Lettre de Bernard Cazeneuve adressée à Sébastien Pietrasanta et Georges Fenech

11 juillet 2016

Lettre du ministre de l'Intérieur adressée à Monsieur Georges FENECH, Président, et Monsieur Sébastien PIETRASANTA, Rapporteur, de la commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.


Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,

Votre commission a souhaité analyser la politique de renseignement et de sécurité à l’aune des attaques terroristes des 7, 8 et 9 janvier et de celles du 13 novembre 2015. Pendant toute la durée de vos travaux qui ont débuté le 9 février, le Gouvernement a été animé par la seule volonté de favoriser le travail parlementaire et d’éclairer les débats sur un sujet qui engage la Nation tout entière. Ainsi, alors même que votre commission était constituée moins de douze mois avant l’expiration des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur la surveillance des filièreset des individus djihadistes conduite sous la présidence de M. Eric CIOTTI (2 juin 2015) et alors même que les investigations judiciaires se poursuivaient sur les attentats subis en 2015, le Gouvernement lui a prêté tout son concours en mobilisant les ministères et les services intéressés pour apporter tous les éléments susceptibles d’éclairer vos travaux, hormis les éléments de procédure qu’il ignore lui-même.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai été auditionné sous serment le 7 mars et le 2 juin 2016, comme l’ont été les principaux directeurs de mon ministère qui ont tous répondu avec la plus grande diligence à chacune de vos demandes, certains à plusieurs reprises. Vous avez également observé, au Bataclan, une reconstitution des opérations menées le 13 novembre 2015 par les services d’intervention spécialisés, en présence des directeurs du RAID et de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) de la préfecture de police.

Il est important de souligner qu’à ce jour, l’enquête judiciaire se poursuit. Elle seule pourra établir la vérité sur ces tragiques événements, identifiera les auteurs, leurs complices, leurs soutiens et leurs commanditaires. Cette vérité, établie dans la sérénité et dans le temps judiciaire nécessairement long pour des sujets aussi complexes, la République la doit aux victimes, tuées, blessées ou meurtries, à leurs familles et à leurs proches dont la vie est irrémédiablement brisée.

J’ai pris connaissance du rapport de vos travaux qui vient d’être rendu public avec le plus grand intérêt.

En reconstituant minutieusement l’enchaînement des événements de janvier et de novembre votre rapport se prononce sur les conditions de l’action des forces d’intervention spécialisées.

Votre rapporteur, Sébastien PIETRASANTA, écrit notamment :

« D’une lecture attentive et objective des faits, il ressort que les interventions conduites en 2015 par le GIGN, le RAID et la BRI de Paris ont été réussies. Si à Dammartin-en-Goële, les frères Kouachi se sont présentés seuls face à l’unité d’élite de la gendarmerie nationale et ont pu être neutralisés sans difficulté, les interventions des forces de police à l’Hypercacher de la porte de Vincennes et au Bataclan se sont déroulées dans un environnement bien moins favorable, en milieu clos et en présence d’otages. À l’occasion de son déplacement au Bataclan, la commission d’enquête a pu mesurer un peu mieux l’étendue de la difficulté à affronter, dans un espace aussi confiné, des individus lourdement armés et décidés à mourir en martyr. Or, en janvier comme en novembre, aucun otage n’a perdu la vie durant les assauts. De même, aucun policier n’a, au sein des colonnes, été abattu. C’est la preuve de l’efficacité des techniques utilisées par chacune des
forces mais aussi de la qualité exceptionnelle des fonctionnaires qui les composent. »

L’interrogation qui a émergé de vos débats sur le choix opéré de ne pas déclencher la Force d’Intervention de la Police Nationale (FIPN) a également été éclairée par les précisions apportées au cours des auditions que vous avez conduites et je note que le « [...] rapporteur considère que le déclenchement de la FIPN aurait vraisemblablement eu un effet limité, pour ne pas dire nul, sur la résolution de la crise le soir du 13 novembre. À l’instar du préfet de police de Paris et du DGPN, il estime, par conséquent, qu’il n’était pas nécessaire d’y recourir à cette occasion ».

Par ailleurs, il convient de préciser à nouveau que le GIGN avait été positionné le 13 novembre à la Caserne des Célestins par mesure de précaution, au cas où – dans un contexte d’attentats multi-sites – de nouvelles attaques seraient déclenchées dans Paris ou sa banlieue au cours la soirée. Son intervention n’était pas directement nécessaire au Bataclan où les unités d’intervention de la police nationale étaient engagées avant même son arrivée à Paris.

Votre rapport est particulièrement éclairant sur le déroulé des attaques du 13 novembre et de la prise d’otage du Bataclan, qui procédaient d’un mode opératoire inédit, tant par son ampleur (attaques multi-sites) que par la nature des armes employées (ceintures explosives).

Vous situez à 21h40 la pénétration des trois terroristes armés de Kalachnikov dans la salle de concert. Vous attestez de l’intervention de deux fonctionnaires de police à 21h54, déroutés du Stade de France, à l’intérieur même de l’établissement, aboutissant à la mort d’un premier terroriste à 21h57 et contraignant un second terroriste, posté à une sortie de secours et en prise avec des fonctionnaires de la BAC 94, à battre en retraite, favorisant la libération de plusieurs centaines d’otages et permettant, selon vos propres termes, de mettre « fin à la tuerie de masse ». L’analyse de vos travaux permet de conclure qu’en dix-sept minutes, l’intervention des fonctionnaires de police a permis d’isoler deux terroristes lourdement armés et munis de ceintures explosives.

Vous poursuivez en analysant le dispositif qui a permis une évacuation des victimes dans les minutes qui suivirent jusqu’à l’assaut final, alors même que les terroristes étaient toujours dans les lieux. Vous indiquez, en particulier, combien il fut déterminant de préserver un périmètre
relativement sécurisé au rez-de-chaussée de l’établissement, les terroristes encore présents étant repoussés à l’étage. Ce dispositif a permis de procéder aux premières évacuations avec l’appui de la Compagnie de Sécurisation et d’Intervention (CSI) de Paris, également sur place. Ainsi,
plusieurs vies ont été sauvées et l’assaut final de la BRI à 00h18, permettant la neutralisation des terroristes, a pu s’opérer sans que de nouvelles victimes soient à déplorer.

Vous estimez la fin des opérations de secours à 4h21, heure à laquelle l’ensemble des personnes impliquées ont terminé d’être évacuées (cinquante-six blessés en urgence absolue et cinquante- huit en urgence relative).

S’agissant de la cible visée, vous m’avez interrogé, au cours de mon audition, sur les prétendues déclarations de Farouk BEN ABBES, arrêté en vertu de son implication supposée dans un attentat en Egypte, et qui aurait signalé aux services égyptiens que la salle de spectacle du Bataclan constituait une cible. Je vous ai alors fait observer que si ces éléments avaient été attestés, Farouk BEN ABBES aurait fait l’objet de poursuites, ce qui ne fut pas le cas puisqu’il bénéficia d’un non-lieu. Vous avez également auditionné le Procureur de la République près le TGI de Paris sur ce même sujet, qui vous a signalé que ces renseignements « n’ont jamais pu être étayés en procédure et ont au contraire été mis à mal par l’attitude des Égyptiens, lesquels ont remis en liberté les principaux acteurs soupçonnés d’être en relation avec M. Ben Abbes. » Le Procureur a en outre ajouté que « dès lors qu’un juge d’instruction a conclu, après enquête, que la menace n’était pas avérée, il était difficile d’engager une protection, qui aurait dû s’étendre sur plusieurs années. »

Par ailleurs, les renseignements obtenus le 15 août 2015 auprès de l’un de nos ressortissants, Reda HAME, qui, de retour de Syrie, a été interpellé par les autorités françaises, ne permettent pas de caractériser davantage l’existence d’un projet d’attentat visant le Bataclan. A cet effet, vous avez interrogé la cheffe du pôle antiterroriste du parquet de Paris, qui s’est montrée tout aussi affirmative : « Selon les PV de garde à vue, Reda Hame parle d’un concert de rock dans un pays européen. Il dit qu’Abaaoud lui a demandé de choisir une cible facile, un concert, par exemple, là où il y a du monde ».

Comme l’indique votre rapport, qui rejoint en ce sens les déclarations constantes du Procureur de la République, il apparaît que les attentats de novembre ont été conçus en Syrie, préparés en Belgique et perpétrés au lendemain de l’entrée du commando sur notre territoire, le 12 novembre au soir.

En outre, les auteurs des attaques du 13 novembre n’étaient pour la plupart pas Français, et aucun d’entre ceux qui ont frappé notre pays n’était résident en France. Par ailleurs, ils ne constituaient pas, à eux seuls, l’ensemble de la filière, comme en témoigne la série d’arrestations effectuées à Molenbeck, en mars 2016, de personnes en lien avec Salah ABDESLAM, l’un des auteurs présumés des attentats de Paris, les attaques terroristes du 26 mars de Bruxelles, ou encore l’arrestation par la DGSI de Reda KRIKET, le 24 mars en région parisienne, lui aussi relié à cette filière.

Le rôle central joué par Abdelhamid ABAAOUD dans la préparation et la perpétration des attaques du 13 novembre ne fait désormais guère de doute. Dans un chapitre intitulé « Abdelhamid Abaaoud, l’angle mort de la lutte antiterroriste européenne », votre rapport revient sur les difficultés posées au plan européen par le parcours de ce terroriste. Vous soulignez ainsi le haut niveau d’information et de vigilance des services de renseignement français : « Bien que n’ayant jamais résidé en France, celui qui semble être un acteur clé des attentats du 13 novembre, Abdelhamid Abaaoud, était néanmoins connu des services de renseignement et de sécurité français, mais également au moins par leurs homologues belges, grecs et turcs. (...) Les membres des commandos ne se sont effectivement rendus sur le territoire français que la veille des attaques, un délai peut-être trop bref pour être repérés par les seuls services français (...). M. Patrick Calvar a souligné lors de son audition qu’il n’y avait donc aucune cellule logistique sur notre territoire, ce que la fuite d’Abaaoud a montré : il n’a trouvé refuge qu’auprès de sa cousine, ce qui a rendu possible sa neutralisation. »

Ces éléments apportent un éclairage intéressant sur le travail des services intérieurs. Ils démontrent surtout la nécessité cruciale de renforcer la protection des frontières extérieures de l’Union, la capacité de surveillance au niveau européen et la coopération européenne, notamment entre services de renseignement des Etats membres.

J’ai pleinement fait mien ce constat qui a donné lieu à une feuille de route que la France porte avec obstination devant ses partenaires de l’Union et dont une partie significative des propositions qu’elle contient a fait l’objet de décisions positives des institutions européennes au cours des derniers mois.

Vos travaux sont assortis de quarante propositions dont plus de la moitié concerne le ministère de l’Intérieur. C’est pourquoi je souhaite vous livrer une première analyse de ces propositions, qui nécessiteront toutefois d’être méticuleusement étudiées par un dialogue soutenu entre nous au cours des prochaines semaines.

Vous avez tout d’abord formulé des propositions sur l’entraînement et l’organisation des forces d’intervention. Vous soulignez à cet égard les travaux d’ores et déjà conduits pour adapter les doctrines opérationnelles de ces forces aux nouvelles formes de menaces. La mise en place d’un nouveau schéma national d’intervention sur l’ensemble du territoire vise ainsi à faire face à des attaques de toute nature, le cas échéant multi-sites et simultanées. Vous soulignez en particulier, et c’est un élément essentiel du dispositif arrêté, le « véritable continuum global de mobilisation et de gestion de crise, depuis l’échelon de proximité jusqu’aux forces spécialisées ».

Vous proposez d’amplifier les effets de cette réforme en augmentant les effectifs de l’unité de coordination des forces d’intervention (UCoFI). Cette unité de coordination, qui a pris une part essentielle dans la réflexion qui a conduit au schéma national d’intervention, a été renforcée dans cette optique. Les missions de coordination qui sont les siennes n’emportent toutefois pas la nécessité de lui affecter des effectifs pléthoriques. Je pourrai, sur cette question, vous apporter tous les éléments que vous jugerez utiles.

Par ailleurs, vous souhaitez augmenter le nombre de cartouches tirées chaque année par les personnels des services de la police et des unités de la gendarmerie dans le cadre des séances d’entraînement au tir auxquelles ils participent. Un plan très ambitieux d’acquisition de nouveaux équipements a été mis en place par le Gouvernement pour un montant de 233 millions d’euros sur trois ans. En 2015, tous les engagements ont été tenus et, en 2016, cet effort massif est réalisé conformément au calendrier programmé. Ainsi, 55 millions d’euros de commandes de matériels supplémentaires ont été passés pour 2016 et les livraisons d’armement et d’équipements se succèdent à rythme soutenu dans les services. Dans ce cadre de moyens ainsi rehaussés, une réflexion avec le DGPN, le DGGN et le préfet de police visant à mettre en œuvre cette recommandation est rendue possible. Nous sommes à votre disposition pour vous apporter sur ce sujet l’ensemble des informations nécessaires à l’exercice de votre pouvoir de contrôle.

Vous proposez par ailleurs la constitution de colonnes d’extraction des victimes en zone d’exclusion, composées de secouristes intervenant sous la protection des forces d’intervention. Une telle proposition suppose d’acquérir des savoirs rares et de développer des compétences techniques hautement spécialisées. Elle suppose également l’implication de différents ministères, comme le celui de la Défense dont dépendent les hôpitaux militaires, et celui de la Santé. Elle ne saurait donc s’engager sans une concertation étroite avec l’ensemble des ministères susceptibles de conduire les expertises utiles en vue de la validation technique de votre proposition.

En première analyse, cependant, de telles initiatives m’apparaissent davantage concevables à Paris et Marseille où les sapeurs-pompiers relèvent d’un statut militaire et donc, sans doute, plus naturellement adaptables.

Vous souhaitez également étendre le plan « Rouge Alpha » à l’ensemble des services de sapeurs-pompiers du territoire national. Le Gouvernement partage pleinement votre approche. Aussi les préfectures ont-elles déjà commencé à prendre en compte les spécificités d’une action terroriste, notamment en terme de coordination et d’organisation des différents services, dans les dispositions spécifiques « Nombreuses victimes » du dispositif ORSEC, pour aboutir à des plans dits «NOVI- alpha ». L’objectif est bien de couvrir l’ensemble du territoire avec ces plans, comme vous le préconisez.

Dans un objectif similaire, le ministère a par ailleurs diffusé en juin 2016 à tous les SDIS et à toutes les préfectures une procédure dite « doctrine d’intervention des secours en cas de tuerie de masse », d’ores et déjà opérationnelle.

Nous avons également engagé les travaux nécessaires pour permettre de former l’ensemble des équipes médicales et de secours à la médecine de guerre, ainsi que le préconise votre rapport. Les formations de formateurs aux techniques de médecine de guerre ont été initiées en mai 2016, avec l’objectif d’assurer la formation progressive de l’ensemble des services de santé et de secours médical des SDIS à ces techniques au cours de l’année. Ces formations seront ensuite déclinées au niveau local.

Comme vous le suggérez dans votre rapport, une grande campagne nationale d’initiation aux « gestes qui sauvent » a été lancée en février 2016. Elle a à ce jour permis de former 80 000 personnes volontaires, et sera rééditée. Au surplus, afin de favoriser l’acquisition au long cours de ces réflexes, l’Education nationale introduira dans les enseignements des sessions d’initiation aux « gestes qui sauvent » pour tous les élèves de la classe de troisième, dès la rentrée 2016.

Vous proposez d’étendre à l’ensemble des équipes de secours et des équipes médicales l’usage du système d’information numérique standardisé (SINUS). Le choix a été fait de le déployer dans tous les départements-hôtes de l’Euro 2016, avec pour objectif ultime sa généralisation à l’ensemble des services de secours. La réflexion intègre le besoin d’affiner les interfaces avec les contraintes métiers des différents services concernés (judiciaire, santé, aide et suivi des victimes et des proches) pour aboutir à un système intégré, conformément à vos préconisations.

Vous souhaitez clarifier les critères qui permettent aux victimes d’être inscrites sur la liste unique des victimes. Cette initiative repose sur un travail interministériel, et je souhaite pour ma part soutenir cette démarche.

Vous recommandez en outre de nouer de nouvelles relations avec les media concernant le traitement par les journalistes des attaques terroristes, en évoquant parallèlement une nouvelle infraction en cas de d’informations susceptibles de mettre en danger toute personne présente sur le lieu d’un attentat en cours. Je souhaite à cet égard rappeler la nécessité de préserver en toute circonstance la liberté de la presse, en soulignant que c’est aussi cette liberté-là que les terroristes ont attaquée au mois de janvier 2015. Il existe, d’ores et déjà, une infraction de mise en danger de la vie d’autrui prévue par l’article 223-1 du code pénal. En la matière, l’équilibre a sans doute été trouvé. Pour autant, je suis favorable à ce que des protocoles librement consentis avec les acteurs de la presse puissent être envisagés dans ce genre de situation. Mes services pourront contribuer à une telle initiative, en étroite relation avec ceux de la ministre chargée de la Communication.

Vous poursuivez par un certain nombre de préconisations en matière de sécurité, qui rejoignent très largement les priorités du Gouvernement.

Au plan européen, vous connaissez la détermination qui a été celle du ministère de l’Intérieur au sein des instances de l’Union pour permettre la mise en place d’un PNR Européen et promouvoir une réforme de la directive sur les armes à feu afin d’entraver le trafic d’armes.

Vous formulez des préconisations sur le contrôle extérieur des frontières de l’Union qui sont au cœur de la stratégie que la France développe au sein du Conseil Justice et Affaires Intérieures de l’Union Européenne. Ainsi, notre pays participe déjà pleinement à l’action de Frontex dans les hotspots en Grèce et en Italie, afin d’effectuer les missions de screening et de contrôles sécuritaires des migrants arrivant en Grèce, mais également de lutter contre l’immigration irrégulière et les réseaux de passeurs en collectant des informations auprès des migrants. Le Gouvernement s’est ainsi engagé à fournir un vivier permanent de 60 personnels par mois dans le cadre du fonctionnement des hotspots.

De plus, la mise à disposition d’un contingent pouvant aller jusqu’à 200 personnels auprès de l’agence Frontex a été initiée dès l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie le 4 avril dernier. La France participera également à l’envoi d’agents spécialisés dans les contrôles de deuxième ligne
dans le cadre de l’appel à candidatures lancé récemment par Europol.

S’agissant de l'accès au SIS 2 par les experts des Etats membres déployés dans le cadre des opérations conjointes Frontex que vous appelez de vos vœux, il est déjà autorisé sous réserve que l’Etat hôte donne un accès et habilite ces agents à la consultation. Un accès complet aux bases européennes et internationales (SIS 2, mais aussi SLTD) est, de plus, prévu pour le personnel qui sera déployé dans le cadre de la future Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes sur laquelle un accord a été trouvé le 6 juillet dernier au Parlement européen, et qui devrait être opérationnelle très rapidement. Le Gouvernement français a été à l’initiative de la mise en place de cette Agence et participera pleinement à la constitution du vivier européen de garde-frontières et de garde-côtes.

S’agissant de la mention de la menace terroriste potentielle des personnes signalées, l’article 36.2 permet déjà le signalement spécifique des combattants étrangers. Une étude plus fine doit être menée s’agissant de la mise en place de nouveaux signalements. Le Gouvernement partage ainsi vos intentions.

Pour conclure sur la dimension européenne, des travaux sont actuellement en cours pour qu’Europol ait accès au SIS. Cependant, il n’est pas prévu que cette agence puisse créer des signalements. Il est en effet indispensable de veiller à ce que les Etats membres, comme la France le fait, alimentent et consultent systématiquement les fichiers européens et internationaux. Le renforcement de l’interopérabilité de ces instruments demeure également une priorité. C’est ce que le Gouvernement a obtenu auprès de la Commission européenne qui a présenté, le 6 avril dernier, des propositions en ce sens. Il nous faut désormais les mettre en œuvre rapidement. J’y veillerai, conformément à vos préoccupations sur ces sujets.

Vous attirez ensuite l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’engager une réflexion sur un changement des dispositifs de sécurité des aéroports internationaux. A cet effet, vous proposez d’y intégrer des méthodes de screening intégrées et d’y affecter davantage d’agents de sécurité intérieure. Le SGDSN, dans le cadre de la Commission Interministérielle de Sûreté Aérienne, a d’ores et déjà engagé des réflexions en ce sens, auxquelles le ministère de l’Intérieur participe activement. Elles conduiront notamment à des expérimentations dans le domaine de l’approche comportementale. Elles ont pour objectif de permettre de déceler plus efficacement des personnes susceptibles de commettre un acte grave.

De la même manière, la réflexion en vue de sécuriser l’accès des établissements scolaires et de petite enfance est en cours avec le ministère de l’Education nationale, conformément à vos préconisations.

Vous proposez également de prévoir deux plans nationaux d’investissements pour la vidéoprotection, d’une part, et le maillage territorial de sécurité au moyen de portiques équipés de lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation (LAPI), d’autre part. Beaucoup a déjà été fait dans le cadre du plan de lutte antiterroriste qui prévoit la mobilisation d’investissements à hauteur de 233 millions d’euros sur trois ans. A ce titre, je puis vous assurer que le Gouvernement partage pleinement vos intentions. De même, votre proposition de réduire les effectifs engagés dans l’opération « Sentinelle » en opérant une compensation symétrique par des forces de sécurité intérieure avec le recrutement de deux mille policiers et gendarmes supplémentaires constitue à n’en pas douter une piste de réflexion qui pourrait être étudiée dans un cadre interministériel, à la condition qu’il soit de nouveau possible de recourir à l’appui des forces armées en cas de menace de forte intensité, pour une période définie.

A cet égard, vous soulevez la question de l’armement des militaires engagés dans l’opération « Sentinelle ». Cette question relève de la seule compétence du ministère de la Défense.

Vous proposez par ailleurs une réorganisation très importante des services de renseignement, justifiée par les enseignements que votre commission tire des conséquences des attentats de janvier et de novembre 2015.

Pour ce qui relève des services dépendant du ministère de l’Intérieur, je suis ouvert à toute proposition qui permettrait d’améliorer encore leur efficacité dans la lutte antiterroriste, aucune organisation ne pouvant revendiquer un degré d’aboutissement absolu et indépassable. La mutation des formes de terrorisme comme les évolutions géopolitiques impliquent d’évidence que l’on s’interdise de figer a priori les stratégies, les organisations ou les procédures.

Pour autant, les évolutions dans des domaines aussi sensibles doivent se garder de trois écueils essentiels : la déstabilisation des missions et des réseaux ; la coupure entre services spécialisés et capteurs de terrain ; la privation de fructueuses synergies avec les services de sécurité généralistes qui maillent finement le terrain. Le caractère protéiforme de la menace que nous combattons, sa dispersion au cœur même de nos territoires, en Métropole comme dans les Outre- Mer, l’abondance des vecteurs numériques qui diffusent de façon virale les messages de haine sont autant d’éléments qui militent pour le maintien d’une structure fortement charpentée autour de deux services anti-terroristes puissants, l’un dédié à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, bénéficiant du concours indispensable de services de terrain par la détection efficace de signaux plus faibles. La porosité entre radicalisation violente, délinquance et criminalité renforce, de mon point de vue, cette indispensable complémentarité. La réforme des renseignements généraux de 2008, dont votre rapport souligne à juste titre les pénalisantes limites, avait précisément fait fi de cette analyse.

Ainsi, la création d’une direction générale du renseignement territorial fusionnant l’ensemble des services de renseignement de police (SCRT et une partie de la DRPP) et de gendarmerie (SDAO) peut présenter plusieurs inconvénients majeurs.

Il serait tout d’abord particulièrement dommageable, dans le contexte actuel, de couper les services de renseignement de l’environnement naturel que représente leur ancrage territorial au sein de la DGPN et de la DGGN. Ainsi, la Sous-Direction de l’Anticipation Opérationnelle (SDAO) n’est pas un service dont la finalité est le renseignement territorial. Sa vocation première est opérationnelle et doit permettre au commandant des forces de gendarmerie de manœuvrer pour répondre à une situation de crise. La gendarmerie est, en effet, la force des flux et des espaces en ce qu’elle couvre 95% de notre territoire et elle répond à sa mission en manœuvrant en permanence les moyens qui le maillent. A cet égard, la SDAO, relayée par les cellules renseignement des groupements, s’appuie sur un réseau de près de 100 000 capteurs, constitués par autant de personnels de la gendarmerie qui vivent là-même où ils exercent. Ces capteurs peuvent, il est vrai, avoir connaissance d’éléments pouvant intéresser les services de renseignement territorial. Ils doivent alors le faire remonter par le réseau du SCRT que j’ai souhaité consolider dès ma prise de fonction en créant des antennes des SDRT dans des compagnies ou brigades sensibles.

Dans le même esprit, dissocier le SCRT et son réseau territorial de celui de la sécurité publique les priverait des synergies de terrain indispensables, et l’affaiblirait considérablement. La fusion proposée risquerait de brouiller plus encore notre capacité collective à détecter les signaux faibles.

Compte tenu des évolutions de la menace, mon objectif constant est de veiller à développer chez tous les acteurs de la sécurité intérieure une culture et des réflexes de veille permettant une alerte précoce, et de renforcer les liens entre police et gendarmerie nationales au sein du SCRT. C’est dans le prolongement des décisions prises et que je viens de rappeler, associant clairement police et gendarmerie au sein du service, que des initiatives seront prises pour améliorer la mutualisation de leurs outils informatiques, dans l’esprit des préoccupations formulées par le rapport.

Par ailleurs, je redoute que la création d’une nouvelle direction générale, au-delà des lourdeurs inhérentes à la création de structures supplémentaires, ne relance une concurrence dommageable avec la DGSI et n’aboutisse à un retour aux errements du passé avec des rivalités comparables à celle qu’avaient connues la DST et la DCRG.

J’ai en revanche pris note des interrogations de la commission sur le positionnement de la DRPP par rapport à la DGSI et au SCRT. L’EMOPT est à cet égard une première réponse, mais cette question mérite d’être creusée sans a priori et je confierai à l’Inspection des services de renseignement, en lien avec l’inspection générale de la police nationale, une mission d’expertise des relations et des procédures entre la DRPP et les autres services de renseignement. Pour autant, le démembrement de la DRPP dont une partie des missions serait rattachée à la DGSI et l’autre au SCRT ne manquerait pas d’avoir de lourdes conséquences sur l’organisation de la préfecture de police et sur ses capacités opérationnelles, en remettant fondamentalement en cause le modèle original et éprouvé de la préfecture de police. Le Gouvernement est donc prudent sur une telle perspective et ne pourrait envisager de la mettre en œuvre qu’au terme d’expertises poussées.

Par ailleurs, la création ex nihilo d’une Agence Nationale Interministérielle de Lutte Antiterroriste, rattachée au Premier ministre, inspirée par le modèle américain auquel fait référence la commission d’enquête, soulève également de nombreuses questions. En effet, si la profusion des agences aux Etats-Unis (16 au total) avait effectivement rendu indispensable la création d’une structure de coordination, la situation française apparaît très différente puisque deux services sont en charge, à titre principal, de la lutte anti- terroriste (DGSE pour l’extérieur, DGSI pour l’intérieur) et seuls quatre autres y contribuent. Le modèle américain, à supposer qu’il constitue une référence absolue, n’a pas empêché la commission des attentats de Boston, de San Bernardino ou d’Orlando. Au surplus, les cadres juridiques des deux pays, sur lesquels se fonde l’action de leurs services, sont très différents. La poursuite de nos échanges sur cette question sera donc utile pour éviter des choix hypothéquant l’efficacité de la lutte antiterroriste.

Comme votre rapporteur l’indique, le conseil national du renseignement qui s’est tenu le 13 janvier 2016 sous la présidence du chef de l’État a rappelé que « le pilotage opérationnel quotidien de la stratégie de lutte contre le terrorisme visant le territoire national est placé sous l’autorité directe du ministre de l’Intérieur, avec le concours de l’ensemble de la communauté française du renseignement ». M. Didier Le Bret, Coordonnateur national du renseignement vous a en outre indiqué que « c’était la première fois que l’on posait clairement ce principe ». Il apparaît dès lors naturel que le ministère de l’Intérieur dispose des leviers permettant de mettre en œuvre cette mission.

C’est dans cette perspective que le Gouvernement a mis en place, à l’été 2015, la cellule ALLAT animée par la DGSI et destinée à opérer le partage d’information entre les différents services de la communauté du renseignement sur des objectifs précisément identifiés. L’agence nationale dont vous recommandez la création auprès du Premier ministre introduirait une strate supplémentaire à l’édifice et s’éloignerait davantage des impératifs opérationnels. En outre, l’action des services extérieurs ne constitue pas le seul élément permettant de suivre à l’étranger les personnes représentant une menace pour la sécurité du territoire et qui doivent, à ce titre, attirer l’attention des services de la sécurité intérieure.

Les informations issues des liens bilatéraux noués par la DGSI avec ses homologues d’autres Etats sont également des sources de renseignements très précieuses. Elles reposent sur la légitimité et la crédibilité de notre service de sécurité intérieure en tant qu’acteur incontournable de la lutte antiterroriste, reconnu par ses partenaires.

En créant une nouvelle structure, dans laquelle la DGSI serait dissoute, ce réseau relationnel serait indubitablement fragilisé et les capacités opérationnelles du nouvel ensemble pourraient s’en trouver affaiblies.

A défaut d’une agence nationale, chargée tout à la fois de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle, une plus grande centralisation dans l’analyse globale de la menace, confiée à une structure légère composée d’une vingtaine d’agents détachés de l’ensemble des structures de l’Etat qui concourent à la consolidation de l’analyse de la menace terroriste (services, SGDSN, CNR, UCLAT, DGRIS, MAEDI, DGAC...), pourrait être placée sous l’autorité du Coordonnateur national du renseignement. Les services du Coordonnateur gagneraient par ailleurs à être renforcés et dotés d’une expertise interministérielle propre à dynamiser l’animation et la coordination de la communauté du renseignement, à mesurer sa performance, à adapter son cadre juridique et à affermir sa réflexion stratégique.

Vous proposez d’ériger le Coordonnateur national du renseignement (CNR) en un Directeur national du renseignement (DNR) qui serait notamment doté d’une capacité d’arbitrage budgétaire et vous souhaitez qu’il n’opère plus pour le compte du Président de la République mais du Premier ministre. Si, comme je viens de l’indiquer, je partage l’idée qui consiste à renforcer les prérogatives du CNR, il me semble indispensable que cette expertise demeure auprès du Président de la République, par ailleurs chef des armées.

Notre Constitution prévoit, en outre, que l’autorité exécutive soit placée sous le contrôle du Parlement. Ainsi l’article 20 de la Constitution, dispose que « le Gouvernement est responsable devant le Parlement. » Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, ce qui explique qu’un fonctionnaire puisse se voir consacrer des pouvoirs d’administration budgétaire votés par le Congrès. En France, le vote du budget relève du Parlement, le Gouvernement est en charge de son exécution. Prévoir une autorité administrative dénuée de toute responsabilité et qui échapperait donc à la relation qui lie le Gouvernement et le Parlement serait probablement non conforme à nos principes constitutionnels.

Vous préconisez également la fusion de l’UCLAT et de l’EMOPT (Etat-Major Opérationnel de Prévention du Terrorisme).

Comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer à votre commission à l’occasion de mon audition, cette proposition me semble naître d’une ambigüité qu’il convient de lever sur ce que sont ces deux entités.

L’EMOPT n’est pas un service en tant que tel, mais à la fois une méthode, et un carrefour. Cet état-major, pour reprendre sa dénomination exacte, rassemble l’ensemble des services intérieurs qui concourent à la prévention du terrorisme – incluant la gendarmerie et la sécurité publique - pour s’assurer, compte tenu de leur dispersion territoriale, à la fois que la totalité des signaux faibles est bien prise en compte, qu’un service chef de file est bien désigné pour chaque cas, que le suivi nécessaire est effectivement mis en place et que l’environnement des individus signalés fait également l’objet de toute l’attention nécessaire (activité professionnelle, sociale, relationnelle). L’EMOPT n’est pas un service de plus, puisqu’il n’est constitué que de représentants des services qui gardent un lien direct avec eux et auxquels ils restent rattachés. Cet état-major opère ainsi ce que l’on pourrait qualifier trivialement de « contrôle qualité » du suivi
opéré, le suivi lui-même étant à la charge des services dont c’est la mission.

L’UCLAT a, quant à elle, une vocation qui s’étend bien au-delà de la prévention du terrorisme. Elle constitue la structure permettant de coordonner les informations des différents services de renseignement pour consolider une évaluation actualisée de la menace. Elle est l’interface nécessaire entre les services administratifs et les services de renseignement pour la mise en œuvre des mesures de police administrative (loi du 13 novembre 2014, loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, par exemple). Elle héberge et administre la plateforme nationale de signalements (« Numéro Vert »). Elle représente la France dans différents groupes de travail ou instances internationales.

Il n’y a donc aucune forme de concurrence entre ces deux instances complémentaires qui travaillent en étroite relation, et leur fusion risquerait de fragiliser chacune d’elles.

Vous appelez également de vos vœux la création d’une base de données commune à l’ensemble des services, consacrée exclusivement à la lutte antiterroriste. Vous identifiez cette base comme pouvant être le Fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) aujourd’hui géré par l’UCLAT et exploité par l’EMOPT. Cette base de données serait enrichie des contributions des services de renseignements extérieurs. Comme son intitulé l’indique, le FSPRT n’a pas vocation à constituer une base de données des terroristes, transitant en France ou à l’étranger. Ce fichier recense les personnes susceptibles de constituer une menace terroriste et qui ne peuvent, en vertu de leur situation, faire directement l’objet d’une judiciarisation. Il s’agit d’un outil de nature préventive, répondant à l’exigence du suivi d’individus en voie de radicalisation, aux profils très éclectiques. Il est désormais le fichier de référence du SCRT pour la prévention de la radicalisation, comme du réseau préfectoral en charge, dans les territoires, de l’animation des dispositifs de prévention et d’accompagnement.

En revanche, si la capacité de nos services à obtenir une information complète et utile à la lutte antiterroriste apparaît évidemment nécessaire pour entraver la menace, la mise en relation des fichiers informatiques que vous préconisez est une question délicate au regard de la protection des libertés individuelles. Les débats qui ont précédé l’adoption de la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement ont mis en lumière la légitime sensibilité de l’opinion sur les initiatives qui pourraient s’apparenter à une « surveillance de masse ». Si la mise en relation (interconnexion) de tous les fichiers qui peuvent contribuer à prévenir et entraver la commission d’actes terroristes paraît, de ce point de vue, peu réaliste (fichiers des services des 1er et 2ème cercles, FPR, PNR, mais également fichiers thématiques tels le FICOBA ou fichiers sociaux), la création d’interfaces permettant la consultation par interrogation pourrait constituer une initiative pertinente, dès lors qu’elle serait entourée de garanties robustes sur la qualité des agents accédant à l’information, les finalités de telles interrogations et leur contrôle. Il n’est pas exclu que, même dans cette option, le régime juridique issu de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés doive être modifié.

Le rapport de la commission évoque également une série de recommandations relevant plus particulièrement du champ de compétence du ministère de la Justice. Les mesures préconisées par la commission sont au cœur de nos préoccupations actuelles.

Le renforcement du contrôle judiciaire des personnes mises en examen pour des infractions à caractère terroriste renvoie également à la question de l’articulation des réponses administrative et judiciaire pour rechercher une meilleure complémentarité dans les mesures susceptibles d’être mises en œuvre. Des travaux interministériels sont en cours sur ce sujet.

La question de l’assouplissement du cadre juridique du statut de « repenti » dans le domaine du terrorisme a également retenu toute notre attention. Comme la commission d’enquête l’indique, tout en étant conscient de la sensibilité du sujet, cette piste est particulièrement intéressante. Le ministère de la Justice, en étroite liaison avec le ministère de l’Intérieur, pourra faire des recommandations dans ce sens.

Je ne puis, par ailleurs, que souscrire à votre proposition visant à accélérer la mise en place d’un véritable service du renseignement pénitentiaire pleinement opérationnel. Il s’agit, à l’évidence, d’un maillon faible de la chaîne du renseignement. Le constat en a été établi de longue date, et sur la base des recommandations faites dans le cadre d’un audit lancé par le Premier ministre, il a été décidé, avec le ministre de la Justice, de mobiliser l’ensemble des services pour apporter l’assistance requise à la transformation et à la montée en puissance du Bureau du renseignement pénitentiaire (BRP).

Les obstacles législatifs étant désormais levés, le BRP, une fois consolidé, sera intégré, comme la commission le suggère, au « 2 ème cercle » de la communauté du renseignement. Cette évolution permettra de disposer d’un outil adapté aux enjeux de la radicalisation en milieu carcéral et au suivi des détenus élargis. Le ministère de l’Intérieur accompagnera autant qu’il le pourra la montée en puissance du renseignement pénitentiaire, en lui apportant son expertise et les savoir- faire permettant d’accélérer sa mise en place, tout en veillant à l’articulation et à la complémentarité de ses missions avec celles des services existants.

Au plan des moyens, la commission a appelé à poursuivre le recrutement d’agents au sein des services de renseignements au-delà des engagements pris jusqu’en 2018. Je vous confirme que l’effort sans précédent engagé depuis le début du quinquennat sera maintenu. L’effectif des services spécialisés, qui augmentera de 18,6 % entre 2013 et 2017, continuera de croître en 2018 et 2019 pour avoisiner 15 000 agents. Le ministre chargé des comptes publics a été sensibilisé à la nécessité de tout mettre en œuvre pour que les objectifs fixés soient atteints : une attention particulière au recrutement d’agents contractuels est nécessaire, afin de doter nos services des compétences techniques indispensables à leur efficacité.

Telles sont les premières observations qu’appelle de ma part le rapport que votre commission vient de rendre public. J’en salue à nouveau l’intérêt qu’il revêt pour la nécessaire réflexion qui doit toujours présider à la lutte antiterroriste. Comme vous l’avez constaté, nombre de vos préconisations ont d’ores et déjà été mises en œuvre ou sont en cours de mise en œuvre, quand d’autres ouvrent des pistes d’étude sur lesquelles je ne manquerai pas de mobiliser mes services.

Je suis en revanche plus réservé sur les propositions tendant à remettre en question l’organisation actuelle des services de renseignement par mimétisme avec des modèles étrangers dont l’histoire, le droit, les pratiques et les valeurs peuvent différer des nôtres. Leur modèle n’est d’ailleurs pas, les faits l’ont malheureusement prouvé, une assurance absolue contre tout risque d’attaque sur leur propre sol. L’exigence de vérité et l’éthique de la responsabilité doivent nous conduire à reconnaître devant les Français qu’aucune mesure ne garantira jamais le « risque zéro ». L’instabilité permanente de nos organisations, outre qu’elle fragiliserait leurs performances qu’il convient de souligner, pourrait conduire à mettre en cause la qualité de leurs relations bilatérales.

Pour autant, je ne méconnais pas l’intérêt des propositions que vous formulez pour renforcer les missions du Coordonnateur du renseignement, pour associer plus intimement la gendarmerie nationale à cette politique publique ou pour préciser le positionnement de la DRPP dans la communauté du renseignement.

Je note enfin que la commission d’enquête a peu abordé un point qui m’apparaît pourtant essentiel : le rôle de l’Académie du renseignement. Dans la logique – que votre commission appelle de ses vœux – d‘une intégration plus approfondie des différentes composantes des deux « cercles » de la communauté du renseignement, l’Académie devra en effet porter un effort significatif pour faire face à l’accueil et à la formation des nouveaux entrants, recrutés en nombre par les services des 1 er et du 2 ème cercles.

En outre, comme la commission d’enquête le souligne, elle a un rôle majeur à jouer en faveur d’une meilleure articulation entre la recherche académique et les services.

Restant à votre disposition pour approfondir l’ensemble de ces thématiques, je vous prie de croire, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Bernard CAZENEUVE