Jean-Michel Fauvergue, chef du RAID

Jean-Michel Fauvergue, chef du RAID
10 novembre 2016

« Mon premier souci : ramener mes hommes sains et saufs »


Pour l’opération de Saint-Denis, je suis averti mardi vers 10h-10h30 par le sous-directeur de la DCPJ qui me dit : « Jean-Michel, on va avoir besoin de tes gars, on a repéré du lourd. Pour l’instant je ne t’en dis pas plus. Je te rappelle et te dis si c’est bon. »

Vers minuit, nouveau coup de fil du sous-directeur, qui me dit de venir à Levallois-Perret. Là-bas, la SDAT et la DGSI nous livrent les noms des gars. Ils sont au courant de l’endroit exact, ils n’ont pas les plans de l’appartement. Ils nous font voir des vidéos de surveillance. La SDAT nous confime qu’ils ont des explosifs, de l’armement.

On part là-dessus. On se met d’accord pour une mise en place à 3h30. Nous ne sommes pas dans un cas de prise d’otages ou de tuerie de masse, mais dans une situation d’interpellation d’individus particulièrement dangereux. Dans ces cas-là, le RAID est le bras armé du service anti-terroriste de la PJ et de la DGSI.

Deux colonnes d’assaut se positionnent. On investit l’immeuble, et on commence à monter vers la porte palière indiquée. On met de l’explosif mais la porte ne cède pas. Ce n’est pas une science exacte, ce n’est pas du 100 %. A Vincennes, cela n’avait posé aucun problème. Et là malheureusement la porte a résisté et il a fallu mettre une deuxième charge qui n’a pas été initiée. Nous avons reçu très vite des tirs et des grenades qui venaient de l’intérieur. Nous avons eu alors plusieurs blessés par poly criblage.

Nous sommes alors face à des gens qui recherchent la mort, avec des gilets explosifs, des grenades. Mon but, et ce sont les consignes que je donne à mes gars, est de les maintenir un maximum à distance pour qu’ils ne fassent pas péter la moitié de la colonne d’assaut. On fait ensuite trois prisonniers, que l’on met dans le plus simple appareil pour vérifier s’ils ont des explosifs sur eux. Il y a ensuite un échange, que les médias ont retransmis, avec la femme : « Bouge pas, montre tes mains. Où est ton copain ? C’est pas mon copain ! » Et dans la foulée, une déflagration monstrueuse, qui fait vriller un des murs porteurs qui s’ouvre côté cour, et qui fait céder toutes les fenêtres côté rue. Un bout de corps tombe par la fenêtre.

On ne rentre pas comme des fous car on ne sait pas s’ils sont vivants ou s’ils sont morts. On emploie les moyens techniques à notre disposition, le drone à l’extérieur pour voir par les fenêtres, les velux, les toits. Mais on ne voit pas grand-chose, tout comme avec les robots. On fait alors partir le chien Diesel, qui fouille, qui tourne, qui voit, qui regarde. On l’entend se faire tirer dessus. On sait donc qu’il y encore quelqu’un de vivant à l’intérieur, armé.

On maintient la situation, on réalise un grenadage intensif de l’appartement. C’est pendant ce grenadage qu’Abaoud est tué mais nous ne le savons pas et nous continuons doucement notre progression. On décide d’envoyer le deuxième chien, qui ne parvient pas non plus à passer dans les gravats. On progresse tout doucement. Ce qui explique le temps long. Et le temps long fait partie de la technique face à quelqu’un qui a un gilet explosif. A un certain moment on parvient au deuxième étage, on fait passer les caméras par les trous et on voit dépasser un pied. On continue avec prudence et on parvient au cadavre d’un des terroristes. Une opération extrêmement dure, délicate car mon premier souci était de ramener mes hommes sains et saufs.

Jean-Marc, chef de la section d’intervention du RAID

« En très peu de temps, avec l’assaut de l’Hyper Casher, le Bataclan et Saint-Denis, nous nous sommes retrouvés avec les collègues du RAID face à des situations que certains anciens opérateurs de l’unité n’ont peut-être jamais vécues, de véritables situations de guerre.

Pour beaucoup de Français, nous sommes perçus comme le dernier bouclier face au terrorisme. Ils savent que nous sommes des soldats de la paix mais toujours en guerre. Notre objectif est de protéger la vie face à ce genre d’individus
fanatisés. D’ailleurs, il y a un dicton que j’aime citer : « Si aujourd’hui des gens peuvent dormir tranquillement c’est parce qu’il existe de par le monde d’autres gens capables de porter le feu, de risquer leur vie, pour qu’eux puissent continuer de dormir. » Si nous avons imposé une si forte pression aux terroristes en les mettant sous un tel feu nourri à Saint-Denis, c’est justement pour les obliger à se concentrer sur nous sans penser à venir aux fenêtres pour tirer sur
les bâtiments alentour ou par les planchers. »