La division de police de Tourcoing et celle de Mouscron en Belgique effectuent régulièrement des opérations communes sur la frontière. Outre les échanges précieux d’informations, ces procédés mixtes permettent de poursuivre des interventions sur le territoire étranger. Passer la frontière n’est pas gage de tranquillité pour les délinquants, et le décret d’état d’urgence et la problématique migratoire n’ont fait que renforcer les mesures d’étanchéité.
La division de police de Tourcoing couvre plus de 25 kilomètres de frontière commune avec la Belgique et officiellement 12 points de passages routiers. Elle s’étend sur 10 communes qui font partie de la circonscription de sécurité publique de Lille-agglomération. Côté belge, quatre polices locales jouxtent la division de Tourcoing : Mouscron, Grensleie, Arro-Ypres et Comines-Warneton.
Le commissaire divisionnaire David Preud’homme, chef de la division de Tourcoing, relève une particularité intéressante du territoire : « Certaines zones françaises en bord de la rivière la Lys sont totalement enclavées en territoire belge et ne sont accessibles qu’en passant par la Belgique. De même pour des zones belges dans le territoire français. Cela s’explique par le changement du cours de la Lys au fil des siècles ». Impossible donc de ne pas déborder en terre étrangère ! La frontière, omniprésente, va même jusqu’à traverser la place Jacques Delors, commune aux villes d’Halluin et Menen et seule place transfrontalière d’Europe !
Si les attentats du 13 novembre ont accéléré la coopération directe et l’échange de renseignements entre les polices de Tourcoing, Roubaix et Mouscron, la délinquance « classique » reste la problématique principale des policiers frontaliers : « pour les voyous français, il est facile de s’installer, refaire sa vie en Belgique quand on est recherché par la police française. En quelques kilomètres ils pensent échapper au fisc, aux impôts ou à la douane », explique le commissaire David Preud’homme. Quant au problème migratoire, la route de migration passe surtout au nord du département mais les représentants des polices françaises et belges ne minimisent pas son impact : « la question migratoire devra être intégrée dans la programmation de nos patrouilles communes, assure le commissaire divisionnaire Olivier Dimpre, chef de la division de Roubaix. Il va falloir contrôler ces flux qui ne vont faire qu’augmenter dans les semaines et mois à venir ». « D’autant que les réfugiés peuvent profiter de la densité urbaine de ce territoire pour passer », ajoute le commissaire Dominique de Brauwere, de la police de Mouscron.
L’article 41 des accords de Schengen autorise juridiquement la poursuite d’un suspect sur le territoire d’un autre Etat contractant. Ce droit ne peut s’exercer que dans un cadre réglementé, pour des infractions précises, graves et en flagrant délit. Plus récent, l’accord de Tournai II (voir page 9) prévoit les modalités de la coopération directe entre les services locaux. Pour une gestion très concrète, une réunion transfrontalière est organisée tous les quatre mois et rassemble les divisions de Tourcoing, Roubaix et Armentières (toutes transfrontalières), le CCPD de Tournai, et leurs homologues des polices locales belges. Ils font un bilan des dernières patrouilles mixtes et des contrôles coordonnés, puis organisent les prochaines opérations, statiques ou dynamiques, et leur thématique.
Le nombre important de passages carrossables et non-carrossables complique la surveillance d’une frontière qui n’est pas marquée par un axe naturel. Les effectifs ne permettent pas d’étanchéifier l’intégralité de la frontière 7 jours sur 7, mais la mobilisation des fonctionnaires est renforcée depuis l’état d’urgence. « Nous organisons environ 7 à 8 patrouilles communes par mois pour la division de Tourcoing, auxquelles on ajoute des contrôles routiers mixtes », explique David Preud’homme.
Les fonctionnaires de police évoquent lors de la réunion leurs problématiques du moment : stupéfiants, contrefaçons, phénomènes de «car-jackings» (vols de voitures avec violences sur le conducteur)... le commissaire De Brauwere renseigne sur ce que les belges appellent les «foreign terrorist fighter», combattants terroristes étrangers, et relaie des informations de l’OCAM (office central de l’analyse de la menace) belge. Olivier Dimpre profite de la réunion pour « remercier les collègues belges pour la surveillance de la frontière dans ce contexte particulier de l’état d’urgence », avant de préciser que « pour utiliser au mieux nos moyens et effectifs, il est important de programmer les patrouilles mixtes au bon moment et au bon endroit ».
À Neuville-en-Ferrain, la rue de Gand et ses commerces fermés baignent dans l’obscurité. En face, à Mouscron, les devantures lumineuses des «tabacs shop», leurs vitrines chargées et les allers et venues des noctambules français venant acheter moins cher des paquets de cigarettes. Entre 22h et 23h, le transit à ce point de la frontière est encore important. Les policiers de Tourcoing et de Mouscron s’installent pour former un dispositif de contrôle « en miroir » de part et d’autre de la frontière. Une mesure prévue par l’ accord de Tournai II, selon lesquel les policiers peuvent assister leurs collègues étrangers dans leurs missions de police, toujours sous la direction des policiers territorialement compétents.
« À la frontière, la principale difficulté est le comportement des conducteurs, la tendance de certains à refuser le contrôle et à forcer le passage, explique le commissaire Liversain, adjoint au chef de la division de Tourcoing. Il y a toujours la tentation assez forte de se dire qu’il suffit de passer la frontière pour échapper aux forces de l’ordre, que s’ils font un délit de fuite ils ne seront pas contrôlés en Belgique ». C’est peu connaître les accords bilatéraux ! Et les deux motards départementaux prêts à réagir rapidement sont là pour les rappeler. « Les policiers doivent veiller à prendre toutes les mesures de prudence et de vigilance qui s’imposent, insiste le commissaire Liversain. Faire couper le moteur, se positionner de manière à ne pas se mettre en danger si l’individu prend la fuite ». Des plots et moyens lumineux délimitent la zone de contrôle des véhicules. Au-delà, les policiers sont équipés de stop-sticks en cas de fuite. « La frontière est un lieu de passage privilégié par les consommateurs ou trafiquants de stupéfiants, avertit le commissaire Liversain. Beaucoup de consommateurs belges viennent se fournir à Tourcoing, Lille ou Roubaix. En ce qui concerne la drogue de synthèse, les trafiquants se fournissent en Belgique ou aux Pays- Bas et rapatrient une partie des produits en France. C’est un flux continu dans les deux sens ». Défaut de permis, d’assurance, ou autres infractions routières sont également traqués par les policiers, comme les véhicules volés qui transitent par la frontière pour être revendus. « Nous vérifions les pièces auto, numéros de série... ».
« Nous faisons des contrôles communs pour des raisons d’efficacité, témoigne Nelson, adjoint de sécurité au commissariat de Tourcoing. On peut prendre attache directement avec le collègue belge présent de notre côté quand on a un doute sur un individu belge ». Pour l’un des policiers de Mouscron, « des points comme celui-là, les nights shop, il y en a beaucoup à la frontière. Nous faisons des contrôles frontaliers très régulièrement mais avoir un collègue français avec nous permet de vérifier certaines informations et d’avoir une réactivité encore plus importante ».
Floriane Boillot