Témoignages du directeur de l’institut médico-légal de Paris et du responsable du service d’accueil de la préfecture de police.
« Directement saisi par le procureur de la République de Paris après les attentats, l’institut médico-légal (IML) est chargé de recueillir l’ensemble des corps et de répondre à la mission judiciaire que le magistrat nous fie : l’identification des victimes et, bien entendu, la détermination des causes de décès pour les corps désignés dans sa réquisition. L’IML est à même de gérer une telle situation puisque nous disposons d’une salle de catastrophe pouvant accueillir 200 corps et que nous avons déjà été saisis par le passé pour des événements ayant occasionné de nombreuses victimes, comme les crashs du Concorde et du vol Rio-Paris. Nous prenons donc en compte immédiatement l’ensemble des corps et déclinons l’ensemble des opérations médicolégales en fonction d’un protocole d’identification et de recherche des causes de la mort. Ce travail s’effectue avec les enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire de la préfecture de police, les techniciens de l’identité judiciaire et les enquêteurs de l’unité police d’identification des victimes de catastrophes de la sous-direction de la PTS de la DCPJ.
La priorité, martelée par les autorités, est l’identification des victimes afin d’établir, dans les plus brefs délais, une liste unique et de rendre les corps aux familles. Il n’est pas nécessaire de pratiquer une autopsie sur tous les corps. Un examen radiographique, un scanner et un examen approfondi avec détermination de la trajectoire de la ou des balles peut suffire. La mission d’identification a été rapidement menée puisque la liste définitive des victimes est arrêtée le 18 novembre. La possibilité de regrouper les corps en un même endroit est clairement un avantage pour nous. Elle permet à chacun de profiter immédiatement du travail d’analyse effectué par les collègues. L’IML, bien sûr, est également chargé de traiter les corps des terroristes. La problématique est différente car, d’un point de vue médico-légal, nous sommes en face d’autres schémas lésionnels.
L’état des corps de ces terroristes qui se sont fait exploser n’est en effet pas le même que celui des victimes, et l’enquête réclame une analyse plus poussée, qui aujourd’hui n’est pas encore terminée. Un seul de ces corps a été inhumé pour le moment ».
« Dimanche 15 novembre en début d’après-midi, la cheffe de cabinet du préfet de police m’appelle à mon domicile pour me dire qu’il y a un besoin urgent d’hôtesses à l’institut médico-légal (IML) pour accueillir les familles des victimes des attentats. Une petite cellule d’accueil psychologique a été mise en place mais est débordée par le nombre de personnes qui affluent. Le service dont j’ai la charge compte 54 hôtesses, mais je contacte celles qui habitent Paris, car il nous faut être rapidement sur place. Toutes répondent présent et, dès 15h00, nous sommes en place. Nous avons pour mission de guider les familles auprès de l’accueil pour qu’elles remplissent les formalités administratives et de les faire patienter avant la présentation du corps en présence du psychologue. Nous les recueillons ensuite après cette épreuve douloureuse, et je les raccompagne jusque dans la rue. Je n’ai pas à le faire mais je me sens en devoir d’être présente le plus longtemps possible pour toutes ces personnes qui ont perdu un être cher. La dignité dont elles font preuve face à cette tragédie m’impressionne. Nous intervenons pendant cinq jours à l’IML, de 8h00 à 19h00.
Des unités de soutien psychologique de renfort sont installées à l’extérieur, de sorte que les familles sont prises en charge plus longuement. Cela reste néanmoins très dur pour l’équipe, mais nous nous interdisons de craquer devant ces familles en pleine détresse. Les hôtesses font un travail exceptionnel. Certaines d’entre elles m’ont néanmoins confié qu’elles avaient pleuré dans les transports qui les ramenaient chez elles. J’ai moi-même craqué parfois mais jamais devant les familles ou mon équipe. A l’issue, j’ai demandé à la DRH à ce que nous soyons reçues par un psychologue, ce qui a été fait. J’ai également insisté sur le fait que, si le besoin s’en faisait ressentir, le psychologue les reçoive individuellement. Je ne sais pas si certaines en ont fait la demande. Personnellement, je prends ma retraite cette année, et je dois bien admettre que ces journées furent les plus pénibles de ma carrière. »