Témoignages de personnels du pôle explosifs, interventions et risques chimiques du laboratoire central de la préfecture de police.
« Ce vendredi soir, je regarde le match à la télévision. Quand j’entends le bruit sourd de l’explosion, je suis persuadé qu’il s’agit d’une bombe. Personne ne semble pourtant s’affoler au stade, et pas d’avantage quand la deuxième explosion retentit. Je me suis sûrement trompé. Très vite, le responsable du déminage m’appelle pour m’annoncer qu’un attentat s’est produit au stade de France et qu’il faut rejoindre le labo. L’atmosphère y est particulièrement lourde car, entre-temps, nous apprenons que Paris est le théâtre de plusieurs fusillades. Nous nous équipons et partons pour le stade de France. Une fois sur place, nous prenons attache avec les démineurs et effectuons un tour des différents sites avec eux. Notre mission : rechercher tous les éléments constitutifs des engins explosifs permettant de les reconstituer, ainsi que les traces pouvant déterminer la nature de l’explosif utilisé. Nous nous répartissons sur les trois scènes, mais nous restons en contact pour comparer les éléments que nous récupérons. Rapidement, nous nous rendons compte que les engins sont de conception similaire, et il se confirme que nous sommes en présence de kamikazes, vu l’état des corps. Nous effectuons des prélèvements conservatoires pour capter et conserver les traces d’explosifs en vue de leur analyse. »
« Nous accompagnons bien sûr les enquêteurs de la brigade criminelle et les spécialistes de l’Identité judiciaire pour leur indiquer quels éléments sont constitutifs de la ceinture explosive afin qu’ils puissent mettre les scellés. Nous restons au stade de France jusqu’à 4h, car nous procédons à un ratissage systématique et minutieux des scènes d’attentat qui, pour certaines, s’étendent sur 100 mètres. Une fois le travail effectué, nous rejoignons Paris et le Bataclan. »
« Nous n’avons pas pu intervenir au Bataclan avant 6h, car il y avait encore trop de victimes sur place. Entre temps, les démineurs récupèrent au Comptoir Voltaire une partie de la ceinture d’explosifs de l’un des terroristes qui s’est fait sauter dans ce bar et qui n’a pas fonctionné. En découvrant la poudre blanche, ils comprennent rapidement qu’il s’agit de triacétone tripéroxyde (TATP), un explosif très puissant mais particulièrement instable. Dès 12h, le laboratoire confirme la nature de l’explosif. »
Loïc Paillat : Quand nous rejoignons le Bataclan, la brigade criminelle et l’IJ y sont depuis des heures. Nous leur indiquons dès notre arrivée les éléments particuliers que nous recherchons.
Delphine Cendra : Techniquement, le travail y est plus facile. Nous savons en effet quels éléments rechercher, puisqu’il s’avère que les terroristes ont utilisé le même type de ceintures. Mais psychologiquement, c’est très dur. Il nous faut en effet enjamber les corps pour rejoindre les zones où se sont fait exploser les terroristes. Nous croisons notamment le regard terrifié figé dans la mort de certaines victimes. Nous prenons cela de plein fouet.
Loïc Paillat : Le silence de la salle est également impressionnant, régulièrement rompu par les sonneries des portables des victimes. Nous savons que ce sont leurs proches qui tentent désespérément de les joindre. L’ambiance est glaçante. Nous tenons le coup en nous concentrant sur notre travail. Par contre, nous ressentons le contrecoup de cette épreuve lors des heures et des jours suivants.
Delphine Cendra : Paradoxalement, retourner au laboratoire dès le lundi et retrouver les collègues nous fait le plus grand bien. Mais cette nuit-là restera assurément l’une des plus éprouvantes de notre vie.