L'actualité de la sécurité civile - Un entretien avec Alain Perret

L'actualité de la sécurité civile - Un entretien avec Alain Perret
18 janvier 2011

Alain Perret, directeur de la sécurité civile, répond aux questions de Civique sur les feux de forêts, la coopération européenne et le volontariat des sapeurs-pompiers.


Civique : Comparée à d'autres pays comme la Russie ou le Portugal, la forêt française a peu brûlé cette année. Comment l'expliquez-vous ?

Alain Perret : Les incendies impressionnants qui se sont déclarés cet été en Russie ont focalisé une grande partie de l'attention des médias sur la problématique feux de forêt. L'intensité de cette mobilisation rappelle en contrepoint que, depuis plusieurs années, et au moins depuis 2003, date de la dernière « grande » saison d'incendies en France, les feux de forêt ne constituent plus - et c'est heureux - l'événement majeur de notre actualité estivale. Si ce bilan a été plutôt positif cet été pour notre pays, c'est, tout en restant modeste, que la conjugaison de différents facteurs développés depuis plusieurs années montre son efficacité. La France, qui a choisi une approche globale qui vise à mobiliser et à coordonner l'action de plusieurs entités relevant de l'État (principalement le ministère de l'intérieur mais aussi ceux de l'agriculture et de l'écologie) ou des collectivités, a développé une doctrine qui s'articule en deux volets : la prévention et l'intervention.

Le travail de prévention a fait la preuve de sa pertinence. Il vise à limiter le nombre des feux par des actions de sensibilisation ciblées auprès de la population, qu'il s'agisse des touristes mais également des résidents ou des professionnels ; l'aménagement dans les massifs forestiers de voies de défense des forêts contre l'incendie (DFCI) permettant la circulation des véhicules et personnels chargés de la prévention et de la lutte contre les incendies ; le débroussaillement qui constitue une action majeure ; le dispositif de surveillance aérien - le guet aérien armé - et le contrôle des accès.
Pour ce qui concerne l'intervention, la réponse s'organise selon deux niveaux : départemental et national. En 2010, les départements méditerranéens ont mobilisé 35 000 sapeurs-pompiers, 1 600 engins et une trentaine d'aéronefs légers bombardiers. Les moyens nationaux de renfort mobilisés par le ministère de l'intérieur - et dont le coût ne peut être assumé par les collectivités - ont été constitués à partir de sept cents militaires des FORMISC, forces de premier engagement, de vingt-trois avions bombardiers d'eau et de trois avions et neuf hélicoptères de secours et de commandement. Par ailleurs, 1 000 hommes et 180 véhicules relevant de SDIS situés hors arc méditerranéen ont été constitués en colonnes prêtes à intervenir à la demande du COGIC. Enfin, en application du plan Héphaïstos élaboré avec nous, le ministère de la Défense a consacré à cette mission 300 militaires, une centaine de véhicules et trois hélicoptères (dont deux Puma) au titre du détachement d'intervention héliporté. La mobilisation de ces moyens très importants et l'organisation d'une chaîne de commandement extrêmement réactive ont permis de faire face efficacement.
Enfin, nous fondons beaucoup d'espoir sur le développement des techniques de recherche des causes d'incendie, qui pourrait nous permettre de mieux appréhender la dynamique des feux et donc d'adapter encore notre réponse. Les cartes de sensibilisation des végétaux à la sécheresse et le recours à la simulation en 3D de modèles de propagation du feu sont des outils qui nous sont également très utiles. Rappelons, in fine, que ces mesures permettent que, dans notre pays, plus de neuf feux sur dix ne dépassent pas 5 hectares.

Civique : Peut-on encore gagner en efficacité ?

Alain Perret : Certainement, et dans des domaines qui ne concernent pas uniquement les feux de forêt. L'exploitation des possibilités offertes par les nouvelles technologies est un des axes d'effort de la direction. Cet apport peut s'avérer extrêmement intéressant, aussi bien dans l'amélioration des systèmes d'aide à la décision (contrôle, commandement, communication, acquisition du renseignement) que dans l'optimisation des performances des troupes sur le terrain. Pour être concret, je voudrais citer deux exemples de cet apport à deux échelles différentes et dans deux registres importants de notre activité : la lutte contre les incendies et le sauvetage-déblaiement. Au niveau opérationnel - celui qui concerne la gestion du théâtre d'intervention - le COGIC est doté d'un système d'information géographique qui lui permet de suivre la cinétique des feux grâce à une imagerie en temps réel fournie par différents capteurs : satellites ou avions. Nous cherchons à optimiser ces capacités en expérimentant en ce moment un drône équipé d'un dispositif de transmissions d'images infrarouges qui nous permettra d'améliorer la prise d'images par temps nuageux. Au plan tactique des différents chantiers, les unités se dotent de moyens plus sophistiqués qui augmentent leur efficacité sur le terrain. Ainsi, lors du tremblement de terre d'Haïti de janvier 2010, le détachement français a pu mettre en oeuvre pour la première fois et avec des résultats probants, un radar destiné à localiser des victimes ensevelies.
Un autre gage d'efficacité réside dans le développement de capacités spécialisées. Les risques technologiques sont devenus un sujet de préoccupation majeure des pouvoirs publics. L'industrialisation, le développement des flux et la technicité des produits rendent ces risques omniprésents. La malveillance, le chantage qui consiste à menacer de répandre des produits toxiques ou de faire exploser des stocks, et la menace terroriste rendent nécessaire de développer des capacités adéquates. La livraison depuis l'année dernière de tentes de décontamination NRBC Utilis, dont six supplémentaires doivent être reçues cette année, s'inscrit donc dans cette politique d'adaptation au contexte.

Civique : Ne peut-on mutualiser des moyens à l'échelon européen ? Quelles sont les avancées récentes de l'UE en matière de sécurité civile et quelle est l'influence de la France dans la définition d'une politique européenne ?

Alain Perret : L'exemple récent de l'intervention en Haïti a fait la preuve de la pertinence du renforcement des mécanismes européens qui avaient été mis en place après le tsunami de 2004. Cependant, l'outil reste encore largement perfectible. La réponse européenne en Haïti a manqué de visibilité et a souffert d'un défaut de coordination. Toutefois, les choses évoluent. Le président de l'Union et la haute représentante pour les Affaires étrangères ont appelé au début de l'année à une réflexion approfondie au sujet des capacités européennes de réaction aux crises en y incluant l'éventualité de la création d'une véritable force européenne. Le 10 février dernier, le Parlement européen a adopté une résolution demandant notamment à la commission de faire des propositions visant à établir une force de protection civile de l'Union européenne apte à apporter une première aide d'urgence dans les vingt-quatre heures suivant une catastrophe. De nombreuses options sont donc ouvertes, qui vont de la création d'une force de réaction rapide à une amélioration modérée de l'existant. La France appuie évidemment l'idée d'une force européenne de réaction aux crises. Elle a acquis historiquement dans cette matière une expertise unique au monde qui doit être mise au service de l'Union. Le principe défendu est cependant qu'elle doit s'appuyer sur le triptyque "mise en œuvre et optimisation des outils déjà existants et disponibles - resserrement de la coordination entre tous les acteurs - renforcement d'une capacité de mobilisation immédiate". Agir dans l'urgence ne doit cependant pas occulter la nécessaire gestion de l'après-crise, une mission à prendre en compte. La récente création du nouveau service d'action extérieure de l'Union européenne a permis de constater que l'essentiel des propositions françaises avait été pris en compte avec le renforcement du mécanisme de planification du Monitoring and Information Centre (MIC), la mise en réseau des écoles de formation européennes et le renforcement du rôle et des missions des modules de protection civile avec la mise en oeuvre de l'assistance mutuelle européenne.

Civique : Concernant les sapeurs-pompiers, où en est le programme ambition volontariat ?

Alain Perret : C'est une priorité de notre action, si l'on considère l'érosion de l'effectif des sapeurs-pompiers volontaires, passés de 204 000 en 2004 à 196 800 aujourd'hui. Le groupe de travail mis en place fin 2009 par le ministre de l'intérieur a présenté en juin dernier un rapport d'étape qui insiste en particulier sur deux points : la souplesse et la reconnaissance. Souplesse afin de limiter les abandons en cours de formation en permettant, par exemple, à des aspirants volontaires de participer de manière très encadrée à des interventions ou encore en adaptant les guides nationaux de référence (GNR) à leur profil de formation. Reconnaissance afin de valoriser le volontariat pour développer l'attractivité d'une activité essentielle au secours dans notre pays. Le ministre de l'intérieur a validé cette démarche et je suis optimiste puisque, de l'avis de tous les partenaires mobilisés au titre de cette grande cause, les travaux avancent vite et bien.

 Source : Magazine Civique octobre 2010