan d’où l’on pouvait effectivement entendre des tirs d’armes nourris. Je me suis alors réfugié dans l’annexe du Bataclan où étaient rassemblées de nombreuses personnes. Trois policiers y étaient présents ainsi que deux pompiers qui devaient prendre en charge une quinzaine de blessés. Certains étaient dans un état critique et parmi eux un jeune homme qui, hélas, ne survivra pas à ses blessures. Je leur ai dit que j’étais fonctionnaire du ministère de l’Intérieur et leur ai proposé mon aide qu’ils ont acceptée.
J’ai prévenu ma hiérarchie puis j’ai essayé de rassurer les nombreux blessés présents. J’ai également assisté les pompiers en faisant des points de compression. J’ai en effet quelques connaissances en la matière car j’ai effectué de nombreuses missions à l’étranger pour la Croix rouge.
Nous sommes restés 2h30 dans cette salle. Des pompiers sont ensuite arrivés en renfort, accompagnés de policiers de la BRI qui se sont positionnés pour sécuriser l’évacuation des blessés puis des autres personnes. Je ne suis pas rentré chez moi de suite. J’ai aidé les policiers à canaliser les journalistes autour du site jusqu’à 5h00. Cette nuit-là, j’ai reçu un véritable coup de poing dans la figure. J’ai pourtant vécu des moments de stress intense du fait de mon passé humanitaire. J’ai travaillé dans de nombreux pays en guerre, en ex -Yougoslavie, en Afrique ou en Asie. J’ai même été otage de guerre, mais jamais je n’aurais imaginé être témoin d’actes aussi répugnants en bas de chez moi et que la guerre ferait irruption dans mon quartier. »