Hommage à Jean Moulin

24 juin 2013

Allocution de Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, vendredi 21 juin 2013 - Hôtel de Beauvau


Seul le prononcé fait foi

Madame la ministre, chère Aurélie FILIPPETTI,
Mesdames, messieurs les membres du comité pour l'histoire préfectorale,
Mesdames, messieurs les préfets et directeurs,
Mesdames, messieurs,
Jeunes gens,

Evoquer la mémoire de Jean MOULIN – et particulièrement dans le lieu où nous nous trouvons – n’est pas une chose évidente, qui va de soi. Car il s’agit, devant la grandeur de l’homme, de trouver les mots justes pour dire toute la dignité d’un combat, d’un sacrifice, pour la France.

Ce qu’a accompli Jean MOULIN constitue une dette imprescriptible pour notre Nation.

Evoquer la mémoire de Jean MOULIN est, également, un exercice difficile, car d’autres, de manière magistrale – et notamment, chère Aurélie FILIPPETTI, l’un de vos illustres prédécesseurs – ont su parler au nom de tous.

La voix d'André MALRAUX résonne encore dans les mémoires. Ce 19 décembre 1964, il prononce un discours qui marque l'histoire et qui rend au préfet, chassé par le régime de Vichy, sa place. Sa place aux côtés des grands hommes – Lazare CARNOT, Victor HUGO, Jean JAURÈS – qui méritent l’infinie reconnaissance de notre Nation.

Jean MOULIN, ce jour-là, et pour toujours, est devenu le visage de la France.

De la France qui ne cède pas sur ses principes. Qui sait, contre vents et marées, garder le cap de son idéal de liberté, d’égalité, de fraternité, sur lequel on ne transige pas. Jamais. A aucune condition. Sous aucun prétexte.

*

Il y a soixante-dix ans, jour pour jour, le 21 juin 1943, Jean MOULIN était arrêté à Caluire. Là, a commencé le supplice de celui qui, comme ses compagnons d'armes, pour reprendre cette belle formule de Romain GARY, ne faisait pas  que « guetter le retour de la France » mais étaient prêts à mourir pour elle.

*

On ne dit pas assez qu’avant d’être ce « chef d’un peuple de nuit », Jean MOULIN fut, en plein jour, un grand préfet.

Son combat, c’est celui de toute une vie : servir la France, puis sauver la France. Là se trouve sa constance.

Grand préfet et grand résistant : cette concomitance n’a rien d’étonnant.

Si Jean MOULIN devient le « CARNOT de la résistance », c’est parce que – comme l’a souligné André MALRAUX – même si ce n’est pas lui qui a fait les mouvements de résistance, « c’est lui qui a fait l’armée ». Car si résister est une chose ; résister de manière organisée en est une autre. Sans Jean MOULIN, les cœurs vaillants auraient couru le risque de n’être qu’un assemblage de courages. Jean MOULIN les agrège, leur donne une cohérence, une force supplémentaire.

Les historiens ont déjà beaucoup écrit sur ce sujet. Les sources et les études sont innombrables ; elles ont fait l’objet de riches analyses.

Quelques éléments manquaient cependant : une partie du dossier administratif du préfet Jean MOULIN avait été conservée, précieusement, au ministère de l’Intérieur. J'ai souhaité, avec les membres du Comité pour l'histoire préfectorale – qui contribuent activement à enrichir la recherche scientifique sur l'histoire des préfets – que ces documents inédits soient versés aux Archives nationales. Le dossier que j’ai l’honneur de vous transmettre, aujourd’hui, Madame la ministre, rejoint donc notre patrimoine commun.

Que renferme ce dossier ? Assurément rien qui ne satisfera les polémistes ; rien qui ne ternira la lumière qui accompagne à jamais le chef de l'armée des ombres.

Ce dossier, c'est le dossier habituel d'un préfet, comme il en existe encore aujourd'hui. On y trouve les fiches d'évaluation de celui qui fut d'abord jeune sous-préfet, avant d’être le représentant de l’Etat dans l'Aveyron, en 1937, puis en Eure-et-Loir, en février 1939. On y apprend que Jean MOULIN, qui intègre le corps préfectoral comme chef-adjoint du cabinet du préfet de l'Hérault, faisait l’objet de toutes les louanges de la part de sa hiérarchie : une « intelligence très vive », un « jugement très sûr », un « style choisi », une « autorité et une influence incontestables », « très travailleur » et « digne à tous égards de la confiance du Gouvernement »...

Parce qu’il a été un préfet exemplaire, Jean MOULIN est un exemple pour tous les préfets de France, pour tous les serviteurs de l’Etat.

Les épreuves d’aujourd’hui – et heureusement – ne sont pas celles d’autrefois. Cependant, servir l’Etat requiert le même degré d’engagement, la même volonté acharnée de défendre l’intérêt général, le même attachement aux valeurs de la République. Ce drapeau pour lequel s’est battu Jean MOULIN qui flotte au fronton de nos préfectures, de nos bâtiments publics, de nos écoles, c’est à tous les serviteurs de l’Etat qu’il appartient d’en faire vivre quotidiennement le message.

C’est cet engagement quotidien qui fait la noblesse de la mission.

*

Le dossier de Jean MOULIN révèle également ses aspirations : « poursuivre sa carrière », « rester dans l'administration préfectorale ». En quelques mots, celui qui ne sait pas – et comment le saurait-il ? – qu'il basculera dans la clandestinité, sera trahi, torturé, et mourra dans un train en gare de Metz, livre tout : sa vocation pour le service de la République et sa vocation pour le corps préfectoral, qu'il a découvert à 18 ans, à  Montpellier.

On trouve aussi dans son dossier, comme dans tous ceux des hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur de l'époque, de nombreux courriers de députés et de sénateurs adressés au ministre de l'Intérieur. En effet, sous la IIIème République, celui qui aspirait à poursuivre sa carrière devait trouver l’appui des parlementaires. Et Jean MOULIN n'échappait pas à cette règle. Cette importante correspondance des élus, notamment de Savoie, où il a servi à plusieurs reprises, confirme, une nouvelle fois, l’humilité et la grandeur de l’homme.

Tout au long de sa carrière, Jean MOULIN s’est donné à la France. Son dossier renferme les textes statutaires qui en ont jalonné toutes les étapes, depuis son recrutement jusqu'aux décisions prises, à la Libération, pour le rétablir, à titre posthume, dans le corps des préfets.

Tous ces documents, dans leur simplicité, dans leur authenticité, apportent un nouvel éclairage sur Jean MOULIN.

Et c’est parce que l’on connaît mieux le préfet qu’il était que l’on comprend plus encore le combattant qu’il est devenu.

On comprend  pourquoi la mission unificatrice des mouvements résistants lui est revenue. On comprend, également, la constitution et les aspirations du Conseil national de la Résistance. Car Jean MOULIN, c’est  le sens de l'Etat, la noblesse morale, les qualités de meneur d’hommes, l'expérience des organisations ; autant de ressorts et de qualités pour unir, dans un même combat – celui de la Résistance – tant d'hommes et de femmes aux convictions et aux parcours si différents.

70 ans après Caluire, 70 ans après le sacrifice, j'ai l'honneur, Madame la ministre, de vous remettre ce dossier, témoignage précieux sur l’existence de Jean MOULIN.

Une existence qui reste et restera un exemple pour les fonctionnaires de ce ministère, un exemple pour tous les serviteurs de l'Etat, un exemple pour toute notre Nation et – je n’en doute pas – pour  les générations qui viendront.

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